Durant ses 40 ans d’existence, POC a traité de très nombreux sujets, tels le racisme, l’antisémitisme, l’avenir de la gauche, le droit d’asile … mais le conflit Israélo-Palestinien a toujours occupé une place importante. Henri Wajnblum, qui en est le principal auteur depuis les années 1990, fait le panorama de 40 ans de POC sur ce sujet en parcourant un certain nombre de faits marquants, entre espoirs, désillusions et colère.
Dès son numéro 4, daté de juin 1980, POC ouvrait un important dossier sous le titre : Quelle paix au Moyen-Orient ? Il y était question d’un débat organisé, en février, sur ce thème par le cercle du Libre-Examen de l’ULB. On y lisait, sous la plume de Marcel Liebman : « En son genre et à sa modeste échelle, une rencontre comme celle d’aujourd’hui (février 1980) est un événement. Voici en effet qu’un dirigeant sioniste confronte publiquement ses idées avec un adversaire du sionisme et que leur dialogue s’avère constructif. Ce n’est pas qu’ils aient, l’un et l’autre, enterré leurs divergences ni qu’ils en sous-estiment l’importance. (…) Mais dès lors qu’un sioniste comme David Susskind se déclare convaincu qu’il n’y aura de paix au Moyen-Orient que lorsqu’existeront deux États côte à côte, Israël et une Palestine indépendante ; dès lors qu’il reconnaît, sans la moindre ambiguïté, la nécessité pour Israël de négocier avec l’OLP, il n’y a lieu ni d’étaler ni de creuser une fois encore un différend, quel qu’en soit la profondeur. Il est plus fécond de se demander jusqu’où un homme comme Susskind et moi-même pouvons pousser nos convergences. »
À ce débat participait aussi, entre autres, Naïm Kader, directeur du bureau de l’OLP qui devait être assassiné le 1er juin 1981. Il y déclarait quant à lui : « Nous sommes un peuple pacifique. Nous avons pris les armes après 17 ans de patience parce que c’était le seul moyen qui nous restait. Nous ne sommes ni un peuple suicidaire ni un peuple guerrier par vocation. Nous ne combattons que pour une paix juste et durable. Qu’on nous donne la possibilité sérieuse de récupérer nos droits nationaux par des moyens pacifiques et nous serons les premiers à y recourir. (…) Nous voulons établir notre État indépendant. Nous ne voulons la mort, la destruction ou la déportation de personne. Combien de fois faut-il le répéter ?
Nous voulons coexister, en toute fraternité, avec tous les juifs vivant actuellement en Palestine à condition qu’ils acceptent eux aussi de vivre avec nous comme nos égaux et nos partenaires et non comme des oppresseurs et des occupants.
Cette volonté de coexistence, cette volonté sincère de paix est la seule garantie solide, à long terme, de la survie même des Israéliens et de la nôtre.»
C’était en février 1980, quasi treize ans après la guerre de juin 1967. Voilà pour ce qui est de l’espoir. Il y en eut un autre…
Le retour des Travaillistes
Faisons un bond de douze ans… Dans son numéro de décembre 1992, POC publiait un dossier consacré au retour des Travaillistes au pouvoir en Israël, eux qui l’avaient perdu en 1977 au profit de la droite de Menahem Begin. La donne allait-elle changer avec ce nouveau gouvernement dirigé par Yitzhak Rabin et la fin de celui dirigé par un autre Yitzhak, Shamir celui-là ?
C’est la question à laquelle tentait de répondre Dominique Vidal, journaliste au Monde et auteur de plusieurs ouvrages sur la question du Proche-Orient en collaboration avec Alain Gresh journaliste au Monde également, dans un long article dont nous proposons quelques extraits :
« Nul ne peut, à moins de lire dans le marc de café, prétendre dire aujourd’hui, en plein regain de tension (la première intifada bat en effet encore son plein NDLR), si les négociations israélo-arabes – qui continuent actuellement aux plans bilatéral et multilatéral – déboucheront, a fortiori quand et comment. Quoiqu’il en soit, un point s’avère indéniable : c’est la première fois dans l’histoire du Moyen-Orient que l’État juif et ses voisins arabes, y compris les Palestiniens, débattent ensemble de leur avenir commun avec comme perspective une paix de compromis fondées sur les résolution, si longtemps foulées au pied, des Nations unies. (…) Par delà la montée des mécontentements qui a submergé Yitzhak Shamir et ses hommes, une prise de conscience explique leur défaite : celle du lien indissociable entre politique intérieure et politique extérieure. Autrement dit, les Israéliens, à des degrés divers mais dans leur majorité, se sont aperçus que le cap maintenu par Yitzhak Shamir sur le “Grand Israël” – cap qui implique le refus de toute paix durable avec les voisins, en premier lieu palestiniens – ne pouvait qu’aggraver la crise qui ronge leur société et dont ils souffrent directement. »
Les accords d’Oslo
Voilà qui préfigurait les accords d’Oslo.
Et de fait, ils étaient signés un an plus tard, en septembre 1993… C’est Entre Points Critiques – un mensuel créé pour faire la liaison entre les parutions de la revue POC – qui dans son numéro de novembre 1993… les commente sous le titre Israël-Palestine et maintenant… la paix. Voici un extrait de son éditorial : « Nous ne vous apprendrons rien en vous disant qu’il y a aujourd’hui des Israéliens qui sont fous de rage. Ils sont fous de rage parce qu’ils estiment que Rabin a trahi Israël en signant, avec l’Organisation de Libération de la Palestine, un accord qui, selon eux, conduit tout droit à l’avènement de cet État palestinien dont le spectre hante leurs jours et leurs nuits. Parmi les Palestiniens aussi, il en est qui sont fous de rage. Ils sont fous de rage parce qu’ils estiment qu’Arafat a trahi la cause palestinienne en légitimant l’existence de l’État d’Israël, existence que, pour leur part, ils refusent farouchement.
L’UPJB a toujours, contre vents et marées, contre injures et calomnies, choisi le camp de la paix, d’une paix juste et négociée dans le respect des droits légitimes de l’autre s’entend, contre celui de la guerre et de la négation de ces droits. Pour que cette paix devienne enfin accessible, il fallait impérativement lever un tabou… celui de la reconnaissance mutuelle. C’est aujourd’hui chose faite. Mais ce n’est pas encore la paix, loin s’en faut. Tout au plus un espoir de paix. »
Rabin assassiné
Nous nous voulions optimistes… On sait malheureusement ce qu’il est advenu de ces fameux accords d’Oslo. Mais avant même qu’ils ne soient définitivement enterrés, ils avaient coûté la vie à Yitzhak Rabin. Ils lui avaient coûté la vie, le 4 novembre 1995, à l’issue d’un discours qui laissait clairement entrevoir qu’il avait enfin compris qu’il fallait résolument avancer dans la concrétisation d’Oslo. C’est dans son numéro de décembre 1995 que Entre Points Critiques commentait l’événement sous le titre Victime de l’intolérance assassine Yitzhak Rabin est mort, un commentaire illustré par un dessin de Marcel Gudanski et une caricature publiée dans la Tribune sioniste de Bruxelles : « Peu importe que Yigal Amir, le meurtrier, ait agi sur ordre ou de sa propre initiative… Yitzhak Rabin est mort, victime, avant tout, du climat de haine assassine véhiculé depuis la signature des accords d’Oslo par la droite et l’extrême droite israéliennes, ainsi que par une frange non négligeable du rabbinat. (…) Ce qui nous fait le plus douloureusement ressentir cet assassinat, c’est qu’il a été commis alors même que Rabin, sans doute fort du soutien massif qu’étaient venus lui manifester plus de 100.000 israéliens, venait de prononcer publiquement la profession de foi sans doute la plus vibrante et la plus sincère qu’il ait jamais prononcée en faveur de la paix avec le peuple palestinien. C’est cette paix enfin clairement annoncée que le bras armé de l’extrémisme israélien a voulu assassiner. »
Alors que l’assassinat de Yitzhak Rabin est encore dans tous les esprits, un boulevard semble ouvert à Shimon Peres pour les élections du 29 mai 1996.
Le soir de l’élection, il se couche à 1h30 du matin, persuadé de l’avoir emporté. Au réveil il déchante, il a réussi à perdre l’imperdable… Binyamin Netanyahou, chef du Likoud est le nouveau Premier ministre. La faute à qui, la faute à quoi ?
Au bombardement par l’armée israélienne en avril, sur ordre de Shimon Peres d’un camp de réfugiés des Nations Unies à Cana au Sud-Liban. Bilan :
100 morts, quasiment que des femmes, des enfants et des vieillards. C’est cette énorme « bavure » qui lui a fait perdre les voix des Palestiniens d’Israël.
Camp David
Aux élections du 17 mai 1999, c’est par contre Netanyahou qui est éjecté au profit d’Ehoud Barak, le patron du parti travailliste, en qui les partisans d’une paix juste et durable fondent beaucoup d’espoirs. Espoirs déçus une fois encore… En juillet 2000, Bill Clinton « invite » en effet les deux parties à se rendre à Camp David pour y participer à un sommet « historique »… Yasser Arafat en sortira grand perdant, n’ayant eu d’autre choix que de refuser les « propositions généreuses » d’Ehoud Barak soutenu à tout moment par le président des États-Unis. Dans son numéro de septembre 2000, Entre Points Critiques commentait l’échec de ce Sommet : « Il ne fallait pas être grand politologue pour prévoir que les questions les plus épineuses – le statut de Jérusalem, le sort des réfugiés et celui des implantations (et donc du tracé du futur État palestinien) – ne seraient pas résolues en quelques jours de sommet à Camp David ; pour savoir aussi que la question de Jérusalem et celle du retour des réfugiés constitueraient les principales pierres d’achoppement. Les miracles n’existant que dans les contes pour enfants, personnes n’a donc été vraiment surpris par le constat d’échec. »
Il n’empêche que Ehoud Barak a pu rentrer en Israël en proclamant haut et fort qu’à Camp David, il n’avait pas trouvé de partenaire pour la paix ! Il y eut bien sûr les négociations de Taba, en Égypte, où des avancées furent constatées par les deux parties, mais tout le monde savait qu’elles n’avaient aucune chance d’aboutir, Ehoud Barak ayant perdu sa majorité à la Knesset, et Ariel Sharon donné largement gagnant aux élections de février 2001.
Entretemps le même Sharon avait fait la Une en allant se « promener » sur l’Esplanade des Mosquées et susciter la colère des Palestiniens. Ce fut le début de la seconde intifada…
Sharon au pouvoir
Comme prévu, Ariel Sharon a remporté haut la main les élections de février 2001. Dans son numéro d’avril 2001, Entre Points Critiques publiait un communiqué de presse émanant du Comité de l’UPJB :
« Résolument engagée dans le combat militant en faveur d’un règlement juste du conflit israélo-palestinien basé sur la notion de deux peuples pour deux États souverains et viables avec Jérusalem comme capitale commune, l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) tient à dénoncer l’accession de l’extrême droite israélienne au pouvoir. Ce n’est en effet pas, contrairement à ce sur quoi s’appesantissent la quasi totalité de nos médias, la « promotion » au rang de ministre, de la fille d’Yitzhak Rabin, ni celle d’un député druze, qui constituent l’événement majeur de la nouvelle politique israélienne. C’est à l’évidence – en plus de l’élection triomphale d’Ariel Sharon que son parcours criminel aurait depuis longtemps dû frapper d’inéligibilité – la respectabilisation d’une des extrême droite la plus dure qui soit en les personnes d’Avigdor Lieberman et de Rehavam Zeevi. Et ce, avec l’aval du parti travailliste ! (…) Notre gouvernement s’est distingué dans les réactions qui ont suivi l’accession au pouvoir du parti de Jörg Haider ; notre ministre des Affaires étrangères a mis l’Italie en garde sur les conséquences que pourrait avoir la participation de la Ligue du Nord à un prochain gouvernement Berlusconi ; nos partis démocratiques tiennent bon vis-à-vis du cordon sanitaire qui entoure le Vlaams Blok… Ils doivent, de même, faire comprendre à Israël, pays hors Union Européenne avec lequel nous entretenons des relations économiques et douanières privilégiées, qu’il n’y a pas une extrême droite plus respectable qu’une autre. »
La « feuille de route »
En juin 2003, Entre Points Critiques devenu entretemps Points Critiques – Le Mensuel, consacre son éditorial à la feuille de route établie par le Quartette pour le Proche-Orient qui comprend les Nations Unies, les Etats-Unis, la Russie et l’Union Européenne. Dans cette feuille de route le Quartette proposait un calendrier de négociation, et fixait l’objectif d’un accord final au plus tard à la fin de 2012. Israël ne tardait pas à réagir par la voix de son vice-ministre des Affaires étrangères, Danny Avalon… « La feuille de route avancée par le Quartette “n’est pas sacrée”. L’important dans la prise de position du Quartette c’est qu’il ne pose pas de conditions à la reprise des négociations concernant la colonisation et les frontières. Mais le calendrier d’application n’est pas sacré ». Ben voyons…
Dans ce numéro de juin 2003, POC réagissait lui aussi : « Si le Quartette avait réellement voulu œuvrer pour une paix véritable, s’il s’était réellement soucié du droit et des aspirations du peuple palestinien et pas exclusivement de la sécurité d’Israël, souci parfaitement louable mais, en l’occurrence, inacceptable par son côté unilatéral, il aurait exigé de l’Autorité palestinienne qu’il fasse une déclaration sans équivoque réitérant le droit d’Israël à exister en paix et en sécurité dans ses frontières d’avant le 5 juin 1967, et du gouvernement israélien qu’il proclame, sans équivoque lui aussi, son engagement en faveur du principe de deux États dont un État palestinien sur l’ensemble des territoires conquis en juin 1967.
S’il avait exigé cette double déclaration comme base indispensable à toute négociation de paix, alors oui, le quartette aurait convaincu de sa volonté de voir réellement s’établir un État palestinien indépendant, viable et souverain. Mais il ne l’a pas fait, et voilà pourquoi la feuille de route dont il faut encore souligner qu’elle ne consacre pas une seule ligne pour exiger d’Israël qu’il arrête sur le champ la construction, de cette monstruosité que constitue le “Mur de séparation”, voilà pourquoi le feuille de route a tout d’un nouveau gadget. Un de plus. »
La feuille de route et le Quartette ont fait long feu comme il fallait s’y attendre.
Ne restent plus en lice que les États-Unis dont on connaît la parfaite impartialité !
BDS
Le numéro de mars 2010 de POC, traitait, sous la signature du Comité de l’UPJB, de l’Assemblée générale de celle-ci qui s’était tenue le 17 janvier précédant pour prendre position sur la campagne Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS). Cette campagne avait été lancée contre Israël, à l’appel d’une centaine d’ONG palestiniennes, jusqu’à ce que celui-ci applique le Droit International.
L’UPJB ne pouvait pas faire l’impasse sur ce délicat débat BDS. Elle ne la fit pas. Ainsi, dans le texte signé par le CA, pouvait-on lire :
Après un débat de grande qualité, durant lequel différentes sensibilités s’exprimèrent, l’Assemblée générale décida l’adhésion de l’UPJB à la campagne BDS.
Nous tenons à préciser, pour autant que cela soit encore nécessaire, que notre adhésion vise la politique d’occupation et d’expansion israélienne et n’est en aucune manière dirigée contre l’État d’Israël lui-même, dont nous défendons le droit de vivre en paix et en sécurité aux côtés d’un État palestinien indépendant, viable et en sécurité lui aussi.
Elle est par contre bel et bien dirigée contre les responsables politiques et militaires israéliens qui se sont rendus coupables de crimes de guerre et peut-être contre l’Humanité. Notre adhésion à la campagne est aussi dirigée contre les entreprises qui, directement ou indirectement, contribuent à perpétuer l’occupation par leurs relations commerciales avec, ou par leur investissements dans des entreprises israéliennes actives dans la construction du mur et dans la colonisation des Territoires palestiniens occupés. Elle n’est bien sûr pas dirigée contre les Israéliens en tant qu’individus, mais contre les Israéliens qui, dans leur fonction, acceptent de représenter à l’étranger l’État d’Israël ou d’être parrainés par lui et s’en font dès lors, qu’ils le veuillent ou non, les porte-paroles. Même s’il s’agit d’intellectuels, d’universitaires, de réalisateurs ou d’artistes. (…)
Nous avons conscience cependant que certaines des actions menées contre la politique israélienne peuvent avoir un caractère outrancier, voire même antisémite comme cela s’est déjà produit. C’est la raison pour laquelle, si l’UPJB adhère résolument à l’ensemble de la campagne BDS, c’est elle seule et en toute liberté qui décidera des actions qu’elle mènera dans ce cadre, de celles qu’elle mènera de concert avec d’autres associations, de celles auxquelles elle ne s’associera pas et, le cas échéant, de celles qu’elle dénoncera.
Pour en terminer
Nous en terminerons avec ce long panorama des prises de positions de l’UPJB à travers Points Critiques, avec le numéro d’avril 2015 dont la Une était consacrée aux élections israéliennes qui s’étaient tenues au mois de mars précédent et avaient vu la victoire de Binyamin Netanyahou. Deux jours à peine avant l’échéance, celui-ci avait martelé à plusieurs reprises : « Si je suis élu, il n’y aura pas d’État palestinien. » Tout était dit…
Et pour conclure il y avait cette question :
« Reste une question, LA question… Comment vont réagir l’Union européenne et les États-Unis face à ce gouvernement de faucon, et surtout au refus de Netanyahou d’accepter la création d’un État palestinien ?
L’Europe va-t-elle enfin se décider à voter des sanctions, la Belgique va-t-elle enfin reconnaître l’État de Palestine, non plus “au moment opportun”, puisque Netanyahou a écarté cette perspective, mais immédiatement ? »
On connaît malheureusement les réponses à chacune de ces questions.