Vers une épuration ethnique à la Knesset ?

Contrairement à ce que vous pourriez penser, le panneau que vous voyez reproduit ci-dessus n’a pas été brandi par des Palestiniens de Cisjordanie ou de Gaza, ni même d’Israël… Il a été mis sur sa page Facebook par Miko Peled, le frère de Nurit Peled Elhanan, très engagé, comme elle, contre l’occupation et la colonisation. Il y assez peu de risques cependant qu’il soit poursuivi par les autorités israéliennes ; on n’intente pas un procès à quelqu’un qui a perdu sa nièce dans un attentat suicide à Jérusalem. Cela créerait à coup sûr un tollé au niveau international.

Par contre, trois députés du parti Balad, une des composantes de la Liste Arabe Unie, Basel Ghat-tas, Jamal Zahalka et Haneen Zoabi ont, eux, bel et bien subi les foudres de la Knesset, le Parle-ment israélien. La raison ? Ils ont rendu visite aux familles palestino-israéliennes d’«  agresseurs au couteau  » qui avaient été abattus au moment de leur acte. Cette visite n’avait pas pour objectif de soutenir les actes d’agression qu’ils avaient commis, mais de soutenir les familles dans leur reven-dication que les corps de leurs enfants leur soient remis pour qu’elles puissent les enterrer et faire leur deuil. Résultat  : deux mois de suspension de débats pour Jamal Zahalka, et quatre mois pour Basel Ghattas et Haneen Zoabi, peine prononcée par le comité d’«  éthique  » de la Knesset. Il faut dire que Haneen Zoabi, qui sera notre invitée à la fin de ce mois de mai (voir page 11), est une «  récidiviste  » ; en 2010 elle avait déjà été arrêtée à bord de la flottille qui tentait de briser le blo-cus de Gaza et elle n’avait échappé à la prison que grâce à son immunité parlementaire. Elle avait également été suspendue six mois de la Knesset en juillet 2014.

La Liste Arabe Unie a immédiatement réagi par un communiqué condamnant «  la campagne d’incitation menée par Netanyahu, qui a conduit à la décision anti-démocratique et contraire à l’éthique du comité  ». Le communiqué a poursuivi en disant que «  la punition vengeresse ne nous stoppera pas et nous allons continuer à lutter contre les politiques

du racisme et du fascisme, et en faveur de l’égalité réelle et d’une vraie démocratie, que Netanyahu tente, de tout son pouvoir, de détruire  ». De son côté, Jamal Zahalka a déclaré que «  nous savons que nous payons un prix politique pour une position éthique  ».

Mais cette suspension n’est peut-être pas encore ce qu’il y a de plus grave, ainsi que l’écrit Michel Warschawski… Car, faisant suite à ses déclarations selon lesquelles ces trois députés n’étaient pas «  dignes de siéger à la Knesset  », Netanyahu tente à tout prix de faire voter une loi qui permettrait de «  démettre de leurs mandats des députés qui s’opposent à la définition d’Israël comme État Juif et Démocratique, ou incitent au racisme ou soutiennent la lutte armée contre Israël par un pays ennemi ou une organisation terroriste  ». Ni plus ni moins ! On voit immédiatement les députés qui sont visés. Si cette loi était votée on assisterait à une véritable épuration ethnique à la Knesset.

Ce projet de loi n’a pas manqué de susciter des réactions… Le conseiller juridique du gouvernement s’y oppose, le conseiller juridique de la Knesset s’y oppose, et même le président de l’État n’a pas mâché ses mots. Reuven Rivlin, lors d’une allocution au Centre pour la mémoire de Menachem Be-gin, a en effet déclaré  : «  Nombreuses sont les voix qui, en Israël, comprennent l’essence de la démo-cratie d’une manière étroite et minimaliste. Pour eux la démocratie se limite au pouvoir de la majori-té. Begin nous a enseigné qu’une telle définition de la démocratie n’est pas seulement étroite et réductrice, mais de plus dangereuse  : dangereuse pour la minorité, dangereuse pour l’opposition, dangereuse pour l’individu et en dernière instance dangereuse pour l’État lui-même. La loi de desti-tution proposée est un exemple flagrant de cette mésinterprétation de la démocratie. Où sommes-nous en train d’aller ?  ».

Loin de faire marche arrière, Netanyahu-Lieberman-Bennett ont décidé de faire passer le projet de loi en urgence, avant la fin de la session parlementaire !

LES ONG DANS LE COLLIMATEUR

Autre projet de loi dite de «  transparence  »… celui qui obligerait les ONG, pour la plupart de gauche, à afficher publiquement leurs financements venant de l’étranger. Pour le gouvernement israélien, il s’agit de combattre des ingérences dans les affaires intérieures israéliennes. Les ONG dénoncent, quant à elles, une stigmatisation dans un climat de chasse aux sorcières. Car, comme le souligne Yuli Novak, présidente de Breaking the Silence, «  nous publions déjà le nom de nos dona-teurs, tous les trois mois, c’est la loi, cette loi n’a donc rien à voir avec la transparence, elle n’est là que pour stigmatiser et délégitimer les ONG  ». Reut Michaeli, qui dirige l’association de défense de réfugiés Hotline for Migrant Workers, abonde dans le même sens  : «  On veut dresser des obstacles bureaucratiques dans notre travail, car nous ne sommes pas dans la ligne de ce gouvernement raciste  ». Et Hagai El Ad, le président de B’tselem, de conclure  : «  Au lieu d’offrir aux Israéliens et aux Palestiniens une vision pour l’avenir, pour faire cesser les violences, le gouvernement fait quelque chose de classique qui est une dérive fasciste  : il imagine des traitres à l’intérieur du pays, et ce sont les ONG  ».

Le gouvernement israélien n’est plus seulement dans le déni de démocratie, mais résolument dans la dérive fasciste.