Des représentants d’organisations de la société civile dont l’UPJB et l’ABP appellent à se munir des bons outils pour lutter contre l’antisémitisme, et alertent sur les tentatives d’instrumentaliser ce combat pour empêcher toute critique d’Israël.
Une carte blanche publiée dans Le Soir le 27 juin 2021.
Mardi 21 juin, le Conseil communal de Forest a adopté à l’unanimité moins une abstention une motion préconisant l’adhésion à la Stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et au maintien de la vie juive en Europe, rejoignant ainsi les municipalités d’Uccle et d’Ixelles. D’autres communes seront vraisemblablement bientôt amenées à se prononcer sur le même texte.
Le consensus ainsi dégagé parmi les conseillers communaux présente a priori quelque chose de rassurant quant à la prise en compte de tous les racismes, dont l’antisémitisme. Les chiffres établissent en effet tant un renforcement du sentiment d’insécurité chez les Juifs en Europe qu’une hausse des actes antisémites, notamment dans le contexte de crise sanitaire. Il importe de reconnaître cette inquiétante tendance et de déployer les moyens nécessaires pour la contrer.
En s’appuyant pour ce faire sur ladite stratégie européenne, les communes risquent malheureusement de manquer leur objectif, en légitimant une approche de la lutte contre l’antisémitisme problématique à bien des égards. Si l’intention de départ de cette stratégie, présentée par la Commission européenne le 5 octobre dernier, est louable, certains moyens pour la mettre en œuvre ne sont pas sans poser question, tant du point de vue de leur efficacité que des dangers pour la liberté de critiquer la politique israélienne.
Une définition controversée de l’antisémitisme
Ainsi, la Commission confirme dans ce document la centralité que revêt pour elle l’usage de la définition opérationnelle de l’antisémitisme préconisée par l’« International Holocaust Remembrance Alliance » (IHRA) depuis 2016. Imprécise, celle-ci est assortie d’exemples majoritairement en lien avec Israël, parmi lesquels « le refus du droit à l’autodétermination des Juifs, en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste ». De fait, l’autodétermination des Juifs israéliens a été réalisée au prix du déni de ce droit pour les Palestiniens. Cette réalité a été consacrée dans la « Loi fondamentale » israélienne de 2018, qui réserve l’autodétermination au seul peuple juif en Israël. Il n’est pas antisémite de constater ces faits et de les condamner. Selon ce critère retenu par l’IHRA, le rapport publié par Amnesty International en février 2022 qui conclut, au terme d’un travail d’enquête remarquablement étayé, à l’existence d’une politique raciste d’apartheid contre les Palestiniens depuis la création d’Israël, devrait être considéré comme antisémite…
De nombreuses voix juives ont publiquement critiqué la façon dont la définition de l’antisémitisme de l’IHRA était « instrumentalisée » pour délégitimer la contestation des politiques israéliennes, dont son auteur principal Kenneth Stern. Dans le même esprit, plus de 200 chercheurs reconnus pour leur travail sur la Shoah, les études juives et le Moyen-Orient ont publié la « Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme », dans le but d’apporter une définition de l’antisémitisme qui évite les biais de celle de l’IHRA.
Instrumentalisation de la diaspora juive par Israël
Autre problème majeur de cette stratégie européenne : le choix d’associer encore plus étroitement Israël à la lutte contre l’antisémitisme. On peut en effet lire au point 4.1 du document : « Israël est un partenaire clé de l’Union européenne, y compris dans la lutte mondiale contre l’antisémitisme. L’UE s’efforcera de renforcer le séminaire de haut niveau UE-Israël sur la lutte contre le racisme, la xénophobie et l’antisémitisme, coorganisé annuellement, en mettant l’accent sur le suivi opérationnel. » Cette association contribue à nourrir l’amalgame très contestable entre les Juifs et la politique israélienne, alors même que la Commission évalue elle-même à 79 % le nombre de Juifs qui se sentent mis en cause par les actions d’Israël et à 69 % ceux qui ressentent un impact du conflit israélo-palestinien sur leur sécurité.
Elle est d’autant plus aberrante qu’il semble clair que les buts poursuivis par le gouvernement israélien ne se confondent pas avec la défense des Juifs en Europe ou ailleurs. Israël assimile en effet toute critique de sa politique coloniale à de l’antisémitisme, alors même que de nombreuses voix juives européennes et américaines dénoncent la politique israélienne de colonisation des territoires occupés depuis 1967 et la répression qu’Israël y exerce contre la population palestinienne. A l’inverse, il n’a aucun mal à fermer les yeux sur les manifestations d’antisémitisme lorsqu’elles sont le fait de ses alliés stratégiques. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avait ainsi soutenu son homologue hongrois Viktor Orban dans sa campagne médiatique pétrie de clichés anti-juifs contre le milliardaire Georges Soros, au grand dam de la communauté juive locale. Le même Netanyahou a osé affirmer qu’Hitler « ne voulait pas exterminer les Juifs » et ne serait passé à l’acte que sous l’influence du Mufti de Jérusalem, n’hésitant pas à sacrifier la mémoire des victimes du judéocide sur l’autel de sa croisade visant à discréditer les Palestiniens.
En recourant à une définition biaisée de l’antisémitisme et en associant aussi étroitement Israël, cette stratégie européenne dessert la cause qu’elle prétend défendre. Attachés tant à la lutte contre tous les racismes qu’au droit à la critique de la politique israélienne, nous appelons ceux qui partagent ces deux principes à s’abstenir de la valider.
*Cosignataires : Marianne Blume, administratrice à l’ABP ; Ludo De Brabander, porte-parole de Vrede VZV ; Eleonore Bronstein, co-fondatrice de l’association israélienne De-colonizer) ; Sarah de Liamchine, codirectrice de Présence Et Action Culturelles (PAC) ; Ariane Estenne, présidente du Mouvement ouvrier Chrétien (MOC) ; Pierre Galand (Président de l’ABP et du Forum Nord-Sud) ; Jeanne Maillart, Responsable nationale Jeunes CSC ; Martin Maréchal, président par interim de la Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie (CNAPD) ; Ali Niaz, Ecolo J ; Stefan Nieuwinckel, directeur de Pax Christi Vlaanderen ; Jérôme Peraya, Agir pour la Paix ; Paula Polanco, présidente d’INTAL ; Fanny Polet, directrice de Viva Salud ; Michel Staszewski, membre de la commission antiraciste de l’UPJB ; Nozomi Takahashi, Campagne belge pour le boycott académique et culturel d’Israël, BACBI) ; Felipe Van Keirsbilck, Secrétaire général de la Centrale Nationale des Employés (CNE) ; Veronique Wemaere, directrice de SOLSOC.