[Lire] Avec Yonatan Berg dans le monde des colons

Par Tessa Parzenczewski

Psagot, colonie installée sur les hauteurs, à proximité d’El-Bireh et de Ramallah. C’est là qu’a vécu enfant et adolescent Yonatan Berg. Dans un récit autobiographique, il nous restitue un monde figé dans ses certitudes, verrouillé, quasi autiste, où l’ultra nationalisme religieux tient lieu de colonne vertébrale et soude toute une communauté.

Comment « Quitter Psagot »? Au fil des pages, l’auteur se questionne, se remémore et plante avec précision la géographie du village et ses lieux emblématiques. Un village aux tuiles rouges, riant, fleuri, prospère mais dont une base militaire mitoyenne et son enceinte fortifiée rappellent la violence originelle. « Cette enceinte a évolué avec le village. Son histoire est l’histoire du village, l’histoire de la colonie. Au début, il n’y avait rien. La terre aride n’était pas morcelée, les ronces, les cyprès, les oliviers et la poussière pouvaient s’étendre à l’envi entre la ville, le wadi et nos maisons. Seule une architecture différente marquait la séparation entre des voisins qui se regardaient en chiens de faïence. On peut d’ailleurs dater l’âge du fer des relations entre ces deux entités avec l’apparition des rouleaux de barbelés qui se déployèrent sur le versant de la colline, s’emmêlèrent et créèrent un gros ventre métallique hérissé de piquants. »

Au gré de ses souvenirs , Yonatan Berg déroule un itinéraire qui semble d’abord en connivence totale avec son environnement, il lui arrive même de participer à des expéditions punitives. « On se rassemblait devant le portail de l’implantation, on se concertait, on se stimulait les uns les autres. Les adultes prenaient leur arme personnelle, ce qui nous sécurisait – nous étions protégés. Les plus jeunes entassaient des pierres, quelqu’un amenait une massue et on descendait sur El-Bireh en rangs serrés de manière à faire vraiment corps. Les habitants fuyaient, on ne voyait personne dans les rues, et si quelqu’un se trouvait là par hasard, il décampait en toute hâte. Les premières pierres explosaient fenêtres de maisons, phares et vitres de voitures. » Tout au long du récit, affleurent aussi des moments ambigus, des instants où, encore enfant, l’auteur est comme fasciné par l’autre, l’autre qui lance des cerfs-volants multicolores à partir de Ramallah, l’autre qui joue aussi au foot…

Avec le service militaire, se produit le grand chambardement. Le contact avec des jeunes d’autres milieux, l’omniprésence du corps aussi, si nié dans le monde religieux. Et surtout, la découverte en temps réel de la violence exercée contre les Palestiniens et donc de sa propre violence, comme une nuit à Naplouse  » Les premières lueurs de l’aube sont montées, balayant enfin cette nuit insupportable au cours de laquelle, des dizaines de fois, j’avais pris des bruits anodins pour une attaque, le vent pour un sifflement de balle, une pierre qui roulait pour une grenade. J’étais épuisé et paniqué. Un enfant est passé par là, sans doute allait-il chercher à manger. Ses yeux se sont arrêtés sur la tourelle où je me tenais à découvert. De son regard émanait une telle accusation, une telle colère, ses prunelles étaient d’une telle incandescence noire, que je me suis détourné pour revenir vers lui avec le canon de mon fusil pointé, fort de l’assurance que me donnait le métal froid. Il n’était déjà plus là. (…). Le regard de l’enfant, ce matin-là, dans l’aube de Naplouse, me poursuit encore. Il porte en lui tous les regards de Naplouse, de Ramallah, de Hébron, de Jenine, de Toul-Karem. (…) Ce fut le moment où le regard de l’autre croisa mon incapacité à le supporter. Ce moment me poussa à résister au système qui, jusque-là, m’avait fait détourner les yeux et avait mis cet enfant face à moi. »

Après le service militaire, comme beaucoup de jeunes Israéliens, Yonatan Berg a entrepris un long périple à travers le monde, de l’Amérique latine à l’Inde. Cela a duré trois ans. Trois ans de transgressions: drogues multiples, raves parties, dragues. Comme pour se laver définitivement de Psagot. Contrairement aux Israéliens qui se déplacent en groupes dans ces contrées lointaines, dans l’entre soi, totalement imperméables aux cultures locales, Berg s’est passionné pour ces nouveaux univers, toujours curieux de l’autre. A son retour, il entreprend des études d’écriture créative à l’université de Tel Aviv, se passionne pour la poésie, en écrit et découvre celle de Mahmoud Darwish qui l’émeut profondément.

Une introspection exigeante et conflictuelle qui a mené l’auteur vers des rives complètement opposées à son milieu d’origine, par des chemins cahoteux, nourris de doutes, loin de toute zone de confort.

Yonatan Berg, Quitter Psagot, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, L’Antilope, 253p. 22,00 €