Depuis ce dimanche 31 janvier, l’Église du Béguinage est occupée par plusieurs collectifs de personnes sans papiers. Elles réclament une régularisation de leur situation et le droit de travailler, notamment dans les secteurs qui manquent actuellement de main d’œuvre. Le choix d’occuper cette église n’est pas anodin puisqu’elle a déjà accueilli plusieurs occupations par le passé, dont une grève de la faim entamée par 200 personnes sans papiers en 2009. Sur leur page Facebook Occupation politique 2021, les occupant.e.s se définissent comme les oublié.e.s du confinement, les autorités n’ayant rien fait pour leur octroyer un statut pendant cette période de crise sanitaire.
Un rassemblement de soutien est prévu devant l’Église du Béguinage ce mardi 9 février à 17h30.
Venez nombreux.ses! Il est important de soutenir cette action.
Les occupant.e.s ont aussi besoin d’aide matérielle : couvertures, bouteilles d’eau, café, lait sucre, papier de toilette, produits de nettoyage… Les visites de solidarité sont les très bienvenues !
Ci-dessous, un reportage sur place réalisé dimanche 7 février par Laurence Vanpaeschen et Elias Preszow.
Il neige au dehors, ce dimanche sept février.
Pendant qu’au-dedans des matelas s’amoncellent.
La langue que les gens parlent ici ressemble à de l’arabe.
Est-ce celui du Maroc, ou celui de l’Algérie, celui de la Tunisie ou bien de la Libye ?
Dans cette église du Béguinage, mon français est bien impuissant à rendre le sentiment d’étrangeté que j’éprouve devant cet amas de couvertures, de vêtements, de sacs et de corps qui s’entremêlent sous les colonnes gothiques, les nefs…
Il paraît que la commune n’est pas d’accord avec cette occupation.
Que le « droit d’asile » n’existe plus depuis des années maintenant ; et que la police pourrait forcer l’entrée à tout moment pour raisons sanitaires.
Une rumeur continue peuple ce lieu d’attente et d’exil.
Ici, des hommes vont et viennent, emmitouflés dans leurs vestes, un bonnet sur la tête.
Ils se tiennent sur le seuil de l’Europe, espèrent qu’on les reconnaisse enfin, qu’on daigne accepter leur présence sur le territoire belge. Ou, du moins, qu’on fixe des critères clairs et précis, justes enfin, pour pouvoir être régularisés.
Un filet de musique se faufile un passage dans l’air froid de l’hiver.
Il y a ceux qui discutent entre eux, assis ou debout.
Ceux qui sont couchés, somnolant sous les vitraux.
On vous salue simplement, d’un signe bref, personne ne vous demande qui vous êtes, ni ce que vous êtes venu faire là.
Dans un coin, j’ai trouvé une chaise et sorti mon cahier.
Parfois, je lève les yeux pour me mettre au défi de comprendre ce spectacle désespérant, de l’affronter sans illusion.
Et je me demande ce qu’est la vie de ces hommes, jeunes, vieux, entre deux âges, pour qu’ils décident d’occuper ainsi ce lieu à l’hospitalité incommode.
Quel est le sens de la politique, si elle ne rime avec le geste de l’accueil, de la solidarité, de l’entraide ?
Que faut-il encore pour convaincre nos soi-disant dirigeants que ces personnes ont leur place parmi nous ?
Sans doute qu’aucune réponse n’est simple, qu’aucun discours n’est à la mesure de la situation.
Mais la complexité du monde a-t-elle jamais empêché d’agir pour autant ?
Je n’écris pas sur les migrants comme si c’était là un quelconque sujet de dissertation.
Je m’interroge et me questionne : comment soutenir cette lutte ? Comment faire pour que la vie de ces êtres humains soit digne ?
Retour au Béguinage.
Je refais l’histoire sur le chemin, sous les flocons. Combien d’occupations dans cette église, déjà ?
1998, 2008, 2014, 2021…
Et ce film Cent jours au Béguinage, réalisé par des amis sur l’occupation de 98. Il commence sur cette citation du ministre de l’Intérieur de l’époque, Louis Tobback : « Les réfugiés abusent de la procédure d’asile. Ils se ruent ici comme des mouettes sur une décharge, parce qu’il est plus facile de vivre ici que de pêcher chez eux ».
Le même mépris, au fil des années. Explicite, comme celui de Tobback ou de Francken. Celui de leur successeur est plus policé : « Ça n’a pas de sens, on ne me fera pas chanter », dit Sammy Mahdi…
Vingt-trois ans, et rien n’a changé.
À l’intérieur de l’église, la volonté d’organisation est visible.
Service d’accueil, gel désinfectant, bienvenue.
Les matelas alignés, ordonnés.
Des hommes, en majorité.
Le « quartier » des femmes et des enfants est abrité par des draps et des paravents.
Je cherche Tarik, un des porte-parole, Elias me rejoint.
Discussion à laquelle se mêlent plusieurs occupants, jeunes pour la plupart.
Échanges politiques et d’informations factuelles.
Les occupant.e.s sont Marocain.e.s, Algérien.ne.s, Tunisien.ne.s, Libyens, Egyptiens, Pakistanais, Equatoriens.
Les histoires s’enchaînent et se mêlent. Se ressemblent.
En Belgique depuis 5, 10 ou 20 ans , le travail au noir, payé – dans le meilleur des cas – 3 euros de l’heure, l’exploitation comme quotidien, la dépendance sociale, économique et affective, l’humiliation d’une existence au rabais, définie par l’absence administrative, absurde…
L’occupation est politique, insistent-ils. On n’est pas là pour avoir un logement, on en a un. On est là pour revendiquer nos droits, pour nous rendre visibles, pour sortir du silence dans lequel les autorités nous enferment.
Des questions aussi. Toute occupation n’est-elle pas politique ? Les occupations de la Voix des sans papiers à Bruxelles, Liège et Verviers, des sans papiers de St Josse, du Collectif des Afghans, etc. le sont aussi. Oui, elles sont imposées par le non accès au logement de personnes sans ressources parce que sans papiers, elles sont donc également fondamentalement politiques.
Arrive le père Daniel Alliët, indéfectible soutien des personnes sans papiers, entre autres exclu.e.s. Les nouvelles ne sont pas bonnes. La commune de Bruxelles a dépêché cette semaine des expert.e.s sanitaires et logistiques. Le verdict est tombé : l’occupation est contraire aux mesures prescrites par le Covid, elle doit cesser. Un local du CPAS est proposé, les sans papiers refusent. La Fabrique d’Eglise n’est pas favorable à l’occupation du Béguinage, elle préconise la dispersion des occupant.e.s dans d’autres églises, par 15 personnes maximum.
Le prêtre et les occupants avec lesquels nous discutons sont d’accord : aucune visibilité, donc aucune pression politique n’est possible dans ces conditions. Ils verront dans les jours qui viennent comment poursuivre le combat …
Le père Daniel avait appelé toutes les églises, mosquées et synagogues à accueillir ce nouveau mouvement d’occupations pour la régularisation. Il nous apprend que deux occupations de personnes sans papiers dans des synagogues d’Anvers ont été interrompues manu militari par la police ces derniers jours, avec amendes en sus. Aucun relais dans la presse, francophone du moins… Mais, les lieux de culte sont des asiles inviolables, non ? Et bien non, nous dit-il. C’est fini, depuis plusieurs années. La police peut donc entrer dans les lieux de culte et en déloger les personnes indésirables… sauf pendant les célébrations religieuses. Nous planifions donc une messe incessante au Béguinage ! Une « adoration perpétuelle », propose le père Daniel, qui n’en est pas à une subversion près, à décliner par tous les cultes.
Je reviens, le soir, au film « Cent jours au Béguinage ».
Je le revois, après des années.
Les revendications sont les mêmes. Les personnes, heureusement, pas.
Le film se termine sur ce constat : « La politique des sans papiers en Belgique demeure immuable ».
Le combat aussi.
Elias Preszow et Laurence Vanpaeschen