École et religion

Caroline Sägesser

L’enseignement est libre en Belgique, la Constitution le garantit. Ce principe qui, aujourd’hui, est compris comme garantissant le libre choix des parents, a été établi à l’origine pour garantir la liberté d’ouvrir des écoles, essentiellement au bénéfice de l’Église catholique. L’État ne s’est investi que partiellement et tardivement dans l’éducation (pas de ministre de l’Instruction publique avant 1879), laissant le champ libre à l’Église. Aujourd’hui encore, les écoles catholiques scolarisent une majorité d’enfants. Cette liberté constitutionnelle a également été utilisée par d’autres traditions religieuses : il y a aujourd’hui quelques écoles juives, protestantes et islamiques, reconnues et subsidiées par les pouvoirs publics.
L’enseignement confessionnel

La création récente de ces écoles islamiques – trois écoles primaires et une école secondaire à Bruxelles – a été l’occasion de réinterroger la pertinence de ce modèle confessionnel.

Le public des écoles catholiques est aujourd’hui très diversifié, comprenant à côté d’enfants issus de familles catholiques, des enfants venus d’autres traditions religieuses et de milieux athées, le caractère confessionnel de l’école n’étant plus, dans la grande majorité des cas, la raison principale du choix des parents. L’école catholique s’est adaptée à cette nouvelle situation, mettant dorénavant d’avantage l’accent sur les valeurs de l’humanisme, et la présentation du Christ comme une figure inspirante, que sur les principes de la foi catholique. Cette diversification du public interroge cependant la pertinence d’un modèle qui comporte, toujours encore, un cours de la seule religion catholique.

Dans les écoles se réclamant d’une autre religion, le protestantisme, le judaïsme ou l’islam, une telle diversification du public n’est pas observée. Sauf rarissime exception, tous les élèves qui fréquentent ces écoles sont issus de familles qui professent, à des niveaux d’intensité variable, évidemment, mais souvent soutenus, la religion dont se réclame l’école. L’école protestante, juive ou islamique est donc une école de « l’entre-soi » qui prolonge l’éducation reçue au sein de la famille – c’est là d’ailleurs son principal objectif –
davantage qu’elle n’ouvre l’enfant à la diversité du monde.

L’école juive est une institution ancienne en Belgique, où le Consistoire a établi une école dès les années qui ont suivi l’indépendance. Aujourd’hui, il y a au moins une dizaine d’écoles juives à Anvers, tandis qu’à Bruxelles il ne subsiste plus qu’une école confessionnelle juive, l’athénée Ganenou à Uccle, et une école non-confessionnelle, Beth-Aviv, dans la même commune.

Le Pacte scolaire

La rivalité entre les écoles officielles et les écoles libres, la question de l’enseignement de la religion au sein des premières et celle du financement des secondes, ont longtemps constitué une source de conflit politique. En 1958, le Pacte scolaire a mis fin à cette
« guerre scolaire », institué un niveau de subventionnement des écoles libres -dont les professeurs sont payés par les pouvoirs publics- quasi équivalent à celui des écoles officielles, et organisé l’enseignement des religions reconnues au sein des écoles officielles. Depuis, le nombre de religions reconnues est passé de quatre à six, et ces écoles sont actuellement tenues de proposer le choix entre les cours de religion catholique, protestante-évangélique, israélite, anglicane, islamique et orthodoxe, à côté de celui de morale non confessionnelle. La Communauté française n’organise cependant pas les cours de religion anglicane. En pratique, trois cours –religion catholique, morale non confessionnelle et religion islamique- rassemblent 98 % des élèves ; les autres cours,
ultra-minoritaires, causent de sévères problèmes d’organisation aux directions d’école et entraînent des frais importants. Le fait que l’enseignement religieux soit placé essentiellement sous la responsabilité des organes chefs de culte (les évêques, le Consistoire central israélite, l’Exécutif des Musulmans de Belgique…), les lacunes constatées au niveau de la formation des enseignants et du contenu des programmes sont dénoncés depuis longtemps. Depuis deux ans, on assiste au remplacement, d’abord au niveau du primaire puis du secondaire, d’une des deux heures hebdomadaires de religion ou de morale par un cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté (EPC). C’est la première réforme significative du Pacte scolaire.

Les enfants juifs dans l’enseignement officiel

Bien qu’aucune statistique ne soit disponible, il est raisonnable de penser que la grande majorité des enfants issus de familles juives fréquentent les établissements du réseau officiel, à l’exception notable d’Anvers. S’ils le souhaitent, ils peuvent y suivre le cours de religion israélite, qui leur sera dispensé par un enseignant choisi par le Consistoire central israélite de Belgique. Contrairement aux responsables des cours de religion catholique et protestante, le Consistoire ne publie pas le programme du cours ; celui-ci serait déjà ancien et en attente de révision. En revanche, depuis 2013 et à la suite d’un processus initié par la ministre Marie-Dominique Simonet, il existe un référentiel de compétences pour le cours de religion israélite. En 24 pages, pour les 12 années d’enseignement primaire et secondaire, sont exposées les compétences terminales visées ; il s’agit moins d’un contenu du cours que de l’exposé d’une méthodologie incluant la pratique du questionnement philosophique, le développement de l’esprit critique et d’analyse et l’ouverture à la diversité des opinions, convictions et cultures.

Ce ne sont cependant pas les éventuelles lacunes du cours qui sont les motifs les plus probables pour expliquer la baisse actuelle des effectifs qui suivent le cours de religion israélite, en particulier dans la Région de Bruxelles-Capitale : aujourd’hui, la moitié des communes de la Région ne répertorient plus aucun enfant inscrit à un cours de religion israélite. Seules les communes d’Uccle, Forest, Ixelles et Auderghem comptent encore un nombre significatif d’élèves inscrits en religion israélite. Cette situation illustre certainement la sécularisation de la population juive bruxelloise, qui ne fréquente plus assidûment la synagogue, et le déplacement du lieu de résidence des familles juives vers le sud-est de la capitale. Toutefois, il est à craindre qu’elle ne traduise également un autre phénomène, inquiétant, à savoir le développement de l’antisémitisme en milieu scolaire. Depuis quelques années, la presse, généraliste ou communautaire, relate les incidents dont sont victimes des enfants juifs dans les écoles publiques de la capitale. Les insultes ou le harcèlement subis par leurs enfants conduisent alors les familles à opter pour l’école juive, à déménager ou, simplement, à faire profil bas et à choisir plutôt le cours de morale…