[Occupation de la Monnaie] Vers une union des oppositions

Un beau matin de fin mars, je me retrouve dans les sous-sols d’un lieu en plein centre de Bruxelles.

Nous sommes une vingtaine.

Nous sommes jeunes.

Nous travaillons dans l’art ou sommes encore aux études.

Nous ne nous connaissons pas encore mais déjà une chose nous rassemble : l’insatiable désir d’un changement viscéral et radical de société.

Nous ne nous connaissons pas encore mais nous avons certainement en commun, cette envie de lutter, de ne plus se laisser faire, de ne plus attendre éternellement qu’un gouvernement prenne ses responsabilités.

C’est une belle matinée de printemps, et dans ce sous-sol, sur des vieux strapontins rouges, ensemble, nous décidons d’occuper le théâtre de la Monnaie afin de s’élever contre le gestion catastrophique de la crise.

Aujourd’hui, lundi 3 mai, cela fait un mois, jour pour jour, que l’occupation a pris place.

• Depuis, et avec une vitesse sans précédent, le collectif « Bezet La Monnaie occupée » a construit un mouvement, a formé son identité, a proposé une trentaine de tribunes tous les jours, permettant aux secteurs précarisés par la crise de venir prendre la parole, la lancer, la jouer, la rire, la pleurer, l’écrire, la danser, la tonitruante, la épeler, la caresser, la jongler, la passionnément, la peinte, la contredite, la enlasser et amoureusement : la hurler.

Cette parole a été saisie et se sont alors, ficelées des rencontres, qui ont permis une mobilisation accrue et tous les jours plus nombreuse.

• Le dimanche 18 avril a été une journée conséquente, forcé de quitter les lieux de la Monnaie par la direction alors que nous n’avions pas encore obtenu la rencontre avec le fédéral demandée depuis deux semaines, le collectif a décidé d’occuper la Monnaie sans autorisation et ne pas quitter les lieux tant que nous n’obtenions pas une rencontre.

Cette action a rassemblé des centaines de personnes sur le parvis qui ont fait preuve d’une solidarité sans borne quand la police est arrivée déloger les occupants.

Tous se sont assis à terre à chaque entrée du grand bâtiment, et pacifiquement ont clamé leur solidarité et leur soutien au collectif.

Le chant des participants dépassa bientôt celui des drones et des hélicoptères.

Le soleil s’épuisa lentement, dans cet esprit de lutte, comblé d’airs d’opéra dont on pouvait se moquer.

Une heure plus tard, la négociation avec le DRH de la Monnaie est arrivé à terme : nous gagnions une rencontre imminente avec le fédéral et un impact médiatique fort.

• Le mercredi 21 avril, le collectif est invité à participer à l’émission QR de la RTBF. Connaissant le piège que peut représenter ce genre d’émission où la culture est invitée à prendre part à un « forum citoyen » qui consiste à s’asseoir autours de 4 personnalités invitées dont le ministre Frank Vandenbroucke et à parler 20 secondes quand notre tour de parole est imposée par le présentateur sans que l’on ne puisse avoir le temps d’exposer quoique ce soit de clair et de concis, le collectif décide de jouer le coup de « la chaise vide » mais en prenant la parole et en s’imposant afin d’exprimer au mieux notre considération des mesures gouvernementales et afin que le ministre puisse nous entendre de visu.

Notre départ du plateau est tonitruant et fait réagir.

Sacha Daoust, le présentateur, s’afflige du fait que nous refusons le débat.

Mais il se trompe, nous sommes en train, justement, de le créer.

Le lendemain, notre passage à l’émission fait le tour des réseaux, les gens s’indignent et nous recevons une multitude de soutien.

Entre temps, le présentateur et l’émission s’excusent et jurent qu’ils soutiennent notre action.

• Le jeudi 22 avril, le collectif rencontre Sophie Wilmès, la ministre des affaires étrangères et des institutions culturelles fédérales ainsi que le chef du cabinet Vandenbroucke.

La réunion dure 1h30.

À l’argument « les hôpitaux sont remplis, c’est très difficile la situation », il faudra bien entendu lui rafraîchir la mémoire et lui rappeler que c’est elle qui, en 2014, lorsqu’elle était ministre du budget, a fait des économies de 900 millions sur la santé !

Après 1h30 de débat et d’exposition claire de nos revendications, le collectif dépose devant Sophie Wilmès et le cabinet Vandenbroucke, un document reprenant toutes ces revendications pour le prochain CODECO qui a lieu le lendemain.

La ministre « entend », la ministre « compatit », la ministre « fera passer le message » la ministre est « avec nous ».

On connaît la chanson.

La ministre – et son gouvernement – est aussi de droite, et donc, foncièrement PAS de notre côté.

Le lendemain, au CODECO, aucune mesure concluante pour le secteur de la culture ni pour les autres secteurs précarisés de la crise.

La colère monte d’un cran, le collectif continue les tribunes, continue de rassembler et de mobiliser, le collectif s’organise aussi pour le premier mai qui restera une date phare dans l’évolution du mouvement.

• Ce samedi premier mai, le collectif rassemble plus de mille personnes devant le parvis de la Monnaie.

Trois concerts (HK, Lla Lloronas, Judith Kiddo) soudent et échauffent le public.

En vient alors, la deuxième partie de notre déroulé.

Tandis que les oiseaux noirs en papier volaient, soulevés par la foule, l’oracle sortît d’une poubelle géante se situant au centre de la place.

La poubelle contenait tous nos rêves écartés par le gouvernement depuis un an.

L’objectif : emmener cette énorme poubelle devant le cabinet du premier ministre.

En ni une ni deux, dans l’air mystique d’une chorale a-capella, la poubelle de 6 mètres s’est soulevée par la foule et s’est mise à voler, et à avancer presque plus vite que les manifestants à ses côtés.

Rien ne pouvait l’arrêter.

L’image est comparable à celle du bateau monté dans la forêt amazonienne dans Fitzcarraldo de Herzog, ou encore celle- et mes amis montois reconnaîtront- du char d’or poussé et monté le dimanche du doudou.

Mais c’est surtout l’image de ce gouvernement que l’on ne veut plus.

Et avec quelle force ! Et avec quel entrain ! Et avec quelle détermination, la foule l’a repoussé vers le cabinet De Croo dans une ascension sans aucun obstacle.

Rien ne pouvait nous arrêter.

Nous avons franchi la zone neutre des manifestations autorisées, rue de La Loi, ce qui est arrivé que quelques fois dans l’histoire !!

Nous avons pu déposer cette poubelle devant le siège du gouvernement fédéral avant qu’une vingtaine de policiers nous encerclent.

« C’est la première fois depuis plus de vingt ans, qu’une action politique de ce style, se passe dans la zone neutre » entend-on d’un policier.

Nous sommes repartis, déchargés de cette poubelle, en chantant, en criant des slogans, unis, déterminés.

Peu de temps après, nous soutenions le cinéma Nova avec quelques centaines de personnes, assises pacifiquement devant, alors que les policiers étaient en train de sortir les quelques spectateurs qui étaient venus assistés à cette projection prévue dans le cadre de l’action de désobéissance civile organisée par still standing.

Des policiers qui sortent des spectateurs de cinéma.

La séance est interrompue par les forces de l’ordre.

C’est terrible. La pire dystopie en images.

Mais…

Dans le ciel bleu de mai, les oiseaux noirs volent, et les centaines de manifestants assis, huent les politiques actuelles.

Nous étions une cinquantaine au début.

Nous étions des milliers le premier mai.

Nous sommes prêts à être encore plus nombreux.

Nous ne nous connaissons peut être pas encore mais déjà une chose nous rassemble : l’insatiable désir d’un changement viscéral et radical de société.

#justicesociale

TBC…

✊ Pour toutes nos futures actions et nos revendications suivre la page du collectif

✊ Sur le dimanche 18 avril :

✊ Le mercredi 21 avril : Passage du collectif à l’émission « QR » de la RTBF.

✊ Le Premier mai : JT RTBF 19H30

Lisa est une jeune scénariste et réalisatrice qui après des études de sciences politiques à Bruxelles est passée par l’INSAS et La Fémis. Elle a expérimenté l’écriture de plusieurs formes théâtrales et la réalisation de courts métrages et de documentaires.