Le terme « Nakba » est généralement utilisé pour désigner la catastrophe, le désastre que représente pour les Palestinien·ne·s l’exode d’environ 800.000 d’entre eux-elles, conséquence directe de l‘indépendance de l’État d’Israël en 1948. La Nakba se poursuit de nos jours, tant pour les Palestinien·ne·s de Jérusalem-Est, de Cisjordanie et de Gaza que pour les celles et ceux d’Israël (citoyen·ne·s de seconde zone).
Presque toutes les familles subissent une Nakba supplémentaire du fait que chacune d’elles a au moins un·e de leurs membres qui a connu ou connaît les geôles israéliennes. Ce problème a pris une telle importance chez les Palestiniens que, depuis 1975, ils ont instauré chaque 17 avril une Journée Internationale de solidarité avec les prisonnier·e·s palestininien·ne·s.
Ainsi, en ce début mai 2021, nous sommes à mi-chemin entre la date du 17 avril, la journée des prisonnier·e·s politiques, et le 15 mai, date de la commémoration de la Nakba de 1948.
À l’occasion du 17 avril dernier, l’ABP (Association belgo-palestinienne) a publié les chiffres suivants :
- Israël détient environ 4500 prisonnier·e·s palestinien·ne·s dans ses prisons et centres de détention, dont 140 enfants, 36 prisonnières et 450 détenu·e·s administratifs.
- Près de 700 détenu.e.s souffrent de maladies, dont 300 d’entre eux de maladies chroniques ou graves.
- Parmi les prisonnier.e.s, 25 étaient déjà détenus avant les accords d’Oslo de 1993. 13 d’entre eux sont détenus depuis plusieurs décennies, tels que Karim et Maher Younis (depuis 38 ans) et Nael Barghouti (depuis 40 ans).
- Les prisonnier.e.s palestinien.ne.s sont détenu.e.s dans des conditions difficiles, victimes de négligences médicales et 400 ont été atteint.e.s de la Covid-19. Quatre prisonniers, comme Kamal Abu Wa’er, sont décédés en raison de négligences en matière de soins de santé.
- Du fait de maladies contractées dans les prisons 227 prisonnier.e.s palestinien.ne.s sont mort.e.s dans les prisons.
- En outre, des centaines de prisonniers sont morts après avoir quitté la prison du fait de maladies contractées dans les prisons de l’occupation depuis 1967 .
J’ajoute que les lieux de détention sont situés en territoire israélien, ce qui est une violation du Droit International, selon lequel la puissance occupante — et colonisatrice — doit détenir les résidents du territoire occupé dans des prisons situées dans ce territoire occupé. La principale conséquence pour les prisonnier·e·s est qu’iels ne reçoivent que très rarement les visites des membres de leur famille car il est difficile pour ceux-ci d’obtenir une autorisation de venir en territoire israélien.
En outre, il arrive fréquemment que les Israéliens procèdent, sans raison valable, à des arrestations et des emprisonnements. Il s’agit alors de détention administrative. Cette mesure, héritée du mandat britannique, est une négation des droits fondamentaux des détenu·e·s, contraire à la démocratie et interdite, elle aussi, par le Droit Internatonal. Mais cela, Israël n’en a cure.
Un ordre de détention administrative peut durer de deux à six mois, mais la mesure peut être reconduite arbitrairement plusieurs fois. Il est donc possible de passer plusieurs années en détention administrative. Les autorités d’occupation peuvent faire valoir qu’elles disposent d’« éléments de preuve secrets » dont ni l’intéressé, ni ses avocats ne sont en droit de connaître la nature. Des Palestinien·ne·s sont ainsi emprisonné·e·s pour une durée indéterminée et sans possibilité de faire appel à un·e avocat·e ou de se défendre, puisque leur dossier est soi-disant secret.
De nombreux ancien·ne·s détenu·e·s racontent qu’un nouvel ordre de détention leur a été adressé le jour même de leur libération, les obligeant ainsi à faire demi-tour pour entamer une nouvelle période de détention.
Les souffrances des prisonnier-e-s sont quotidiennes et de tous les instants :
- les cellules sont infestées d’insectes, de cafards et de rats ; les matelas et les couvertures sont humides et sentent mauvais ; les égouts débordent dans les cellules.
- à ce manque total d’hygiène s’ajoutent de graves problèmes de santé, qui ne sont guère traités médicalement ;
- l’insuffisance du personnel de la santé se fait d’autant plus sentir que les rares personnes affectées à la santé des prisonnier·e·s ne parlent pas l’arabe, mais l’hébreu ;
- près de la moitié des prisonnier·e·s souffrent de maladies traitables mais non traitées, comme l’asthme, le diabète, les maladies des reins et des yeux ;
- et quand il y a traitement, il est extrêmement médiocre. « Quelle que soit la plainte, on nous traite avec de l’aspirine et un verre d’eau ».
- iels sont souvent frappé·e·s et insulté·e·s.
La condition des femmes est encore bien plus pénible : elles sont souvent harcelées sexuellement et humiliées par des fouilles corporelles intrusives au cours desquelles des policiers, généralement masculins, les obligent à se dénuder complètement, ce qui est considéré comme une humiliation extrême dans la culture musulmane.
Le Conseil de Sécurité de l’ONU a d’ailleurs édicté une résolution (1325) appelant toutes les parties en conflit à prendre des mesures spéciales pour protéger les femmes et les jeunes filles. Mais les policiers israéliens n’en ont cure et préfèrent humilier les femmes. Celles qui refusent cette humiliation sont, en outre, placées en cellules d’isolement.
J’ajoute que certaines femmes, arrêtées alors qu’elles étaient enceintes, ont dû accoucher avec les jambes liées jusqu’au moment même de l’expulsion de l’enfant.
Le sort des enfants arrêtés est, lui aussi, particulièrement pénible et angoissant, d’autant plus que, pendant la pandémie de COVID-19, le gouvernement israélien continue à emprisonner des enfants palestiniens, les mettant ainsi en danger de contracter le virus.
Je me permets de reprendre ici un extrait d’une brochure publiée par la Platerforme Palestine intitulée « Enfances brisées. Les enfants palestiniens, cible privilégiée de la répression israélienne » (2019).
Plus de 12 000 enfants palestiniens sont passés entre les mains des forces de sécurité israéliennes depuis 2000, soit entre 500 et 700 par an. Arrêtés, violentés et parfois torturés, interrogés, détenus, poursuivis et, le plus souvent, condamnés à l’issue d’un procès inique, ces mineurs sortent brisés du système de détention militaire israélien.
Les enfants sont parmi les premières victimes de la répression, ils sont délibérément ciblés par les autorités israéliennes. Entre 500 et 700 mineurs palestiniens âgés de 12 à 18 ans sont détenus dans des prisons militaires israéliennes et poursuivis par la justice militaire.Dans la plupart des cas, ils sont accusés d’avoir jeté des pierres et sont condamnés à des peines d’emprisonnement allant de quelques jours à plusieurs mois, mais elles peuvent parfois atteindre plusieurs années.
Ces chiffres ne reflètent cependant pas la situation globale des mineurs palestiniens et les persécutions à leur encontre. ils peuvent en effet être détenus et interrogés pendant quelques heures ou quelques jours, puis relâchés. De ce fait, de nombreuses arrestations ne sont pas documentées.
Les arrestations, interrogatoires et condamnations servent autant à punir les enfants qu’à les dissuader, eux et leurs familles, de résister à l’occupation. A travers l’arrestation des enfants, c’est la société palestinienne dans son ensemble qui est fragilisée : déscolarisation, dépression, peur d’une nouvelle arrestation, peur de la torture, désintégration des liens familiaux et sociaux. Le système de détention israélien est une véritable punition collective.
Ce faisant, au-delà des dommages immédiats infligés à la communauté, la politique de répression des enfants impacte l’avenir de la société palestinienne et, à travers elle, les chances de succès de tout processus de paix. Car les mineurs, actuellement aux prises avec le système militaire israélien de répression et de justice, sont les citoyens qui construisent l’avenir de la Palestine ».
Je mets en exergue cette dernière phrase parce que je crains que, si la politique israélienne ne change pas de cap, le système d’apartheid qu’elle a instauré pourrait être encore plus désastreux pour toute la population palestinienne, tant d’Israël, que de Jérusalem, de Cisjordanie et de Gaza.
Quelques associations israéliennes s’opposent à cette politique faite de répression, de sévices, de coercition et de condamnations. Mais les citoyen-ne-s qui en font partie sont minoritaires.
Je citerai, à titre d’exemples :
- WOPFF (Women’s Organization for Poiitical Prisoners) : cette Organisation d’Israéliennes pour les Prisonnières Politiques fut fondée par Hava Keller en 1988, au début de la Première Intifada, dans le but de soulager les détenues palestiniennes, notamment en leur donnant l’occasion de consulter un-e avocat-e qui puisse les défendre devant les Cours Militaires.
- Gush Shalom (Bloc de la Paix), fondé par Uri Avnery en 1993.
- Les refuznik : ces jeunes filles et garçons qui refusent de servir dans l’armée, ce qui est considéré comme une trahison. Iels risquent donc une peine de prison et, à plus long terme, des difficultés d’ordre personnel et professionnel.
- Deux ONG israéliennes, B’Tselem (dont l’objectif est de documenter les violations des droits humains dans les territoires occupés) et Hamoked (Centre pour la défense de l’individu) ont beau dénoncer les tortures systématiques infligées par le Shin Bet (service de sécurité intérieure), les responables israéliens n’en poursuivent pas moins leur politique répressive.
De même, les autorités israéliennes ne se laissent pas déstabiliser par les jugements, voire les injonctions, venant d’instances internationales, comme:
- Amnesty International qui enregistre les détentions arbitraires, les procès inéquitables, les tortures et autres mauvais traitements ;
- CPI (Cour Pénale Internationale) : comme les Israéliens refusent aux Palestiniens la capacité de se défendre juridiquement, ces derniers ont saisi la Cour Pénale Internationale de La Haye. A quoi Benjamin Netanyahu a immédiatement rétorqué qu’Israël, ne reconnaissant pas la CPI, ne compte pas collaborer à cette enquête et il ajoute :« Nous allons faire comprendre clairement qu’Israël est un pays avec une règle de droit qui sait enquêter sur lui-même. »
L’Etat d’Israël ignore ainsi superbement le Droit International.
Avec cet état d’esprit et dans ces conditions, même si Benjamin Netanyahou n’est plus Premier Ministre, il est difficile d’imaginer la fin de la « double Nakba ».
Thérèse Liebmann