[CARTE BLANCHE] Journée mondiale des réfugié·es : le droit d’asile en danger

En ce 20 juin 2024, à l’occasion de la Journée mondiale des réfugié·es, le CIRÉ et ses organisations membres alertent sur la menace qui pèse sur le droit d’asile.
Vous trouverez leur analyse et leur mise en garde dans cette carte blanche, intitulée « Journée mondiale des réfugié·es : le droit d’asile en danger ».

 

La journée mondiale des réfugié·es, ce 20 juin 2024, suit de peu les récents résultats des élections en Belgique, en France et dans le reste de l’Europe, qui nous laissent empli·es de crainte, mais aussi de force.

La percée record des partis de droite et d’extrême-droite nous atterre, tant elle annonce la mort, déjà engagée, du droit d’asile. Si les résultats des élections augurent une politique migratoire européenne encore plus restrictive, les autorités belges et européennes ne les ont en effet pas attendus pour détricoter le droit d’asile et d’accueil des personnes en fuite.

Chaque jour, des personnes sont contraintes d’abandonner leur pays en raison de persécutions, d’un conflit armé ou de violations des droits humains. Les chiffres du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR) sont alarmants et ils n’ont jamais été aussi élevés. Fin avril 2024, on comptait 120 millions de personnes déracinées de force (un chiffre qui a plus que doublé en dix ans). Peu savent que, comme le rappelle le HCR, l’immense majorité des personnes déplacées à travers le monde le sont à l’intérieur de leur propre pays, ou trouvent refuge dans des pays limitrophes. Il est donc essentiel de rappeler que l’Union européenne et la Belgique n’accueillent en réalité qu’une toute petite part des personnes déplacées.

Il est aussi important de redire que demander l’asile est un droit fondamental protégé par la Convention de Genève, qui consacre le droit à chercher protection dans un autre pays depuis 1951 et scelle ainsi le statut de réfugié·e. Statut qui sera complété plus tard par la protection subsidiaire, pour les situations de violences aveugles, et par la protection temporaire, activée récemment pour les Ukrainien·nes. Le droit d’asile est un droit fondamental reconnu à chaque être humain, indépendamment de son sexe ou de sa nationalité, qui est plus que jamais indispensable au vu des contextes de violences, de guerre et d’insécurité au niveau mondial.

Pourtant, aujourd’hui, il n’a jamais autant été mis en danger.

En avril dernier, malgré les mises en garde récurrentes de la société civile, le Parlement européen adoptait le « Pacte Asile et Migration », conçu pour permettre à l’Europe de répondre aux « crises » successives en matière migratoire. En réalité, ce pacte contribue à renforcer les politiques déjà mises en oeuvre ces dernières années pour empêcher les personnes migrantes d’arriver sur le territoire de l’UE et d’y demander l’asile. Il prévoit un filtrage de ces personnes aux frontières extérieures de l’UE en fonction de leur nationalité, ne réserve l’accès à la procédure d’asile « normale » qu’à une minorité d’entre elles, les autres étant soumises à une procédure « accélérée » – expéditive – qui permet de les expulser au plus vite. Cette procédure de filtrage renforcera le recours massif à la détention des personnes migrantes, et le risque qu’elles soient refoulées vers des pays où elles risquent d’être maltraitées, ce qui est pourtant formellement interdit par la Convention de Genève.

Le partenariat signé entre le Royaume-Uni et le Rwanda est l’exemple le plus parlant de l’effondrement du droit d’asile. Désormais, les personnes arrivées irrégulièrement au Royaume-Uni et qui y demandent l’asile pourront être transférées au Rwanda, où leur demande de protection sera examinée par les autorités rwandaises. Dans l’hypothèse où elles obtiendraient un statut de réfugié·e, elles devront rester au Rwanda sans pouvoir rejoindre le Royaume-Uni. Le HCR et les organisations de défense des droits des migrant·es ont dénoncé cet accord comme étant « incompatible avec le droit international » des réfugié·es.

La Belgique n’est pas en reste. Depuis deux ans et demi, elle a été condamnée plus de 9.000 fois pour avoir failli à sa mission d’accueil en laissant à la rue des demandeurs d’asile, alors que le droit européen et belge fixe leur droit à l’accueil matériel tant que leur demande d’asile est en cours d’examen par les instances compétentes.

Aujourd’hui, les demandeurs d’asile sans accueil sont au nombre de 4000 et le délai d’attente pour obtenir une place d’accueil est de six à neuf mois, un record !

Parmi ces hommes, de nombreux Palestiniens en grande détresse, qui font face à une violence institutionnelle indicible : il leur est annoncé qu’il n’y a pas de places dans le réseau d’accueil Fedasil et que leur demande d’asile sera traitée dans les vingt et un mois par le Commissariat Général aux réfugiés et aux apatrides ! Précisons que le délai légal de la procédure est de six mois et que la loi belge permettrait que ces demandes spécifiques soient traitées prioritairement…

On relèvera aussi la situation des demandeur·euses d’asile afghan·es qui fuient le régime taliban et dont moins de la moitié reçoit un statut de protection internationale. Celles et ceux qui se voient refuser le statut de réfugi·ée ne sont pas renvoyé·es de force vers l’Afghanistan, étant considéré·es comme « inéloignables » au vu du régime oppressif qui y sévit. Ces personnes se retrouvent pourtant en séjour irrégulier du fait de politiques et de procédures aberrantes, qui s’apparentent à une réelle fabrique de sans-papiers…
Et que dire du sort réservé aux demandeur·euses d’asile originaires de la République démocratique du Congo… Leurs demandes sont traitées par la procédure « fast track », qui mène rapidement à une décision de refus de protection, alors que la situation instable et dangereuse de la RDC est de notoriété publique.

Alors que les besoins de protection n’ont jamais été aussi élevés, le droit d’asile est de plus en plus menacé et la montée de l’extrême droite, en Belgique et en Europe, laisse présager un avenir très sombre.  Le droit d’asile, longtemps considéré comme « intouchable », est déjà remis en cause par certains partis politiques, qui considèrent que la Convention de Genève de 1951 et son statut de réfugié·e sont obsolètes.

En ce 20 juin, le contexte politique délétère souligne plus que jamais l’importance du rôle de la société civile. Il nous met face à nos responsabilités et nous renforce dans nos convictions qu’une politique migratoire juste et positive est indispensable. Nous continuerons, sans relâche, de défendre le droit d’asile et les droits des personnes migrantes, de nous battre contre les procédures qui fabriquent des sans-papiers, de lutter contre la criminalisation des personnes étrangères. Et ce, quel que soit le paysage politique auquel nous devrons faire face.

SIGNATAIRES

CIRÉ – Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers, ADDE – Association pour le droit des étrangers, Aide aux personnes Déplacées asbl, BePax, Cap Migrants asbl, Caritas international, CEPAG – Centre d’éducation populaire André Genot, CSP – Centre social protestant, CINL – Centre des Immigrés Namur-Luxembourg ASBL, Convivial, CSC Migrants, DisCRI asbl – Dispositif de concertation et d’appui aux Centres Régionaux d’Intégration de Wallonie, FGTB, Jesuit Refugee Service Belgium, Le Monde des Possibles, Les Équipes Populaires asbl, L’Olivier 1996, Médecins du Monde, Mentor – Escale, MOC – Mouvement ouvrier chrétien, MRAX – Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie, PAC – Présence et Action Culturelles, Point d’Appui asbl, SESO – Service social des Solidarités, Service social juif, SETM asbl – Solidarité, Étudiants du Monde, UPJB – Union des Progressistes Juifs de Belgique