De mère catholique et de père juif venu d’Algérie, demi-goy, demi-juif et… baptisé, «tissé de laine et de lin», Jean-Christophe Attias décide à l’âge de vingt ans de devenir juif à part entière. Et il ne fera pas les choses à moitié. C’est cet itinéraire qu’il nous raconte, à partir de son dernier repas de goy: boudin noir, porc et sang, un comble! Jusqu’au jour où il revêt la panoplie complète du juif orthodoxe et en adopte tous les commandements qu’il suivra à la lettre, d’une manière scrupuleuse. Une sorte de carcan choisi, comme pour affirmer avec force sa nouvelle identité. Cela nous vaut des pages pleines d’humour sur la cacherout imposée à la cuisine familiale lors de ses retours au foyer, et aussi, dans le registre de l’autodérision, quelques instantanés des apparitions de cette silhouette insolite dans le paysage de sa province natale. Mais rien n’est simple. Que faire du prénom qui fleure bon le christianisme? Il s’en choisira un nouveau pour le temps de la synagogue: Yaacov.
Et Dieu dans tout ça? Attias n’élude pas. Une conviction: Dieu n’existe pas. Mais après cette affirmation, plusieurs considérations sur la prière et une foule de questions et de sensations diffuses, ouvrent tout un champ de doutes. Et le doute irrigue tout le récit, comme une fragilité, une incertitude chronique.
Mais Dieu qui n’existe pas a accompli un miracle, une rencontre. A la suite d’une série de coïncidences, Esther Benbassa fait irruption dans la vie d’Attias. Et irruption est le mot, lorsqu’on songe à cette personnalité flamboyante. Leurs parcours universitaires sont quasi parallèles. Lui, historien du judaïsme médiéval et hébraïsant de haut vol, elle, spécialiste du judaïsme contemporain et du monde séfarade. Esther, à la triple identité, turque, israélienne et française, l’entraînera dans son monde familial, à l’exubérance orientale. A son contact, Attias deviendra juif autrement, plus librement, en se débarrassant des contraintes mais jeûnant toujours à Yom Kippour. Dans leurs écrits respectifs, tous deux explorent le judaïsme, interrogeant le passé et l’aujourd’hui. Ensemble, retirés dans une maison au bord d’une mer menaçante, dans un lieu nommé Ault, dans la Somme, ils écriront à quatre mains des livres où Histoire et politique se conjuguent, et c’est dans une langue magnifique qu’Attias évoque, à partir de ce lieu perdu, toute une géographie rêveuse qui brasse mythes et identités.
Juif diasporique, comme il s’affirme, il assume avec Esther Benbassa, souvent à contre-courant, leur dénonciation constante de l’injustice faite aux Palestiniens. Juif dans les marges. «Les marges? Va pour les marges. Je m’y suis toujours trouvé à l’aise. Ma voie, tortueuse, fut dès l’abord toute tracée. Le judaïsme, oui, chaque jour de ma vie, mais jamais le judaïsme du centre, toujours le judaïsme en ses périphéries. Et en mouvement. Le commentaire plutôt que le texte commenté. La tentation de la transgression plutôt que l’illusion de la stricte observance. Le récit plutôt que le traité. La poésie plutôt que la prose.»
Un parcours où les souvenirs naviguent entre imaginaire et réel, où l’humour, l’ironie et même le sarcasme côtoient des séquences poétiques. Un récit de vie qui va à la rencontre du lecteur avec des questions plein les pages.
Un article de Tessa Parzenczewski paru dans le Points Critiques de novembre-décembre 2017
Un juif de mauvaise foi. JC Lattès. 407p. 20,90€
L’auteur présentera «Un juif de mauvaise foi» à l’Upjb le 24 novembre à 20h15.