[Points Critiques n°380] Édito

Anne Grauwels

S’il faut en croire le mainstream en Israël et en diaspora, l’antisémitisme se cache aujourd’hui derrière l’antisionisme. La violence et le caractère sans nul doute antisémites des injures dont Alain Finkielkraut a fait les frais récemment, semblent leur donner raison.
Alors, antisionisme = antisémitisme désormais ?
L’antisionisme, contrairement à l’antisémitisme est une opinion et non un racisme. L’antisionisme, comme toute opinion, est donc protégé par la liberté d’expression.

Mais qu’entend-t-on par « antisionisme » ?
Le refus de la constitution d’un État juif en Palestine ? C’était l’opinion de la majorité des courants politiques juifs (et de la plupart des rabbins), dès la naissance du mouvement sioniste. Ils furent pris à partie de façon virulente par Herzl lui-même, qui les qualifia de « youpins antisionistes » (sic). (Voir l’article de Jacques Aron dans ce numéro).

Puis, il y eut le judéocide nazi et la création de l’État d’Israël. Avec ses kibboutzim et son collectivisme, le sionisme comme utopie réellement existante avait bonne presse dans la gauche européenne jusqu’en 1967, quand débuta la politique d’annexion et d’occupation de nouveaux territoires palestiniens. Depuis, l’opinion publique européenne s’est progressivement détournée d’Israël, pour soutenir la cause des Palestiniens, chassés et spoliés de leurs terres de façon injuste et illicite. D’autant plus que des recherches historiques (en Israël avec les « Nouveaux Historiens ») démontrent que ces spoliations étaient là dès le début de la création de l’État juif, et seraient donc au cœur du projet sioniste. Pour les Juifs, et plus particulièrement pour les Israéliens, ce désamour grandissant ne fait que renforcer l’idée qu’ils vivent dans une citadelle assiégée qu’il faut défendre à tout prix. Et toute critique de la politique israélienne est vécue comme une parole antisémite. De gros moyens sont mis en œuvre pour convaincre l’opinion publique que l’antisémitisme est en progression.

Depuis 2017, l’IHRA, (International Holocaust Remembrance Alliance), tente de faire adopter par les parlements occidentaux une définition officielle de l’antisémitisme qui permettrait notamment de poursuivre toute critique de la politique israélienne jugée antisémite.

Bien sûr, il existe un antisionisme antisémite. Il a existé en URSS sous Brejnev et en Pologne communiste. Il existe aujourd’hui dans le monde arabo-musulman (voir l’analyse de l’Islamologue Michaël Privot) et dans les milieux de l’ultra-« gauche », incarnée en France par Dieudonné ou dans l’extrême droite aux États-Unis, même si d’autres groupes proto-fascistes comme le Vlaams Belang affichent plutôt de l’israélophilie ces temps-ci. Comme le disent nos protagonistes du Pilpoul consacré à cette question, il y a toutes sortes d’antisionismes, comme il y a toutes sortes d’antisémitismes.

Mais le plus souvent la confusion est totale, quand il ne s’agit pas tout simplement de faire taire toute critique un peu virulente de la politique israélienne. Près de chez nous, l’affaire Ken Loach à l’ULB en est un exemple frappant. Nous y revenons avec Vincent Engel ainsi que sur la plupart des sujets qui concernent cette (non)équation.