Editorial: Cinquante ans d’occupation et de spoliations

Henri Wajnblum

En mai 1967, l’Égypte présidée par Gamal Abdel Nasser, procède à d’importants mouvements de troupes dans le désert du Sinaï, et exige le départ des forces de maintien de l’ordre de l’ONU qui s’y trouvent depuis 1956 à la suite de ce que qu’on a appelé la guerre du Sinaï… Cette guerre qui avait vu, les 29 et 31 octobre 1956, la France et la Grande-Bretagne attaquer l’Égypte en raison de la nationalisation du Canal de Suez par le même Gamal Abdel Nasser, Israël en profitant pour s’emparer de la péninsule du Sinaï. Face aux menaces de l’Union Soviétique et à l’intervention des Nations unies, les forces armées françaises, britanniques et israéliennes se virent contraintes d’évacuer le Sinaï, remplacées par les forces d’urgence des Nations unies à partir du 15 novembre 1956.

En ce même mois de mai 1967, l’Égypte impose aussi le blocus du détroit de Tiran qui donne accès au port israélien d’Eilat.

Après un mois de tergiversations, le 5 juin 1967, Israël décide de lancer une attaque «préventive» aérienne et terrestre contre l’Égypte au sud. À la suite du succès éclair dans le Sinaï, Israël lance une contre-attaque contre la Jordanie puis le 9 juin contre la Syrie sur le plateau du Golan.

À la suite de six jours de combats, de nouvelles lignes de cessez-le-feu remplacent les anciennes. La Cisjordanie en ce compris Jérusalem-Est – toutes deux annexées par la Jordanie en 1950 -, la péninsule du Sinaï, la bande de Gaza (toutes deux égyptiennes) et le plateau du Golan (syrien) passent ainsi entièrement sous contrôle israélien.

À l’époque, nombreux ont été ceux qui ont cru à la nature défensive de l’opération israélienne. Mais il est vite apparu que cette guerre avait été préparée de longue date et qu’Israël attendait un prétexte acceptable par la Communauté internationale pour la mener. Ce prétexte, Nasser le lui a fourni en fermant l’accès au détroit de Tiran. On ne peut expliquer autrement la fulgurance avec laquelle l’aviation israélienne a détruit, au sol, la quasi totalité de la flotte aérienne égyptienne, s’assurant ainsi la maîtrise totale de l’espace aérien.

Dans les mois qui suivent, des responsables politiques israéliens sillonnent l’Europe pour affirmer que cette guerre pourrait avoir constitué un mal pour un bien. Maintenant qu’Israël s’est rendu maître de la totalité de la Cisjordanie, il va pouvoir négocier la paix contre les territoires… On se rend vite compte qu’il n’en est rien car dès le mois de juillet, le gouvernement israélien travailliste du premier ministre, Levy Eshkol, envisage l’annexion de certains des territoires conquis, pour constituer des zones tampons. D’autres zones seraient destinées à servir de monnaie d’échange dans le cadre d’une future paix avec les États arabes voisins. Israël lance très vite le plan Allon du nom du ministre du Travail et de l’Intégration, Igal Allon, qui préconise l’implantation de colonies dans les territoires occupés, particulièrement sur le Golan et dans la vallée du Jourdain.

C’est le début d’une colonisation qui ne s’arrêtera plus. Les professions de foi selon lesquelles Israël serait disposé à négocier l’échange des territoires contre la paix, n’aura pas longtemps fait illusion. Dès 1971, Abba Eban, ministre des Affaires étrangères, déclare : «Israël espère, lors des négociations sur le tracé des frontières, parvenir à conserver ces établissements à l’intérieur de ses frontières telles qu’elles seront reconnues le jour où viendra la paix». La Première ministre, Golda Meïr, ne s’embarrasse pas de diplomatie, elle : «La frontière se trouve là où habitent des Juifs, et non pas sur un tracé de carte». Et pour finir, le ministre de la Défense, Moshe Dayan, enfonce le clou, répétant : qu’«en tout endroit où nous établissons un point d’habitation, nous n’abandonnerons ni ce point ni l’endroit lui-même».

Contrairement à ce que beaucoup pensent, la colonisation n’est donc pas un projet de droite ou d’extrême droite, il s’agit bel et bien initialement d’un projet de la «gauche», tous les ministres que je viens de citer faisant en effet partie du parti travailliste.

Intensification de la colonisation

Il est vrai qu’avec l’arrivée de la droite au pouvoir en 1977 la colonisation va s’intensifier. C’est ainsi qu’en 1977, il existe 31 colonies qui comptent 4.400 habitants hors Jérusalem-Est. En 1984, ce nombre est passé à 44.000.

En juin 1992, les travaillistes reviennent au pouvoir, le Premier ministre Yitzhak Rabin annonce un gel de la colonisation. Pourtant, le nombre de colons en Cisjordanie passe de 112.000 en 1992 à 150.000 en 1995, tandis que les colonies de Jérusalem-Est comptent 170.000 habitants juifs.

en 1993, on comptait environ 120 000 colons en Cisjordanie ; leur nombre augmente de 40 000 sous les gouvernements travaillistes (celui de Rabin, puis celui de Pérès, juin 1993-mai 1996, en plein processus d’Oslo !, de 30 000 sous le gouvernement de droite de Benyamin Netanyahu (1996-mai 1999) et encore de 20 000 durant le gouvernement d’Ehud Barak (mai 1999-février 2001). Quand éclate la seconde Intifada, fin 2000,, le nombre de colons en Cisjordanie dépasse les 200 000, plus un nombre équivalent à Jérusalem-Est.

En 2008, le nombre de colons en Cisjordanie approchait les 300.000 selon la Foundation for Middle East Peace et l’organisation de défense des droits de l’Homme B’Tselem. Cette dernière chiffre à 184.700 le nombre de colons à Jérusalem-Est au 31 décembre 2008, soit un total de 475.400 pour la Cisjordanie et Jérusalem-Est. En juillet 2010, un rapport de B’Tselem, s’appuyant sur des sources gouvernementales, révélait que le demi-million de colons occupe 42% du territoire de la Cisjordanie dans 121 colonies.

Revenons pour finir sur les accords d’Oslo signés fin 1993. Ils reconnaissent la souveraineté de l’Autorité palestinienne sur la Cisjordanie et Gaza, et le retrait progressif d’Israël de ces territoires à l’horizon 1998. Mais en septembre 1995, l’accord de Taba («Accord intermédiaire sur la bande de Gaza et la Cisjordanie » ou « Oslo II») divise la Cisjordanie en trois zones :

La zone A (3% du territoire, 20% de la population cisjordanienne) comprend les principales villes palestiniennes, devant être évacuées par l’armée israélienne et passer sous le contrôle de l’Autorité palestinienne. Hébron fait l’objet d’un accord spécial qui prévoit le maintien partiel des Israéliens.

La zone B (27% du territoire, 70% de la population) se compose d’une douzaine de régions rurales. L’Autorité palestinienne y possède les pouvoirs civils, et Israël les pouvoirs en matière de sécurité.

La zone C (70% du territoire, 10% de la population) reste sous contrôle israélien. Les Palestiniens y sont peu nombreux et la zone englobe l’essentiel des colonies juives.

C’est cette zone C, peu peuplée de Palestiniens, que Naftali Bennett, ministre d’extrême droite de l’Éducation, veut aujourd’hui annexer. On peut en conclure que si la plupart des responsables politiques israéliens ont renoncé au Grand Israël (un Israël s’étendant de la mer au Jourdain), car la Cisjordanie est trop peuplée de Palestiniens, ils rêvent toujours d’un Israël aussi grand que possible. et mettent tout en œuvre pour y arriver, Qui donc va les en empêcher ?

Cela méritait bien que ce numéro de Points Critiques se focalise sur ces cinquante ans d’occupation et de spoliation de la terre palestinienne.