Journée mondiale des réfugié·es: rien à célébrer…

Carte blanche collective publiée sur lesoir.be le 20 juin 2022 à l’occasion de la Journée mondiale des réfugié·es

Il faut saluer la politique protectrice mise en place par l’Union européenne et la Belgique pour l’accueil des réfugié·es ukrainien·nes ces derniers mois. Mais les milliers d’autres personnes exilées qui demandent chaque année une protection à la Belgique ne sont pas toutes accueillies de cette façon. Elles font face à de nombreux obstacles, voire à des violations de leurs droits fondamentaux. En ce jour, il faut donc malheureusement rappeler que l’accueil et la protection sont des droits fondamentaux universels qui doivent être respectés.

Des chiffres trompeurs

Conflits, persécutions, violations des droits humains, instabilité politique, violences étatiques ou de groupes armés, famines… les désastres se multiplient, et il n’y a jamais eu autant de réfugié·es dans le monde. Sans compter les migrations environnementales, qui n’en sont qu’à leurs prémices et qui toucheront des millions de personnes dans les prochaines années.

Le chiffre terrifiant de 100 millions de personnes déracinées de force dans le monde recouvre des réalités peu ou mal diffusées. La grande majorité de ces personnes, soit près de 60 millions, principalement syriennes, vénézuéliennes, afghanes, soudanaises et birmanes, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou de leur région. Seule une petite partie tente de trouver refuge dans un autre pays, le plus souvent voisin du sien, et qui est presque toujours en développement. L’Europe, souvent présentée comme la première destination des exilé·es, renvoie une image trompeuse. Non, nous n’accueillons pas « toute la misère du monde », comme en témoignent ces quelques données. Fin 2021, sur les 89,3 millions de personnes déplacées comptabilisées, un seul État européen, l’Allemagne, figurait parmi les dix premiers pays d’accueil en recevant 1,3 million de personnes. Il se situe pourtant encore bien loin de la Turquie – 3,8 millions –, de la Colombie – 1,8 million –, ou de l’Ouganda et du Pakistan, qui abritent chacun 1,5 million de personnes.

Le traitement insensé réservé aux Afghan·es

En cette journée mondiale des réfugié·es, nous nous devons de porter une attention particulière à la situation qui règne en Afghanistan depuis la prise du pouvoir des Talibans, en août 2021. La situation humanitaire est catastrophique – la famine touche la moitié de la population ! – et les atteintes aux droits fondamentaux sont généralisées. Ce contexte critique pousse les Afghan·es à fuir massivement, principalement vers les pays limitrophes qui reçoivent 90 % des réfugié·es d’Afghanistan. L’Iran et le Pakistan en accueillent ainsi plus de 2,2 millions. À défaut de voies sûres et légales, peu d’Afghan·es parviennent à rejoindre le territoire européen. En Belgique, on ne comptabilisait que 6.506 demandes d’asile en 2021.

Malgré cette crise sans précédent et largement médiatisée, des Afghan·es se voient refuser la protection par l’instance d’asile centrale belge. C’est notamment le cas d’hommes et de jeunes garçons arrivés seuls. Après de longs mois de gel des décisions négatives, le Commissariat Général aux Réfugiés et Apatrides a adopté un mode d’analyse des dossiers très restrictif. Il considère ainsi que depuis le retrait des forces armées internationales, il n’y aurait plus de « violence aveugle » liée à un conflit armé donnant lieu à un octroi de la protection dite « subsidiaire ». La situation humanitaire désastreuse ne serait pas imputable au régime taliban et ne permettrait donc pas l’octroi d’une protection.

Pourtant, le HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, recommande de suspendre les décisions négatives dans les cas où il ne peut être déterminé que des personnes sont réfugiées (au sens de la Convention de Genève), et demande de ne pas renvoyer les Afghan·es dans leur pays. Les Afghan·es débouté·es de l’asile vont donc être livré·es aux conditions de vie indignes que subissent les personnes sans papiers sur le territoire belge…

L’État belge viole le droit à l’accueil

On ne peut évoquer la situation des réfugié·es sans parler des demandeur·euses d’asile. Ces dernières années, environ 20.000 personnes par an demandent une protection à l’État belge, qui manque de plus en plus à ses obligations. Défaillance du droit d’accueil et d’asile, détention systématique des demandeur·euses de protection arrivé·es par un aéroport, dissuasion à l’égard des « cas Dublin », obstacles au droit de vivre en famille des bénéficiaires de protection… les violations des droits fondamentaux se multiplient.

Le premier de ces droits, consacré par le droit de l’Union européenne et la loi belge, est celui d’être accueilli·es et hébergé·es par l’État pendant l’examen de leur procédure. Or, depuis octobre 2021, du fait de la saturation du réseau d’accueil et du manque structurel de places, l’État belge viole cette obligation internationale, ce qui lui a valu d’être condamné en justice en janvier dernier…

Cinq mois plus tard, la situation n’a pas changé : les centres d’accueil sont toujours saturés et les hommes seuls, considérés comme n’étant « pas assez vulnérables », se voient refuser l’accueil et sont laissés à la rue. Le gouvernement belge se met donc en défaut de respecter une décision de justice, pourtant exécutoire. Et montre à quel point les droits et la dignité des demandeur·euses d’asile lui importent…

Accueillir dignement est pourtant possible

Nous nous devons également de mentionner l’Ukraine, au cœur de l’actualité depuis près de quatre mois. L’invasion russe a jeté 7,5 millions d’Ukrainien·nes sur les routes de l’exil. Et, pour la première fois, vingt ans après son adoption, un instrument important du droit européen a été activé : la protection temporaire.

On ne peut que se réjouir que l’ensemble des États membres de l’Union européenne ait – une fois n’est pas coutume – réagi rapidement pour permettre aux Ukrainien·ne·s de trouver refuge dans un État membre, d’y obtenir une aide sociale, la possibilité de travailler, un accès aux soins, etc. En Belgique, plus de 46.000 personnes ont ainsi déjà été accueillies depuis le début du conflit.

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On ne peut, par contre, que regretter que toutes les personnes qui résidaient en Ukraine au moment de l’invasion russe, par exemple des étudiant·es étranger·es, n’aient pas bénéficié du même statut. Et qu’il ait fallu deux décennies pour que soit activée la directive protection temporaire. Syrie, Lybie, Afghanistan, crise à la frontière Biélorusse… autant d’occasions manquées…

Les conséquences de la guerre en Ukraine montrent que l’Union européenne et ses États membres sont en capacité de protéger les personnes qui en ont besoin, même si elles arrivent en grand nombre sur leur territoire. Dès lors, pourquoi une telle différence de traitement envers d’autres demandeur·euses de protection ? Y a-t-il de « bon.nes » et de « moins bon.nes » réfugié·es ? Est-ce que la proximité géographique, de culture, de religion peut influencer les politiques d’asile et d’accueil ?

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Non, évidemment ! Il ne s’agit pas d’être « plus ou moins généreux » en fonction d’intérêts électoralistes, économiques, ou géostratégiques. Tant la protection temporaire en cas d’arrivées importantes en Europe que la Convention de Genève, pierre angulaire du droit d’asile, s’appliquent sans aucune condition géographique, culturelle, ethnique, ou autre. Le seul cadre contraignant est celui du respect des droits fondamentaux universels et des obligations internationales.

C’est consternant qu’en ce 20 juin 2022, nous soyons obligé·es d’en appeler à ce que ce cadre soit respecté.

*Signataires : CIRÉ ; Association pour le droit des étrangers – ADDE ; Aide aux Personnes Déplacées – APD ; Amnesty International Belgique ; Cap migrants asbl ; Caritas international ; CEPAG ; Centre Social Protestant asbl ; Convivial ; FGTB fédérale ; Jesuit Refugee Service Belgium – JRS ; Médecins du Monde ; Le Monde des Possibles ; MOC ; MRAX ; L’Olivier 1996 asbl ; Point d’appui asbl ; Service Social Juif ; Service Social des Solidarités – SESO ; Union des Progressistes Juifs de Belgique – UPJB.

© Photo : Parc Maximilen, à Bruxelles. – Photonews.