[Actualités] Eyal Sivan : « L’image d’Israël subit une vraie érosion »

Article de Baudouin Loos paru le 20/03 dans le Soir

Faut-il boycotter Israël pour le forcer à respecter le droit international ? Partisans de cette méthode, Eyal Sivan et Armelle Laborie en expliquent deux aspects, le boycott culturel et universitaire.

Entretien

Le cinéaste israélien Eyal Sivan et sa compagne la productrice française Armelle Laborie ont publié à la Fabrique fin 2016 un petit livre intitulé Un boycott légitime. Ils participent ainsi à la campagne « BDS » (boycott, désinvestissement et sanctions) lancée par les Palestiniens en 2005, en expliquant les volets universitaire et culturel. Nous les avons rencontrés lors d’un récent passage à Bruxelles pour une soirée à l’Union des progressistes juifs de Belgique.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Armelle Laborie : Il y avait un besoin d’éclairage sur la question du boycott universitaire et culturel. Au fil de ces vingt dernières années, on a constaté que la réalité d’Israël sur place et l’image que l’on nous en vend ici sont de plus en plus éloignées l’une de l’autre. On est parti sur cette piste que cette image est fabriquée en Israël à l’attention de l’étranger.Eyal Sivan : La nouveauté de ce livre est justement cet angle universitaire et culturel. Si le boycott économique est quelque chose d’assez accepté dans les milieux sensibles à la cause palestinienne, il y a de bonne foi des questions qui se posent s’agissant d’étendre cette arme aux volets universitaire et culturel. Or c’est d’une certaine manière le cœur même du boycott car il touche à la question de l’image. Car la réalité de ce pays c’est qu’il existe une relation entre la propagande et ces milieux culturels et académiques.

Mais d’aucuns disent que ces dimensions sont des espaces de dialogue…

ES : Nous sommes allés aux racines de ce genre d’arguments. À partir du début des années 2000, il y a l’utilisation de la culture et de l’université comme un paravent, alors que nous montrons dans le livre la collaboration étroite entre l’université israélienne et les milieux sécuritaires et militaires, à la fois sur le plan technologique, idéologique et propagandiste. Ensuite, on nous vend le concept d’une académie « progressiste », mais où voit-on ce progrès ? Où est le dialogue ?

L’image d’Israël est servie par des gens célèbres et perçus comme progressistes, comme les écrivains Amos Oz et David Grossman ou le cinéaste Amos Gitaï que la gauche européenne chérit…

ES : Parmi les choses magiques inventées par le sionisme on trouve la dissidence officielle ! Des gens présentés à l’étranger comme dissidents sauf qu’ils sont soutenus par les ministères israéliens des Affaires étrangères ou de la Culture. Oz, Grossman ou Gitaï sont critiques en Israël et utiles à l’extérieur. Ils sont d’abord sionistes, d’abord patriotes puis artistes. Ils incarnent la « critique légitime », ils sont contre les colonies, pour les deux États et pour la paix. Mais ils soutiennent toutes les opérations militaires avant, le lendemain, de manifester contre ces opérations ! C’est la culture aujourd’hui en Israël : on tire puis on publie un livre ou on fait un film.

Le gouvernement israélien montre une paranoïa croissante à l’égard de BDS…

AL : Notre livre commence avec cela. En mai 2015, le président israélien Reuven Rivlin donne une conférence de presse entouré par les présidents des universités pour dire que le boycott universitaire est « une menace existentielle » pour l’État d’Israël. Dans sa bouche, c’est du même ordre que le nucléaire iranien !ES : Depuis 2015, c’est exponentiel : on vote des lois, on lance des campagnes aux USA, en Europe pour signifier que le boycott est un acte antisémite. Car il existe un décalage énorme entre les chancelleries occidentales et les peuples, plutôt propalestiniens. Et on voit que le boycott a déjà réussi à faire plier des multinationales comme Véolia, Orange. L’image d’Israël comme une démocratie libérale est le capital moral d’Israël et il subit une vraie érosion. Et c’est à cette image que s’attaque le boycott universitaire et culturel.

Autre argument contre BDS, c’est qu’il s’attaque à des individus, qui sont parfois des gens tout à fait honorables…

ES : Non. Les lignes directrices du boycott élaborées par les Palestiniens sur le modèle du boycott sud-africain respectent un principe élémentaire : on ne boycotte pas les individus. Le reste c’est de la propagande. C’est un boycott institutionnel. Le boycott de l’utilisation par Israël des artistes israéliens. Exemple : un livre, un film, une pièce de théâtre, même anti-palestinien, financé par l’État israélien n’est pas boycottable. Car tout artiste a le droit d’être subventionné par le fruit de ses impôts. Mais si vous acceptez la promotion de ces œuvres sous la bannière officielle d’Israël, là c’est différent.

On entend aussi que le boycott jetterait la population israélienne dans les bras des colons extrémistes…

ES : Il faut regarder les choses en face : la société israélienne est déjà majoritairement d’extrême droite, et ce n’est pas en raison du boycott. Cet argument nie le réel. Et justement, il n’y a aucun signal donné à cette société pour qu’elle réfléchisse. Au contraire, l’Occident laisse Israël dans l’impunité totale quoi qu’il fasse.

Et les ressorts actuels de la société israélienne ne semblent pas propices à une évolution des mentalités…

ES : En effet, regardez les deux dernières décennies, où voit-on l’énergie au sein de la société israélienne pour un changement ? Je pense que le boycott a été un cadeau fait aux Blancs sud-africains naguère. De même, ce mouvement de boycott est une chance pour les Israéliens. C’est un bien de leur montrer le chemin de la loi. On me dit : pourquoi boycotter Israël et pas un autre pays ? Mais le droit international s’adresse-t-il à tous sauf à Israël ?

 BAUDOUIN LOOS