Edito #4

De Gaza au 127bis

Il y a des morts qui dérangent le silence. Des morts, comme des vérités qu’on repousse, comme des cris qu’on refuse d’entendre. Mahmoud Ezzat Faragh Allah avait 26 ans. Il venait de Gaza, un territoire où la vie est déjà une lutte contre l’effacement. Gaza, où depuis des mois, la violence a pris des dimensions génocidaires connues désormais de tous.

Mahmoud n’est pas mort sous les bombes israéliennes. C’est ici, en Belgique, qu’il a mis fin à ses jours – dans une cellule du centre fermé 127bis, où l’on enferme les déboutés du droit d’asile en attente d’expulsion. Après des semaines d’enfermement, des calmants distribués comme des menottes, et l’absence de soins. À son arrivée, il venait d’apprendre le décès de sa mère restée au pays. Sans pouvoir dire adieu, ni assister à son enterrement. Un deuil confisqué et un enfermement forcé, une double disparition : celle d’un monde perdu et celle d’un avenir impossible.

Comme lui, d’autres Palestiniens ont été arrêtés ces derniers mois à la sortie de rassemblements pacifiques et placés en centre. La plupart sont ce qu’on appelle des dublinés : des personnes à qui un autre État européen a déjà reconnu une protection temporaire, et vers lequel la Belgique menace désormais de les renvoyer. Certains d’entre eux ont été expulsés, d’autres sont encore enfermés, et déplacés de centre en centre.

Ces enfermements des exilés palestiniens trouvent aujourd’hui une résonance particulière : alors que l’Union Européenne normalise, par son silence, les massacres à Gaza, ils prolongent ce silence en réprimant, ici, ceux qui portent en eux la mémoire vivante. L’impunité là-bas et la répression ici procèdent d’un même effacement politique : l’un tue par les bombes, l’autre par les arrestations policières et les dispositifs anti-migratoires.

Mahmoud est mort au croisement de ces deux violences – celle du colonialisme israélien et celle du contrôle migratoire européen – , entre la mémoire d’un peuple qu’on assassine et la politique d’un continent qui préfère ne pas voir. Sa mort n’est pas une exception, mais le point d’orgue d’une mécanique qui confond gouverner et exclure, protéger et punir, soigner et sédater. Un système où le silence administratif prolonge la destruction politique.

Depuis le 61 rue de la victoire, ces enfermements et ces décès qui dérangent le silence résonnent avec notre propre histoire, celle des exils imposés, des murs, des files d’attente et des vies rendues illégitimes. Ils sont l’écho de ce que nos morts nous ont appris : aucune raison d’État ne justifie la négation de l’humain.

Parler de Mahmoud, soutenir les exilés enfermés, lutter pour une Palestine libre, c’est refuser que la mémoire se coupe du présent et maintienne vivante une conscience commune face à l’oubli. Car la justice n’advient pas dans le souvenir, mais dans la manière dont on choisit de répondre à ce qu’il révèle.