Lancé en mai 2015 en Belgique, le boycott académique et culturel
(BACBI) prend de l’ampleur. Associé au mouvement BDS (boycott économique d’Israël), il n’en finit pas de diviser, au sein du monde juif et au-delà. Les uns dénoncent une campagne injuste, voire indigne, les autres défendent un moyen de pression pacifiste, face à l’impunité dont bénéficie Israël. Appeler à l’annulation de projection de film ou de programmation de spectacles : un moyen d’action efficace ? Dialogue en toute franchise entre un partisan et une opposante au BACBI.

Simone Susskind (SS)
Députée au Parlement de la
Région de Bruxelles-Capitale.
Ancienne Présidente du CCLJ.

Mateo Alaluf (MA)
Professeur de sociologie du
travail à l’ULB.
Signataire du BACBI.

Que recouvre le BACBI ? Un rejet complet des artistes et des universitaires israéliens ?

MA
Il s’agit d’un boycott des institutions, pas des personnes, même s’il peut déboucher sur le refus d’accueillir un individu, s’il représente une institution. Nous voulons protester contre l’occupation, contre le non-respect du droit international et contre les accords de coopération scientifique et technique entre des institutions européennes et israéliennes.

SS
Je suis favorable à la rupture des relations avec les institutions académiques ou culturelles israéliennes installées dans les colonies. Je ne suis donc pas opposée au principe du boycott, pour peu qu’il s’applique de l’autre côté de la ligne verte, mais pas dans les frontières d’Israël.

MA
Le boycott part du constat que sur le terrain, en Israël, la situation est bloquée. Les Israéliens font un déni complet de l’occupation, de la colonisation, du blocus de Gaza, et refusent tout pouvoir et toute crédibilité aux Palestiniens. Il n’y a plus de dialogue possible, et le conflit semble insoluble. Nous défendons l’idée que seule une pression venue de l’extérieur peut faire évoluer la situation dans un sens positif. S’agissant du boycott académique et culturel, notre objectif est de faire comprendre aux institutions israéliennes que, dans ce contexte de blocage, nous rompons avec elles. Sur le plan intérieur, d’ailleurs, certains sont favorables depuis longtemps au boycott, y compris du côté israélien ! En outre les universités israéliennes ne s’illustrent pas dans des actions en faveur du droit et de l’accès à l’éducation, des libertés académiques. Il n’y a donc pas de raison de leur donner un statut privilégié. Concrètement nous tentons d’empêcher la reconduction d’accords de coopération entre nos universités et des universités israéliennes. La question s’est posée par exemple dans le cadre des programmes Erasmus. Et nous pensons que le BACBI aura autant d’effet, si pas plus, que sur le plan économique.

SS
Je vois peu d’impact en Israël de ce type de boycott. Au contraire : des accords de coopération entre universités israéliennes et européennes continuent d’être signés, le programme « horizon 2020 » (Le programme de recherche de l’Union européenne, NDLR) se poursuit sans que soient imposées des conditions aux institutions et au gouvernement israélien. L’Union européenne porte à ce titre une grave responsabilité, selon moi. Le boycott est même contre-productif, parce qu’il n’aide pas ceux qui ,à l’intérieur du pays, y compris dans le monde académique, cherchent à peser sur leur propre gouvernement. Je suis convaincue en revanche que nous devons continuer à nous mobiliser pour faire pression sur l’Union européenne et sur nos gouvernements afin d’obtenir des avancées sur le plan diplomatique, qui seraient beaucoup plus efficaces que le boycott.

Mais n’est-ce pas précisément face à l’impuissance des responsables politiques que ce genre d’initiatives trouve sa justification ? Que penses-tu de l’argument : « en tant que société civile le boycott est le seul moyen d’action qui nous reste » ?

SS
Connaissant les Israéliens et le dynamisme de la société civile en Israël, ce type d’initiatives n’a pas d’impact positif. L’exemple du débat autour de la FIFA est éclairant. La ligue israélienne de football est menacée d’exclusion pour non respect des règles de la FIFA parce que plusieurs de ses équipes jouent depuis les territoires occupés. Une exclusion serait un véritable choc pour les Israéliens, grands fans de foot. Voilà qui pourrait avoir des véritables effets sur le terrain.

MA
C’est exactement la justification du boycott : dans ce cas-ci, c’est la crainte de l’exclusion sur le plan sportif qui pourrait faire reculer le gouvernement israélien. Sur le plan académique et culturel, symboliquement c’est important. Bien sûr des accords sont toujours conclus, aussi bien par des universités que par l’Union européenne. Mais à nous d’agir pour tenter de les contrer.

Concrètement, le BACBI implique-t-il que des pressions soient exercées au sein d’une université belge pour empêcher l’invitation d’un universitaire israélien ?

MA
Dans le cas de la visite d’un professeur, la question est de savoir s’il est invité à titre personnel, suite à une relation individuelle, ou au terme d’un accord institutionnel. Mais au niveau de l’université même, les signataires du BACBI essayent plutôt d’agir sur les accords de collaboration entre établissements.

SS
Je crois bien davantage aux initiatives menées sur le terrain par la société civile. Et il y en a, même si elles restent encore minoritaires. Un exemple : l’opération « Israeli-Palestinian Congress of the People », qui consiste à réunir des citoyens Palestiniens et Israéliens au centre de Tel Aviv, pour « négocier » à leur niveau les termes d’une résolution du conflit. La dernière fois, 250 palestiniens ont ainsi réussi à sortir de Cisjordanie, pour rencontrer des « homologues » israéliens.

MA
Je ne fais pas de course à l’efficacité. Je soutiens bien évidemment toutes les initiatives qui peuvent contribuer à rassembler à l’intérieur. Je souhaite naturellement que les problèmes puissent être solutionnés autrement que par le boycott ! Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, et je pense en outre que le boycott peut renforcer les actions positives menées en Israël.

N’y a-t-il pas des excès commis au nom du boycott ? Ne risquent-ils pas de décrédibiliser le mouvement ?

MA
Il est vrai qu’il y a des excès, des actions et des propos radicaux de la part de certains, et des antisémites peuvent en profiter. Pour ce qui est du boycott académique, je fais confiance à mes collègues. Dans toutes les prises de positions, de quel côté que ce soit, il y a des intervenants très discutables. Il y a des tenants de visions sectaires, que je condamne.

Les promoteurs du BACBI sont-ils suffisamment fermes dans leur condamnation des dérapages ?

MA
Je pense que oui. Mais il y a instrumentalisation, dans les deux sens. Il faut dénoncer ceux qui se servent abusivement du boycott, ce que j’ai toujours fait, mais aussi ceux qui utilisent l’argument de l’antisémitisme pour décrédibiliser toute critique de la politique israélienne.

SS
Le gouvernement israélien et les communautés juives structurées ont organisé une campagne de délégitimisation du boycott, par le biais d’une méthode assez classique et malheureusement efficace : dénoncer BDS comme un mouvement antisémite. En France cela a mené à la criminalisation du mouvement. Je ne pense pas que les partisans du boycott soient antisémites. Mais il y au sein du mouvement BDS des individus et des propos dont il faut clairement se distancier.
Le boycott culturel vise à empêcher des artistes israéliens de se produire chez nous ?

MA
Nous ne nous opposons pas à la venue d’artistes israéliens dans l’absolu. Beaucoup sont remarquables, autant sur le plan artistique que politique. Mais nous boycottons des œuvres et des artistes dont la présence chez nous est liée à des institutions israéliennes, comme l’ambassade d’Israël, même s’il s’agit d’artistes progressistes. Encore une fois, nous ne visons pas les personnes mais les institutions.

SS
Lors du passage à Bruxelles en janvier 2016 de Batsheva, la plus grande compagnie de danse israélienne, des chorégraphes belges, dont Alain Platel, ont appelé au boycott du spectacle. C’est incompréhensible ! Ohad Naharin, qui dirige la compagnie, est progressiste, engagé contre son gouvernement.

MA
Je respecte le choix d’Alain Platel mais je ne peux me prononcer davantage parce que je ne connais pas suffisamment ce cas. Je m’en tiens à la définition que j’ai donnée. Je précise qu’il n’existe aucune « autorité du BACBI » qui imposerait une position ou une autre. Chacun garde sa liberté de jugement.

SS
Je suis convaincue que Ohad Naharin et sa compagnie refusent de jouer dans les colonies. Eux-mêmes exercent donc un boycott culturel d’une certaines manière. N’est-ce pas un engagement suffisant ? Cela est certainement aussi le cas d’écrivains ou de cinéastes, venus ici avec le soutien de l’ambassade d’Israël. L’ambassade continuera à financer des déplacements d’artistes, le Centre du cinéma continuera à soutenir la production de films formidables et nécessaires parce qu’ils s’opposent à la colonisation et aux politiques de leur gouvernement ! Il ne faut pas refuser de les recevoir, bien au contraire. Il faut les rencontrer, réfléchir à la meilleure manière de les aider dans leur combat.

Autre exemple : le cinéaste britannique Ken Loach a appelé au boycott de festivals de films israéliens : n’est-ce pas contre-productif ? Ne ferme-t-on pas ainsi la porte à des artistes bien souvent très durs à l’égard de leur gouvernement ?

MA
Je ne pense pas qu’on leur ferme la porte. Ces films sont joués en salle et les messages portés par ces cinéastes sont diffusés. Mais un festival de films israéliens, présenté comme la vitrine de la politique israélienne, qui se donne ainsi l’image d’une démocratie exemplaire, alors qu’elle occupe, colonise et ne respecte par les droits de l’homme, je ne peux pas le soutenir. En ce sens, je pense que Ken Loach a raison.

SS
Tout le monde sait exactement à quoi s’en tenir sur le gouvernement israélien et la politique d’occupation. Je crois plus important que ces films soient vus chez nous, que ces réalisateurs et ces artistes puissent être entendus. Si l’Etat israélien les aide financièrement à venir délivrer chez nous une parole qui correspond à nos valeurs, encourageons-les ! Ces artistes et académiques ont plus que jamais besoin de notre soutien pour continuer à diffuser leurs messages et leur combat dans leur propre pays. Pour moi c’est cela la priorité.