Au cinquième jour de Pessah, ne résistant plus à la pascale privation de céréales et autres levures, je me rends au Montmartre afin de consommer une boisson à base de houblon fermenté. Sur mon chemin de pécheur, un homme poussant une poussette vide s’arrête. Il me tend la main. Main dans laquelle tient une invitation, invitation à venir discuter à sa table ; s’attabler pour discuter de Dieu.
Il pensait certainement sauvegarder mon âme, mais je pensais sauvegarder mon temps. Ainsi, pour couper court (je suis un Sire très concis), je lui lance que je suis un Juif athée. Quelle formidable erreur. Je venais de déclencher son ire : C’est impossible !, me répond-il, tu ne peux pas être juif athée. Déclenchant mon rire inté-rieur : je trouve étrange de croire en un truc qu’on ne voit pas mais de ne pas croire en un truc qu’on a devant soi. Mais, je poursuis le dialogue. Clément que je suis, je vous l’épargne. Pour la prétérition, je vous cite tout de même : “Tu es déraciné, tu as perdu tes racines. Tu es juif dans ta chair, mais pas dans ton âme…”
A défaut de l’âme, soyons donc juifs dans la chair, et expliquons pourquoi nous allons en ingurgiter, des racines.
Du chicon, de la coriandre, ou du raifort – non, du rhaïn me souffle-t-on – constituent dans votre assiette les herbes amères. Avant que ne fusse ouverte l’a mer rouge, l’amertume est celle des esclaves d’Egypte, celle de nos “ancêtres”, celle des peuples, des classes, des races, des genres opprimé·e·s.
Si nous voulions moderniser ce rituel, pour nous faire ressentir l’amertume, nous aurions également pu vous faire des Fortune Cookies, les biscuits sino-américains avec un petit mot à l’intérieur prédisant notre infortune : un tweet de Donald Trump, ou une des mesures antisociales prises notre gouvernement, ou encore rappeler le fait qu’à l’UPJB nous sommes des progressistes qui avons recours à des militaires et à la police pour garantir notre sécurité.
Une première coupe de vin. Après, tout le monde se lave les mains (sans bénédiction).
A 10 heures de votre assiette, vous trouverez un bol d’eau salée. Il s’agit de rappeler les larmes versées sous l’esclavage. Selon la version, cela peut également représenter la sueur au travail, ou un mélange des deux. Selon l’aversion, nous vous laissons choisir dans quoi vous préférerez tremper.
Sachez, au grand dam des personnes maladroites, qu’il est prescrit de manger sur le coude gauche puisque c’était proscrit. Plutôt que de manger sur le pouce, c’est un signe de liberté. En effet, seuls les hommes libres pouvaient le faire à l’époque. Attention, ici, “hommes” n’est pas un masculin générique et désigne les hommes exclusivement.
Une deuxième coupe de vin. Après, tout le monde se lave les mains (avec bénédiction). Forts de cette tradition, cela explique peut-être pourquoi, dans deux ans, certains haredims aux mains bénies ne jugeront pas le confinement nécessaire. Du pain bénit pour le coronavirus.
Autre élément central de votre assiette, le harosseth. C’est une sorte de purée dont la rocette peut varier. Vous avez donc le choix entre les noix, les pommes, les dattes, les amandes, la cannelle, et même parfois le vin.
La difficulté à mâcher cette pâte symbolise le mortier utilisé par les esclaves hébreux pour constituer les briques du pharaon.
L’œuf dur, lui, est un élément plus récent du rituel. Il est mangé en souvenir de la destruction du Temple de Jérusalem.
Des matses sont également amassés dans un panier. Dans la hâte de quitter l’Egypte, le pain n’a pas été levé.
La Torah (édition revue et corrigée), Exode, Chapitre 13, Paragraphe 4, relate la chose suivante : “Et Moïse dit au peuple : “Ouvrières, ouvriers, camarades, Qu’on se souvienne de ce jour où vous êtes sortis de l’Égypte, la maison de servitude, alors que, par la puissance de son bras, l’Éternel vous a fait sortir d’ici et que l’on ne mange point de pain levé. Dans votre errance de quarante années dans le désert, le pain azyme prendra moins de place et allègera votre besace. Aussi, et surtout, ne confondez pas point de pain levé avec point de poing levé. Hasta la revolucion siempre !” ”. fin de citation.