Dans l’édition de mars-avril de Points Critiques, nous avons publié une critique du dernier film de Polanski –J’accuse-, qui fait l’objet d’une action de boycott dans la foulée du mouvement Me Too. Les auteurs de ce droit de réponse, faute d’avoir obtenu le retrait de cet article, expliquent leur position.
Du système patriarcal
Au sens large, le patriarcat désigne l’institutionnalisation et les manifestations de la domination des hommes sur les femmes. Nous sommes plongés dans un système patriarcal. Insistons ici sur le mot système parce que le patriarcat recoupe plusieurs réalités. Il est en effet une réalité politique, notamment parce que la majorité des gouvernant·e·s sont des gouvernants ; une réalité économique, parce que le (système) capitaliste s’appuie sur la gratuité du travail reproductif (préparer à manger, les tâches ménagères, la garde des enfants, …)
qui est largement effectué par des femmes ; une réalité qui se traduit même dans la justice parce que porter plainte pour abus sexuels est très compliqué (et obtenir justice l’est d’autant plus) ; une réalité quotidienne enfin parce que la domination est présente dans tous les rapports sociaux. Qui niera qu’il est plus dur de se balader seule dans la nuit que seul dans la nuit ? Que pour un même travail, les hommes sont globalement mieux rétribués ? Le sexisme se traduit également dans l’espace familial, dans la facilité qu’ont les hommes à prendre la parole (et dans la légitimité qu’ils y trouvent), dans la manière dont les hommes occupent l’espace public (la rue, les transports en communs, …) et médiatique, …
De la pratique : un article sur Polanski ?
Les constats énoncés plus haut permettent d’affirmer qu’il est nécessaire de repenser notre organisation sociale et, dans un même mouvement, nos rapports sociaux, parce qu’ils sont imprégnés de sexisme. Il s’agit donc ici tant de l’échelon individuel que de l’échelon systémique, global.
Dans le dernier numéro de Points critiques, Rémi Hatzfeld livrait ses impressions sur le dernier film de Roman Polanski “J’accuse”. Une critique douce, couplée d’une posture désinvolte et complaisante envers le réalisateur dans l’introduction de l’article, dans laquelle il est expliqué que la controverse autour de Polanski a fait couler beaucoup d’encre : “fallait-il boycotter le film de cet homme qui a été jugé coupable d’abus sexuel sur mineur ?” L’on nous dit ensuite que Rémi Hatzfeld “préfère nous livrer une analyse critique du contenu du film” que de se positionner. Est-il nécessaire ici d’expliquer que, dans un boycott, ne pas boycotter, c’est se positionner ?
Le cautionnement des dynamiques sexistes et machistes participe au maintien du système patriarcal, il faut pousser la réflexion au-delà de la remise en question des dynamiques de genres et cesser d’entretenir ce système par nos actes.
A l’heure actuelle, au moins 10 femmes accusent Roman Polanski de les avoir violées, la plupart lorsqu’elles étaient enfants. La sortie même de ce film est un scandale. Un scandale pour les victimes. Un scandale pour les femmes et les enfants, à qui on signifie par ce biais que le viol peut rester impuni et le violeur célèbre. Cela peut même le faire gagner en popularité.
Un scandale renforcé par les déclarations de Polanski à la sortie du film, où il parle des « histoires aberrantes de femmes qu’[il] n’a jamais vu de [s]a vie et qui [l]’accusent de choses qui se seraient déroulées il y a plus d’un demi-siècle ». Comme si le nombre d’années écoulées pardonnait le viol. Comme si ces femmes n’avaient pas vécu ce « demi-siècle » avec un lourd traumatisme par sa faute. Comme si une dizaine de femmes allaient inventer s’être fait violer par une personnalité, dans une société patriarcale, où il est extrêmement compliqué de se faire entendre quand on porte plainte pour viol. C’est d’ailleurs encore plus compliqué quand il s’agit de s’attaquer à un homme blanc riche et célèbre.
Nous donnons raison aux nombreux collectifs féministes qui se sont insurgés contre le principe « il faut séparer l’homme de l’artiste » qui légitime la culture du viol et participe à l’oppression des violées qui, nous vous l’assurons, souffrent déjà suffisamment de leur traumatisme. D’ailleurs, ce « principe » pèse sur l’invisibilisation de la parole des victimes. D’une part, parce que les victimes qui ont déjà ouvert la voix ne sont pas entendues (et, par ce biais, proprement invisibilisées) ; d’autre part, parce que cela pousse toutes les autres victimes (en ce compris toutes les futures) à prendre acte du fait qu’il est inutile de parler. Nous refusons la normalisation du viol. L’impunité dont jouissent les violeurs doit cesser, et ce, au plus vite.
De la controverse
Il est évident, d’après nous, que, par ses divers engagements, l’UPJB est une association à gauche du spectre politique, et, le Points Critiques, sa carte de visite.
On a pu y trouver des positionnements sur l’inégalité hommes-femmes sous toutes les formes qu’elle peut prendre, notamment récemment, à travers un numéro axé sur l’émancipation des femmes.
Nous pensons que le devoir d’une revue de gauche est de défendre les dominé·e·s (et, parfois, d’attaquer les dominant·e·s). Ainsi, publier un article qui cautionne l’œuvre d’un artiste accusé de multiples viols sur (jeunes) filles mineures (et reconnu coupable aux États-Unis pour l’un d’entre eux) est un choix qui, d’après nous, n’a pas lieu d’être au sein de cette revue.
Par ailleurs, cet article figure dans le focus Stop Racisme, pour parler de l’antisémitisme. Nous pensons qu’il existe d’autres moyens de parler de l’antisémitisme que par le biais d’un article qui loue les qualités du film de Polanski. Certes, il traite de l’affaire Dreyfus, un événement marquant de l’histoire de l’antisémitisme, mais rendu actuel seulement par la sortie du film “J’accuse” et peu représentatif du racisme à l’encontre des juifs à l’heure actuelle. Parce que, aujourd’hui, en France, un homme juif n’est plus empêché d’exercer son métier en France à cause du fait qu’il est juif, et Polanski en est une preuve.
Pour conclure brièvement, nous tenions à nous opposer à la parution de l’article écrit par M. Hatzfeld dans le dernier numéro.
Nous tenions à nous y opposer frontalement parce que l’UPJB a toujours été pour nous un réservoir d’idées et de constructions politiques de gauche, et que nous trouvions la décision de publication dangereusement tournée vers la droite. L’UPJB se doit, comme tout mouvement de gauche, de se parer de valeurs et d’actes féministes. Le mouvement de jeunesse s’investit et se réinvente de ce côté-là, comme en témoigne le dernier article de cette revue. Mais nous devons viser plus grand, plus haut, plus loin. Tou·te·s ensemble.