« Le soleil de demain nous illuminera le présent,
Et hier disparaîtra avec l’ennemi.
Seulement si le soleil et l’aube manquent,
Alors comme une parole donnée, ce chant ira de génération en génération. »[1]
s’vet di morgn-zun bagildn undz dem haynt,
un der nekhtn vet farshvindn mitn faynt,
nor oyb farzamen vet di zun in dem kayor –
vi a parol zol geyn dos lid fun dor tsu dor.
ס‘װעט די מאָרגן־זון באַגילדן אונדז דעם הײַנט,
און דער נעכטן װעט פֿאַרשװינדן מיטן פֿײַנט,
נאָר אױב פֿאַרזאַמען װעט די זון און דער קאַיאָר–
װי אַ פּאַראָל זאָל גײן דאָס ליד פֿון דור צו דור.
Zog nit keynmol est écrite en 1943, dans le Ghetto de Vilnius. Un peu plus tard, au 61 rue de la Victoire, elle résonne toujours. Portée par la chorale depuis plusieurs années, elle continue à exister dans la maison et au-dehors.
Pour nous, elle résonne seulement, car le yiddish c’est pas facile, alors on la fredonne, on l’évoque, on lui rend hommage et quelques fois, quelquefois, quelqu’un se souvient des paroles et s’empresse de guider les voix de bonne volonté. En tout cas à l’UPJB-Jeunes on la connaît la chanson, on la connaît peut-être pas comme il faut, comme Hirsch Glick s’était imaginé qu’elle irait « de génération en génération », mais elle est là, dans les locaux, dans les couloirs, comme une chose très importante qu’on sait qu’il faut garder en tête, qu’il faut transmettre, et comme pour les autres choses, on ne sait pas toujours très bien comment procéder mais ça marche, ça nous échappe un peu, mais ça se transmet. Et, au prochain camp, nous entendrons encore du yiddish résonner avant le repas, dans nos oreilles ou dans nos cœurs.
« Dans un dernier sursaut de dignité, les survivants s’organisent, s’arment comme ils le peuvent et se battent au nom de la dignité humaine. »[2]
Cela peut sembler bizarre qu’un des vecteurs de ce soulèvement soit la dignité humaine. Mais à y réfléchir, on se rend bien compte que celle-ci est en fait l’une des choses les plus importantes pour l’humanité… Nombreuses sont les personnes qui, au jour le jour, se battent pour la garder auprès d’elles.
En effet, après avoir lu le passage plus haut, une question peut nous turlupiner : cette dignité, ne serait-elle pas l’un des trésors les plus précieux pour l’Humain ?
Oui, elle l’est, et beaucoup de personnes l’ont déjà perdue, et celles-ci l’ont perdue de manières différentes.
D’un côté, il y a celleux qui l’ont perdue à cause d’un.e autre humain.e. À cause de violences, de discriminations etc.
De l’autre, se sont justement celleux qui les font subir.
Car oui, si une personne commet des actes de violence envers quelqu’un.e d’autre et, de plus, le.a dénue de son précieux trésor, alors soyons d’accord pour dire que cette personne n’en n’a pas non plus ! Laissons ces horribles personnes sur le bas-côté de la route et préoccupons-nous de la première catégorie.
Pour leur cas, rien n’est tout à fait perdu. Si une personne a su voler leur précieux bien, quelqu’un.e d’autre doit pouvoir le leur rendre. Même si cette tâche est laborieuse, elle est faisable.
Alors nous tous et toutes, soyons les chirurgien.ne.s de ladite dignité et aidons les personnes l’ayant perdue de force à la regagner ! Soyons pour elles les ami.e.s sur lesquel.le.s elles pourront toujours compter. Soyons celles et ceux qui lanceront le déclic de leur reconstruction. Soyons celles et ceux qui lanceront le début de leurs propres insurrections !
« Finalement, les Allemands ont annoncé une distribution de pain. À tous ceux qui se porteraient volontaires pour partir travailler – trois kilos de pain par personne, avec en plus de la confiture. Écoute-moi bien, mon enfant. Est-ce que tu sais ce qu’était alors le pain dans le ghetto ? Si tu ne le sais pas, tu ne comprendras jamais comment des milliers d’individus ont pu venir d’eux-mêmes et partir avec leur pain à Treblinka. Personne n’a jamais pu le comprendre. »[3]
Je pense qu’il y a eu plusieurs étapes dans ma perception de cette réalité. D’abord celle, où, jeune enfant, j’en avais une petite connaissance, j’en savais quelque chose, mais c’était pour moi une histoire tragique et lointaine, un « il était une fois » particulièrement effrayant. C’était encore un peu superficiel, voir irréel.
Il y a eu un certain déclic dans mon ressenti, un jour en lisant une BD sur la deuxième guerre mondiale, quand cette histoire qu’on m’avait racontée plusieurs fois est soudain devenue pour moi une réalité plus claire, dans toute son horreur. Les gens autour de moi étaient étonné·e·s de me voir fondre en larmes. J’étais profondément affectée.
Je ne puis dire qu’un jour, je comprendrai vraiment.
Constatant ces différents niveaux de connaissance, compréhension, conscience, je pense qu’il est important d’encore se plonger dans ce que vivaient les juifs pendant cette guerre, en visitant des textes et témoignages, pour essayer de s’imaginer cette réalité. C’est un travail très important pour les mémoires, d’analyser l’invraisemblable et pourtant vrai, et essayer de le comprendre. Mais sans doute est-ce impossible, de vraiment comprendre.
Cet extrait nous montre, par un exemple simple, que quand on ne connaît pas la faim, cette faim-là du moins, on ne peut pas comprendre, et on ne le pourra jamais. Il y a une part d’incompréhensible, d’imperceptible, quand on ne connaît pas ce qu’était le pain dans le ghetto.
Je ne dis pas cela pour être défaitiste ou pour dire que c’est vain d’apprendre l’histoire. Nous devons écouter, lire, discuter pour essayer tant bien que mal de s’imaginer, mais gardons en tête que malgré tous nos efforts, certaines choses nous échapperont… Même si l’on ne peut pas ressentir la même peine que ceux qui l’ont vécue, l’essentiel aujourd’hui n’est pas de souffrir quand on se penche sur cette période, c’est d’en tirer les leçons. Faisons preuve d’humilité quand on dit comprendre, mais exerçons notre devoir de mémoire, expliquons et avertissons les générations futures sur ce qu’est l’antisémitisme, ce qu’a été la Shoah.
– « Le 18 au soir, nous nous sommes réunis chez Anielewicz, tous les cinq, l’état-major. Je devais être le plus vieux, j’avais vingt-deux ans. Anielewicz avait un an de moins. À nous cinq, nous avions cent-dix ans. »[4]
En lisant ce texte, nous nous rendons compte que nos âges sont très proches. Eux, leaders.euse.s de l’insurrection, et nous, monos de l’UPJB. Et que, sans comparer ces deux contextes très différents, leurs luttes nous inspirent énormément.
J’ai l’impression, l’espoir, l’envie de me dire que nous, moniteur.trice.s de l’UPJB-Jeunes, continuons la lutte, des années après, sur leurs traces.
Nous continuons à lutter contre le racisme et les discriminations par nos actions et la sensibilisation des jeunes lors de nos activités.
Nous pourrions citer notre participation depuis maintenant plusieurs années au Steenrock, un festival de musique pour la suppression des centres fermés et de l’enfermement des familles.
Les monos et les jeunes sont touché.e.s et intéressé.é.s par beaucoup de thématiques ; la question du genre, les conflits, la politique, la colonisation… (ces thèmes sont d’ailleurs abordés lors des camps et/ou des réunions du samedi).
Nous nous sentons concerné.e.s par les mesures discriminantes et non respectueuses des droits humains que peuvent prendre nos politiques ou même tout simplement notre société, telles que la discrimination à l’emploi, au logement, à l’éducation…
En tant que jeunes, nous nous rendons compte des injustices et des inégalités que notre société génère parmi les individus et les groupes d’individus. L’UPJB a créé un lieu où les enfants et les monos débattent de ces questions.
Malheureusement, l’antisémitisme, le racisme et la discrimination n’ayant toujours pas disparu, il nous semble important de continuer à lutter ensemble pour un monde meilleur et plus juste.
Un monde où les origines, les ethnies et les croyances ne pourront pas être un prétexte aux violences.
L’UPJB, par son histoire, nous permet de pouvoir continuer cette lutte ; enfants, jeunes et moins jeunes, tou.te.s ensemble.
Films et Livres référence :
– « Le temps du ghetto » de Frédéric Rossif, 1961 (film documentaire),
– « Le pianiste » de Władysław Szpilman, Éditons Pocket (livre),
– « Prendre le bon Dieu de vitesse » de Hanna Krall, Éditions Gallimard (livre),
– « Le Chant du peuple juif assassiné » de Itzhak Katzenelson, Éditions Zulma (livre de poésies),
– « Si c’est un homme » de Primo Levi, Éditions Pocket (livre)
– « La révolte du ghetto de Varsovie (l’énergie du désespoir) » (documentaire sur youtube).
[1] Extrait : « Chant des partisans » Zog nit keynmol, Hirsch Glick
[2] Extrait : « L’insurrection du ghetto de Varsovie , Ina.fr, disponible sur https://m.ina.fr/contenus-editoriaux/articles-editoriaux/l-insurrection-du-ghetto-de-varsovie?fbclid=IwAR1_gLwK8a8I2EfF3miqaCXeWuJ3R1T0_AS0HhfQpVJCiU2JsDR4H0933oA
[3] Extrait : « Prendre le bon Dieu de vitesse », Hannah Krall
[4] Extrait : « Prendre le bon Dieu de vitesse », Hannah Krall