[Conférence-débat] 1919 et l’utopie de la justice internationale autour du procès Ramdohr, par Pieter Lagrou

Pieter Lagrou est docteur en histoire de la KUL Leuven et professeur d’histoire contemporaine à l’Université libre de Bruxelles.

Le 11 juin 1921, Max Ramdohr, membre de la police secrète allemande stationné à Grammont, Belgique, en 1917, fut acquitté par la Cour suprême allemande à Leipzig des accusations portées contre lui par l’Etat belge de tortures sur enfants. L’acquittement fut reçu comme un outrage par la Belgique et ses alliés et elle mit fin à l’expérience des procès de Leipzig. Le procès Ramdohr est une énigme. Pourquoi la Belgique a-t-elle choisi un cas si douteux, où les témoins furent des enfants, facilement déstabilisés par un interrogatoire poussé, plutôt que les causes célèbres des grands massacres de Dinant, Louvain ou Aerschot ? L’explication de l’échec s’inscrit habituellement dans une histoire de l’animosité entre Belges et Allemands au sujet des crimes de guerre. La Belgique s’est sentie trahie par le refus d’extradition des suspects, par l’échec de l’organisation d’un tribunal interallié et par refus des Allemands d’admettre la réalité de ce qu’elle a toujours dénoncé comme une propagande mensongère sur les soi-disant crimes de guerre.

Une relecture de ce procès à partir de sources confisquées par les nazis en 1940, puis emportées à Moscou en 1945, permet de raconter une toute autre histoire, dans laquelle la confrontation est entre les partisans du droit et de l’humanité et les partisans de la guerre totale, tant en Allemagne qu’en Belgique. La tentative de justice internationale après 1918 fut certes un échec, mais elle a aussi constitué une expérience porteuse d’espoir, cruciale pour l’avenir de l’Europe comme pour celui de la République de Weimar. Ce fut une expérience qui, à maints égards, peut nous offrir de l’inspiration pour le monde de 2019, au-delà du modèle inatteignable de Nuremberg.