[Archive] De l’écran au papier, les passionnantes chroniques d’André Markowicz

Par Tessa Parzenczewski

À l’occasion de la venue d’André Markowicz à l’UPJB le vendredi 23 septembre prochain, nous sommes allés rechercher l’article écrit par Tessa Parzenczewski pour le Points Critiques de septembre-octobre 2017, alors que sortait le deuxième volume de ses Partages.

C’est sur Facebook que chronique Markowicz, régulièrement, depuis juin 2013, c’est depuis « ce lieu sans lieu » qu’il nous parle, non pas de sa vie intime, mais essentiellement de cette quête de longue haleine qu’est la traduction, ce patient décryptage des structures, de la musicalité et du sens d’un texte pour le faire voyager vers une autre langue, sans dommages. Aujourd’hui, ces chroniques sont devenues livres. Il y eut Partages 1 déjà épuisé (réimprimé depuis lors, NDLR), et voici le 2. Celui qui a traduit l’intégrale de Dostoïevski, mais aussi Shakespeare, nous offre un parcours d’une richesse inouïe où la poésie, comme fil rouge, circule à travers espace et temps, et répercute les convulsions de l’Histoire. Et par-delà les siècles, des étranges connivences se tissent. De l’exil d’Ovide à l’assignation à résidence de Pouchkine, les poèmes se répondent. Et si Pouchkine est omniprésent, toutes les figures emblématiques du terrible 20e siècle russe ne sont pas oubliées: Tsvétaïeva, Mandelstam, Maïakovski dont Markowicz nous donne le dernier poème, si amer. Moi aussi/ l’agit-prop/ j’en ai plus qu’assez/j’aimerais/ moi aussi donner/ dans le touchant/ c’est plus profitable/ et on en ressort/ moins cassé/ mais je me réprime/ et je vais / marchant / sur la gorge / de mon propre chant. Et puis Akhmatova, que parfois Markowicz ne parvient pas à traduire. Alors, il laisse le texte en russe et traduit mot à mot, comme un récit, ce qu’il fit de vive voix, à l’UPJB, en mars dernier, nous transmettant, tout au long de la soirée, des émotions en partage.

Deux petites filles du début du siècle passé figurent sur la couverture. La grand-mère et la grande tante de l’auteur. Elles connurent les geôles staliniennes et le siège de Leningrad. Markowicz n’oublie jamais les bruits du monde. Les tragédies d’hier et les menaces d’aujourd’hui. Certaines traces ressurgissent. Le yiddish parlé encore dans un café à Paris,  le Chant des partisans juifs écrit par Hirsh Glik en 1943 au ghetto de Vilna et qu’il ne peut écouter sans trembler, l’évocation émouvante de Marek Edelman, et, dans la foulée, le ghetto de Varsovie dit au plus près de l’insoutenable réalité, par le poète américain Charles Reznikoff.  Gaza, l’Ukraine,  la Russie de Poutine, l’extrême-droite en embuscade, nous valent des pages indignées, si pertinentes.  Mais toujours la poésie revient. Celle que Markowicz écrit lui aussi, au fil des années, instantanés elliptiques et intenses, où, en raccourcis insolites, affleure, par allusions, l’univers de l’intime. Et plus inattendue, la poésie chinoise du 8e siècle, temps meurtrier d’une guerre civile qui fit plus de 30 millions de victimes. Ne connaissant pas la langue, c’est sur base d’un mot à mot que le traducteur s’est lancé dans l’aventure d’ Ombres de Chine.  Et l’on entend les voix de Tu Fu, de Po Chü-i,  qui évoquent dans une langue limpide, minimale, mais non moins déchirante,  le déracinement, l’errance, la captivité…  Et en écho, des siècles plus tard,  un vers laconique de Pasternak: Dans notre sièclefauve/de peur et de folie/

Que dire encore? Suivez Markowicz sur Facebook, et si vous êtes rétifs aux réseaux sociaux, plongez-vous dans « Partages », les découvertes y sont inépuisables.

ANDRE MARKOWICZ, Partages. Vol. 1 & 2, Éditions Inculte, 579 p. 23,90 €