Catherine Buhbinder nous livre le compte-rendu de la première séance du séminaire philo consacré à Judith Butler. Les prochains séminaires auront lieu le jeudis 18 avril, 16 mai et 20 juin à 19:00 à l’UPJB. Retrouvez plus d’infos dans l’agenda.

Séminaire Judith Butler à l’UPJB – Séance du 28 mars

Compte rendu par Catherine Buhbinder

J’ai tout d’abord envie de remercier les 8 personnes qui sont venues à l’UPJB, ce jeudi 28 mars 2024 pour participer à ce séminaire. Vu le peu de publicité qui été faite pour l’annonce de celui-ci, cela représente un réel succès et démontre qu’un tel séminaire peut susciter un grand intérêt ! Comme je ne me permettrais pas d’affirmer, à leur place, que ces personnes ont été satisfaites ; je veux juste clamer à quel point j’étais, moi, infiniment heureuse d’être là, avec elles, penchés ensemble autour de la problématique Butler ! Si bien sûr, ce serait magnifique, à terme, de former une équipe qui se connait et a l’habitude de travailler ensemble, le séminaire reste totalement ouvert à tous !

Pour un coup d’envoi, cette première rencontre avait peut-être le défaut de ses qualités, car il fallait à la fois laisser aux participants le temps de se présenter et dire ce qui les amenaient personnellement, à l’UPJB, avec quelles attentes et aussi quels outils, ils venaient, chacun. Tout en présentant déjà un avant-goût de ce que nous devrons, en réalité, construire ensemble ! Et nous nous sommes effectivement retrouvés en une palette très disparate de belles personnes :  membres de l’UPJB ou pas, juifs et non juifs, habitués à lire la philosophie ou pas, âgées de 30 à 90 ans, etc. Personnes dont les attentes étaient également autant diversifiées qu’intéressantes ! Certaines, non juives, sont venues parce que la question juive leur permet de rebondir sur leur propre identité. D’autres, parce qu’à leurs yeux, la question juive est aussi une question belge et qu’elles veulent combler une ignorance à cet endroit. Des personnes juives ont découvert l’UPJB, choquées qu’on ait pu, à ce point parler à leur place, ailleurs. Des membres de l’UPJB sont venus, parce qu’ils se désolent du fossé qui s’est creusés entre juifs de l’UPJB et de d’autres qui n’y sont plus. D’autres encore, peut-être les plus âgés, étaient fidèles au poste de l’UPJB, lorsqu’il s’agit de réfléchir ensemble ! Ceux-là néanmoins s’interrogent sur ce que c’est qu’un séminaire de philosophie et sur la différence entre la politique et la philosophie. Et aussi sur le caractère que prendra ce séminaire. Si pour certains, il faudra surtout être soucieux d’une juste distribution de la parole, d’autres craignent que nous nous lancions dans un travail infini. Enfin au moins une participante est venue pour Butler elle-même, connue pour ses travaux sur le genre et sa réputation audacieuse ! Quel rapport entre le féminisme queer et les juifs ?

À mes yeux – et c’est ce que je voulais montrer – ce que Butler nous propose est surtout un défi ! Elle l’évoque dans les toutes premières pages ou lignes de l’introduction (distribuées en séance) : Y a-t-il une « pensée juive » alternative au sionisme ? Y a-t-il moyen de se « départir » de notre judaïsme pour penser autrement. Qu’y a-t-il de « juif » dans une pensée philosophique ? Qu’est-ce qu’une pensée juive/non juive ? Peut-on voir le judaïsme en termes de « traduction » ou de « dérivation » ? Elle nous prévient d’emblée que c’est « une tâche à la fois impossible et nécessaire » ! Si j’ai donc forcément déçu ceux qui s’attendaient, tout de suite, à en savoir plus sur Judith Butler, ou, au moins, détenir quelques éléments permettant de prendre position dans le débat idéologique que se mène, aujourd’hui, en France autour d’elle, ou de ce qu’elle a pu dire lors de cette rencontre du 3 mars, ce n’était effectivement pas mon intention ! Ni de rentrer dans les débats idéologiques, ni de juger trop vite ! C’est, à mes yeux, l’initiative ou l’initiation même de ce travail d’investigation « impossible et nécessaire » qui importe ! Il existe, postule Butler, « des ressources juives susceptibles d’être mobilisées pour une critique de la violence d’Etat », « une critique juive de la violence israélienne », « des valeurs juives de cohabitation avec le non juif », « une judéité différente », etc. Pour conduire son investigation, il lui faut réellement la construire ! Elle réouvre ainsi un tas de dossiers commencés par d’autres (philosophes juifs et non-juifs), à des époques révolues, qu’elle interroge à la lumière d’enjeux éminemment contemporains qui caractérisent son propre travail : le colonialisme, la violence étatique et la résistance, la mondialisation, le nationalisme, etc. Ce pourquoi, je propose, assez concrètement, d’avancer dans nos travaux en étudiant un par un ces grands philosophes évoqués par Butler : 1° Emmanuel Levinas et la question de l’éthique, 2° Hannah Arendt et la question du nationalisme, 3° Walter Benjamin et la question de la violence, ainsi que celle de l’histoire, 4° Primo Lévi et la question de la mémoire, 5° Edward Saïd et la question de l’Orientalisme.

Pour cette première séance, nous nous sommes penchés sur le titre de l’ouvrage « Vers la cohabitation », qui représente déjà tout un programme et une orientation philosophique assurément juive, selon Butler. Elle évoque la question de l’utopie, du binationalisme et de l’éthique (Voir autre extrait distribué p. 41) ! Le sous-titre de l’ouvrage « Judéité et critique du sionisme » contextualise cette ambition. Et, là, je peux prendre mes propres interrogations et encrages à l’UPJB comme repères (Le projet récent de réécriture de notre Charte en est une nouvelle démonstration !). Nous n’avons pas cessé de nous y interroger sur notre spécificité de juifs diasporiques, belges et progressistes, rétifs à la fois à la religion en général, et à la centralité d’Israël. Et, nous nous sommes résolument situés à la marge de la communauté juive (majoritairement sioniste) dans la mesure où dès le départ, la solution sioniste (nationale/nationaliste, étatique voire religieuse) ne nous semblait répondre, ni à nos aspirations juives (qui étaient universalistes et généreuses, mémorielles, ou en tous cas d’une autre sorte, …), ni aux problèmes de l’antisémitisme. L’édification d’un foyer juifs en Israël, si elle était de l’ordre de la réalité historique et familiale, ne nous a jamais convaincus du point de vue de notre identité ! Il nous semblait surtout inacceptable qu’une solution pour les juifs puisse aller de pair avec la violence à l’encontre d’un autre peuple. Il me semble aujourd’hui – après le 7 octobre, et un génocide en cours – encore plus difficile que jamais, – mais néanmoins nécessaire ! – de tenir notre position ! Nous avons besoin autant de courage politique que d’outils intellectuels. Pouvons-nous encore nous réfléchir juifs progressistes et diasporistes, alors que c’est en Israël/Palestine, assurément, que se joue l’avenir des juifs, autant que des Palestiniens ? Sommes-nous acculés à déconstruire le sioniste pour sauver notre judéité ?