Pourquoi tant d’émotion ? Pourquoi ces chroniques nous bouleversent-elles autant ?
L’évocation des rues d’abord. Milna, Nowolipki, Nalewki, Muranow, Pawia… Ces noms résonnent d’abord en nous comme autant de repères lors de la révolte du ghetto de Varsovie, c’est ainsi qu’ils sont parvenus jusqu’à nous après, au fil des récits, des témoignages. Mais qu’en était-il avant ? C’est ce que Ber Kuczer nous restitue, recréant par la magie de son écriture aux registres multiples,humour, ironie, mais aussi séquences déchirantes, tout un monde juif en pleine ébullition culturelle et politique, en ces années 20 et 30, où les journaux se multiplient, toutes tendances confondues, où la littérature yiddish connaît un essor exceptionnel, et où contrairement à certaines idées reçues, c’est loin du shtetl que certains auteurs découvrent la modernité et toutes ses facettes.
Chroniqueur lui même à l’époque dans la presse yiddish, Kuczer fait revivre des séquences comme prises sur le vif, où la rue juive s’anime, revit, où des foules anonymes se détachent quelques individus, personnages du quotidien, journalistes, boutiquiers, mais aussi des écrivains dont les noms brillent encore aujourd’hui : Peretz, Sholem Aleichem, Shalom Asch, Anski, Peretz Markish…
Dans la Pologne de ces années-là, l’antisémitisme prospère et l’auteur nous en donne des échos glaçants. Nous irons avec lui jusqu’en 1939. Kuczer parviendra à quitter la Pologne au dernier moment et passera la guerre en Union soviétique. Il reviendra à Varsovie en 1946, ignorant la terrible réalité. Et nous l’accompagnerons dans les ruines de son passé, dans son deuil immense, le coeur serré…
Une note très personnelle : ma famille maternelle habitait rue Nalewki 18.
Tessa Parzenczewski