Tessa Parzenczewski
Née d’un père franco-israélien d’origine marocaine et d’une mère allemande, catholique, Julia Galaski grandit entre deux mondes, entre deux langues aussi: l’allemand, sa langue maternelle et la langue de l’école, puis le français, pratiqué à Bruxelles. A l’âge de vingt ans, elle décide d’étudier pendant un an à l’université de Jérusalem pour y approfondir ses connaissances du Proche-Orient et plus particulièrement sa perception du conflit israélo-palestinien, mais aussi pour apprendre l’hébreu et l’arabe. Alors qu’elle demande un visa à l’ambassade d’Israël, elle se voit imposer d’office le passeport israélien! Déjà Allemande et Française, la voilà Israélienne… Bien que toute sa famille paternelle réside en Israël, et qu’elle y va tous les ans, quelque chose l’embarrasse. Nous sommes en 2006, en pleine guerre du Liban. Et les interrogations pleuvent. Comment se positionner ? Jusqu’où accepter, jusqu’où dénoncer? Y a-t-il une ligne rouge? Une jeune femme au carrefour des identités, où à cette nouvelle étape de sa vie, les langues vont changer de place, déjà l’allemand va s’estomper et l’hébreu s’installer. « Je retourne à mon journal, parcours dans la pénombre les mots allemands notés dans l’avion quelques heures plus tôt, ceux de la veille, écrits à Bruxelles. Et réalise soudain que pour la première fois de ma vie, je ne parlerai plus ma langue maternelle pendant un an ». Suivent quelques très belles lignes sur l’expression Muttersprache,langue maternelle, langue de la mère, où l’allemand est déconstruit et livre ses significations littérales: « Das Tagebuch, le journal intime, devient alors littéralement, le livre- des-jours. Sous mes yeux fatigués, les langues de mes parents se mêlent, leurs sens se recoupent, se confondent; le journal intime devient un livre-intime-des-jours, la langue maternelle une langue-du-parler-maternel… Les langues de mes parents… Du côté de mon père, le français n’est langue maternelle que depuis une, voire deux générations. Les grands parents de mamie Claudine parlaient l’arabe; le français était la langue du colonisateur. Les parents de mon grand-père défunt, papi Maurice, parlaient le yiddish; le français était la langue de l’immigration. »
Animée d’une volonté exigeante de connaître, de comprendre mais aussi d’une essentielle soif de justice, Julia Galaski transgresse les frontières. Elle se rend à Hébron pour entendre les témoignages des anciens soldats de l’organisation « Breaking the silence » (Brisons le silence) sur les exactions qu’ils ont commises durant leur service militaire. Hébron qui symbolise toute l’oppression des Palestiniens. Elle se rend aussi à Ramallah où sur le trajet, la réalité des checkpoints lui saute au visage. Dans une scène émouvante, elle fraternise avec des femmes qui cueillent des olives dans un village arabe d’Israël. Plus tard, elle traversera les vraies frontières. Avec son passeport problématique, elle se rendra en Egypte où elle découvrira une hostilité certaine mais pas chez tous.
Après son année à Jérusalem, Julia continue son périple, à la recherche de ses racines cette fois. Elle s’inscrit à un stage au Maroc, dans une fondation humanitaire allemande. Elle emporte avec elle une photo de ses arrières-arrières grands parents en costume traditionnel. Elle séjourne à Rabat. Plus tard, elle ira en Algérie, à Oran où a vécu sa famille après leur départ du Maroc, elle tentera d’y trouver leur maison. Obstinée dans sa quête, Julia Galaski poursuit son pèlerinage jusqu’au village natal de sa grand-mère. Et là, nous assistons à une scène étonnante: sur une place où auparavant s’érigeaient une église et une synagogue, aujourd’hui transformées en mosquées, Julia cherche la maison où a vécu sa grand-mère, aidée par les habitants bienveillants du lieu.
Parfois, en arrière-plan, l’auteure évoque avec tendresse ses grands –parents maternels, les Allemands, ceux qui étaient adolescents pendant la guerre… Toutes les mémoires se croisent, se mélangent et révèlent la richesse d’une identité plurielle.
Entre états d’âme, vie intime, la grande Histoire et la politique, le récit se déroule fluide, tout s’imbrique naturellement, au gré des rencontres. Et quelles rencontres! Comme dans une chaîne continue, par-delà les frontières et les identités, se crée un microcosme fraternel, une sorte d’utopie, où parfois, un mot, une chanson, surgis d’un passé profond, créent des liens insoupçonnés.
Entre émotions vives et questionnements, un livre qui nous parle, oh combien!
LE PASSEPORT, Julia Galaski, Éditions Les Étaques, 358 p. 18€
© Illustration : Fanny Pinel – Fannyp.gravure