Don Quichotte sur les traces d’Eichmann, une analyse de Laurent Vogel

Après le Brésil et l’Argentine, nous nous tournons vers l’Uruguay pour le troisième film de notre cycle « Regards juifs dans le cinéma d’Amérique Latine » avec une projection du film : « Mr. Kaplan » réalisé par Álvaro Brechner en 2014. Ce sera le dimanche 9 mars à 16h.

Jacobo Kaplan a passé toute sa vie adulte en Uruguay. Il a travaillé, fondé une famille, s’est entouré d’amis mais il n’arrive à accepter ce que d’autres considéreraient comme une vieillesse heureuse, comme une lente transition vers la mort entre fêtes, célébrations des anniversaires, apéritifs autour de la piscine.

Jacobo a quitté la Pologne à l’âge de 14 ans, après son passage à la vie adulte célébré par une Bar Mitsvah. Il a émigré en Uruguay. Sa famille prévoyait de l’y rejoindre. La guerre a éclaté et tous ses proches restés en Pologne y ont été engloutis. Plus de 60 ans plus tard, il est taraudé par la question « Qu’est-ce que j’ai fait de spécial dans ma vie ? Qu’ai-je accompli ? ». Il se rappelle que Goethe a écrit Faust à l’âge de 81 ans et Abraham a reçu l’appel divin à 75 ans. Jacobo sent qu’il est temps pour lui de laisser le monde meilleur qu’il ne l’était.

Alvaro Brechner aborde cette question du crépuscule de la vie ordinaire d’un homme sans qualités exceptionnelles par la comédie. Avec un scénario riche en rebondissements qui nous permet de voir mûrir un plan extravagant. Jacobo veut rééditer l’exploit de l’enlèvement d’Eichmann en Argentine. Il recueille des informations sur un Allemand, arrivé peu après la fin de la guerre, qui tient un bar sur une plage proche de Montevideo. Surnommé le nazi, menant une vie discrète, il doit dissimuler un passé sinistre. Mais Jacobo n’a pas les compétences, ni l’équipement d’un agent du Mossad. Il s’associe à Wilson, un ancien flic, pas très fûté, qui ne sait pas quoi faire de sa vie. C’est Don Quichotte et Sancho Panza à la poursuite d’un Eichmann en Uruguay. Au fil des épisodes, ils enchaînent les bourdes et les erreurs. Mais la chance finit par leur sourire. Ils pourront capturer l’Allemand. Les scènes finales ménagent une surprise qui remet tout en cause.

Cette comédie, inspirée par le cinéma italien des années soixante, avec ses personnages typés, maladroits et attendrissants soulève une question qui a marqué l’histoire de la diaspora dans le cône Sud des Amériques : la coexistence obligée avec de fortes colonies nazies originaires d’Allemagne mais aussi de nombreux autres pays d’Europe où les collaborateurs des nazis ont profité des filières d’évasion mises en place.

 

Alvaro Brechner est né à Montevideo en 1976. Après avoir réalisé plusieurs courts-métrages, il s’est dans trois longs métrages de fiction : Sale temps pour les pêcheurs (2009), Mr Kaplan (2014) et Compañeros (2018). Ce dernier film dont le titre original en espagnol est plus évocateur (La nuit de 12 ans) est basé sur mes mémoires de prison d’ancien dirigeant des Tupamaros Mauricio Rosencof et Eleuterio Huidobro qui, avec le futur président José Mújica, durent passer douze ans dans des cachots de bases militaires avec une interdiction totale de communiquer.

 

Laurent Vogel

 

 

Réservez déjà les dates suivantes pour les deux cycles de films de notre ciné-club :
Regards juifs dans le cinéma d’Amérique latine :
  • Dimanche 6 avril : « Le dernier été de la Boyita » de Julia Solomonoff (Argentine, 2009)
  • Dimanche 18 mai : « Araya » de Margot Benacerraf (Venezuela, 1959)
  • Dimanche 8 juin : « ABC en grève » de Léon Hirszman (Brésil, 1990)

La Shoah dans le cinéma d’Europe de l’Est (1945-1968)

  • Dimanche 30 mars : « Unzere kinder » de  Natan Gross et Saul Goskind (Pologne ,1946).
  • Dimanche 13 avril : » La passagère » d’Andrzej Munk (Pologne,1961-63).
  • Dimanche 4 mai : « L’incinérateur de cadavres » de Juraj Herz, (Tchécoslovaquie, 1968).
  • Dimanche 25 mai : « Le miroir aux alouettes » de Jan Kadar et Elmar Klos (Tchécoslovaquie, 1965).
  • Dimanche 22 juin : « Père » d’ Istvan Szabo (Hongrie, 1966).