« Beaucoup de peu font un beaucoup. » Miguel de Cervantès, Don Quichotte, II, 7, 1605
Par Eléonore Kenis – Chargée de communication …et collaboratrice, pour l’occasion, d’un comité des fêtes improvisé
Cher·e·s ami·e·s, cher·e·s membres,
C’était si mal embarqué. Une fête de rentrée, certes, il y a longtemps que l’idée nous titillait, que dis-je, nous faisait trépigner. Mais comment s’organise-t-on quand on ne sait rien d’après-demain ? Quand les jauges, bulles et gestes barrières fluctuent au gré des Codeco (pardon pour ce florilège d’expressions hideuses, ainsi que pour celles qui vont suivre, espérons qu’elles tombent bientôt en désuétude) et que les annulations sont monnaie si courante que l’on s’en émeut à peine ?
1. La pandémie
Où l’on raconte comment nous crûmes que nous pourrions festoyer comme bon nous semblerait… mais en fait non.
Tout commence un joli mardi de septembre sur la terrasse du 61 rue de la Victoire, lors d’une réunion du CA de l’UPJB. Le point « FÊTE DE RENTRÉE (?) » trône à l’ordre du jour, fier (les majuscules) et incertain (le point d’interrogation).
Vous m’excuserez, ça commence mal, l’amorce de la discussion n’est plus très claire dans mon esprit. Toujours est-il que mes notes disent : « Soirée musicale. Chorale ? Groupe Klezmer ? Auberge espagnole. Scène ouverte qui finit en jam ? Soirée gratuite. Un verre offert à l’arrivée puis bar. » Un bon début de plan en somme.
Mais très vite ça se corse, car vient la terrible rengaine : « Attendez, attendez, attendez, donc on en est où là, dans les mesures Covid ? » Une grimace incrédule et lasse gagne les faciès : on a tous perdu le fil.
Quelqu’un se dévoue et tapote, fébrilement, pour la 396e fois de l’année : « h-t-t-p-s, deux points, slash slash, corona point brussels… » La page d’accueil montre des jeunes gens fringants qui trinquent autour d’une table, l’air béat et très contents d’eux-mêmes. C’est de bon augure ! Ça pourrait être nous ! On serait trinquant, fringants et contents ! La photo est flanquée d’une injonction à « continuer à bien aérer et profiter de [sa] liberté. » C’est entendu messieurs-dames de corona.brussels, aérons, profitons, en voilà un programme plaisant !
Puis on fait défiler la page. C’est un brin moins plaisant, un peu plus cryptique (re-grimace incrédule). Sans même s’en rendre compte, on se met à articuler les mots d’une conversation qu’on a la désagréable impression d’avoir déjà eue 396 fois. (Quelqu’un a vu Le Jour de la marmotte, avec Bill Murray ? Eh bien voilà.) « Ah mais super, ça dit : « 500 personnes à l’intérieur », quelle aubaine ! » (Note : levons le voile sans plus attendre, les dialogues de ce compte-rendu sont susceptibles d’avoir été remaniés) « Hé là ! Mais non, malheureux ! 500 personnes, peut-être, mais moyennant 1,5 m de distance à 360° entre chacun·e » « Diantre de diantre, et c’est combien de m2 déjà, la grande salle ? » Pas besoin de règle de trois, le verdict est là : festoyer tous ensemble agglutinés dans la grande salle, comme le veut la coutume, c’est compromis.
Alors on envisage de fêter ailleurs. Au fil de la semaine, Serenella égraine les lieux susceptibles de nous accueillir, assez grands mais pas trop grands, logistiquement adéquats, mais au moins un tout petit peu chaleureux, et puis avec un bar et un espace extérieur pour les fumeurs… Face à l’exposé de Serenella en forme de plan A, plan B, plan C, Fouine, soudain heurté par la perspective grotesque d’une fête de rentrée anderlechtoise met le holà à nos tergiversations : « Quand-même, ça serait bien qu’on reste à Saint-Gilles, c’est chez nous après tout… » On dit « d’accord ».
2. Le silence
Où l’on raconte comment nous crûmes pour de bon qu’il nous faudrait festoyer au son de rien du tout
Le lundi suivant, j’ouvre ma boîte mail, prête à crouler sous les demandes de participation à la scène ouverte pour laquelle j’ai envoyé un appel quelques jours plus tôt. Et là : effroi. Pas de réaction. Aucune. Personne pour passer sur scène. La perspective d’une fête de rentrée dans un silence sépulcral.
L’inquiétude point, devrait-on faire appel à des musiciens extérieurs pour animer la soirée ? Ça ne correspond pas aux retrouvailles upjibiennes à la bonne franquette qu’on avait imaginées.
Pendant notre pause de midi sur la terrasse du 61, je raconte à Serenella les cabarets qu’elle n’a jamais connus, puisqu’arrivée à l’UPJB en plein Covid. L’ambiance si particulière, le buffet gargantuesque, les habitués de la scène qui année après année sont là, toujours fidèles, les chansons que l’on reprend en chœur, accompagné·e·s par le piano de la grande salle et son accordage pour le moins questionnable, et on s’en fiche, d’ailleurs, parce qu’on est si heureux d’être là.
C’est alors que l’évidence nous tombe dessus comme, justement, un piano mal accordé lâché du 3e étage par un déménageur malhabile. Après deux ans d’éloignement, l’idée de « retrouvailles » est difficilement dissociable du 61 rue de la Victoire. Alors c’est décidé, haut les cœurs ! La fête se fera ici, à la maison, dans la grande salle, mais aussi dans la cave, et dehors, dans le jardin. On se débrouillera.
3. Vers la fête
Où l’on évoque la gracieuse épopée organisationnelle
Si ceci était un film hollywoodien, cher·e·s ami·e·s et cher·e·s membres, et non une piètre tentative de compte-rendu un peu sympathique, vous verriez ici insérée une séquence au montage nerveux où l’on verrait Serenella et moi au téléphone avec les entreprises de locations d’éclairage, de chaufferettes, avec les jardiniers, et puis on verrait aussi Fouine parcourir Bruxelles pour récolter tout ce fatras, puis à nouveau Serenella et moi fouillant le grenier à la recherche de vieux tissus, de vieilles photos, de vieux accessoires de pièces de théâtre susceptibles de défaire la cave de son allure un peu fruste, faire des allers-retours à la wasserette, monter des tonnelles dans un sol boueux, bientôt aidées de Sacha, Totti et Youri, Marou et Alice, Elias et tou·t·es les autres (ceci est un passage de remerciement déguisé, l’aurez-vous repéré ?)… Et puis ces scènes seraient ponctuées de plans sur des listes « À FAIRE » ou nous bifferions victorieusement point après point au son d’un air épique… (La danse des chevaliers de Prokofiev ou The Eye of the Tiger de Survivor, par exemple)
4. Le vent, la pluie
Où l’on raconte comment les éléments nous boudèrent
Seulement voilà : cette séquence pleine d’un espoir obstiné serait stoppée nette par un coup de tonnerre et un plan sur un ciel gris foncé, implacable et bouillonnant, les arbustes du jardin balancés par le vent et la pluie battante gorgeant les toits des tonnelles. Car oui, cher·e·s ami·e·s, cher·e·s membres, une fête dans le jardin un 2 octobre, c’est un pari incertain que, météorologiquement parlant, il faut bien l’avouer, nous avons perdu majestueusement. Voici la capture d’écran que Maroussia, paniquée, m’envoya la veille de la fête :
Et ça ne rata pas. Animé·e·s par un optimiste que d’aucuns qualifieraient de jobard, nous avons malgré tout monté une partie des tonnelles le vendredi après-midi.
Voici à quoi elles ressemblaient le samedi matin, jour J, à mon arrivée :
Un champ de désolation, boueux et détrempé, jonché de tuyaux tordus.
Qu’à cela ne tienne. Dès que Fouine et Sacha arrivent, on les remonte, on sort la corde, les nœuds de cabestan et le scotch, on escalade les murs et les arbres, un peu plus harnaché, un peu plus solide, hissez haut !
Et, comme dans l’heureux dénouement des Trois petits cochons, cette fois la tempête « souffla se toutes ses forces, mais les tonnelles ne bougèrent pas d’un pouce » (ou presque).
5. La fête
Où l’on vainc les déconvenues et où l’on montre comme la fête de rentrée fut digne d’heureuse souvenance
Après avoir dû m’absenter quelques heures, j’arrive à la fête, un peu en retard. J’entends le chant de la chorale qui s’élève depuis le jardin : « Bien sûr, ce n’est pas la Seine/Ce n’est pas le bois de Vincennes/Mais c’est bien joli tout de même… ». C’est vrai que c’est joli… Les lueurs rougeoyantes qui illuminent le jardin, et la foule, pas froid aux yeux, ni ailleurs, ou n’en faisant pas cas. La foule serrée sous les tonnelles qui déversent un torrent chaque fois qu’un coup de vent ou une main se risque à palper leur ventre plein d’eau de pluie.
Et la maison pleine, à tous les étages, se délectant d’un buffet digne de Bacchus (un moment un peu « cohue-sque », il est vrai, on fera mieux la prochaine fois !)
Et puis les interventions de chacun·e·s, la coupure d’électricité, et j’en passe, la jam de fin de soirée, ces 1001 moments où l’on a chanté, dansé, frissonné de concert (et rien à voir avec le froid cette fois…), bondi, rugi même !
J’arrête ici ma logorrhée parce que de jolies photos valent mieux qu’un discours idiot, ou quelque chose comme ça. Alors place aux images… mais non sans vous dire merci à toutes et tous qui avez été là et rendu cette fête si belle. Vivement la rentrée prochaine…