[Points Critiques n°385] S.O.S solidarités

Françoise Nice

Philippe Mercenier court partout, difficile de l’attraper pour une interview. Et quand enfin le moment est venu, le temps est compté. Ce jour-là, comme chaque mois, l’animateur du Collectif wallon de solidarité avec les migrants est au Parc Maximilien à Bruxelles avec Marthe, Dominique, Moussa et Meriem. Reportage.

Sur la grande pelouse détrempée, leur camionnette est là, bourrée de dons ou de matériel acheté via leur compte Decathlon. Une autre équipe ira à Calais et dans d’autres structures de Wallonie avec des fruits et des légumes. Né à Amay, basé à Liège, Philippe ne s’arrête pas, apporte paires de chaussures aux SDF et aux réfugiés, demandeurs d’asile ou pas. Il ne fait pas de différence, la détresse et l’exclusion n’ont pas de statut administratif. Le café avalé, quelques mots échangés, je le suis vers le parc. Meriem, cette Bruxelloise bénévole qui cuisine et distribue chaque soir un repas chaud à plus de 600 réfugiés est sur place : thé chaud, gaufres, mouchoirs en papiers, boîtes de sardines pour commencer, et vêtements, produits de soin, chaussures l’après-midi. Les réseaux de solidarité sont complémentaires.

La révolte contre l’injustice, Philipe l’avait déjà au lycée. Il a fondé un syndicat, il rêvait de devenir délégué syndical. Il a étudié les travaux publics, exercé plusieurs métiers, principalement dans la pub. « A 18 ans, j’ai écrit à Médecins du monde, j’étais très touché par la situation dans le tiers-monde. La grosse injustice, c’est là qu’elle est ». En 2016, avec quelques copains il part avec un camion chargé d’une tonne d’oranges pour les exilés de Calais. Il crée le Collectif wallon d’aide aux migrants, également appelé Collectif d’aide aux sans-abris avec ou sans papiers. Depuis, avec une dizaine d’amis hyper motivés, il coordonne récoltes et distributions. « Christine Mahy Hergot du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté est venue avec nous à Calais Elle apprécie ce qu’on fait ». « On accepte les dons en nature, pas  en argent ». Le collectif a aussi un compte chez Decathlon, où chacun peut acheter et payer (*). Le Collectif est un maillon très actif entre les donateurs et les sans-abris. Il est resté une association de fait, pas le temps pour toutes les démarches liées à un statut d’asbl, pas l’envie non plus d’avoir à gérer de l’argent.

« D’un point de vue policier, le démantèlement de la « jungle » de Calais a bien fonctionné » souffle-t-il mi-amer mi-sarcastique. « Ce qui explique qu’on retrouve nombre de réfugiés le long des autoroutes wallonnes ou au Parc Maximilien. Les besoins sont multiples. On arrose les campements et collectifs avec tout ce qu’on récolte ».

La solidarité, comme un maillot à pois

Il compare la solidarité au maillot à pois rouges du meilleur grimpeur au tour de France. Des pois rouges apparaissent et disparaissent précise sa camarade Marthe « Certains font une seule récolte de vivres, de tentes, de chaussures etc… d’autres deviennent plus réguliers et s’autoorganisent comme de collectif d’Arlon de sardines pour les migrants.
De nouveaux donateurs apparaissent. Le mouvement de solidarité s’étend-il ou s’épuise-t-il ? Philippe lâche : « On commémore beaucoup ces jours-ci les morts d’Auschwitz et des camps nazis. Je voudrais moi qu’on commémore aussi toutes les victimes des autres atrocités perpétrées depuis la fin de la guerre, les morts du Rwanda, les noyés en Méditerranée… Oui, ce maillot de la solidarité existe, mais ce sont toujours un peu les mêmes. Et il y a quand même trois millions de Flamands qui ont voté pour l’extrême-droite. »

Le Collectif wallon d’aide aux migrants est désormais connu comme un point de centralisation des dons : « On organise des évènements, ventes de dessins, concours de belote, je vais parler aux futurs assistants sociaux, dans les écoles. Bientôt j’ai rendez-vous avec des pensionnés ».

Les deux grands thermos sont vides, Meriem et moi on parle des visages connus, hébergés à la Porte d’Ulysse, et des nouveaux venus. Elle est stricte, pas question de faire la file n’importe comment, « je travaille je travaille ! » assène -t-elle. Il y a encore des biscuits, et plein de sardines. Philippe et Marthe vont en distribuer aux petits groupes de gars rassemblés sous les arbres. C’est surtout l’occasion de parler, de faire connaissance, d’avoir des nouvelles de Calais où les campements réapparaissent sitôt dispersés.

N’attendez pas de Philippe qu’il s’apitoie bruyamment sur les réfugiés ou qu’il s’enorgueillisse de son geste. Pas son genre. Mais il croise une copine de son petit-fils, fait une photo et me la montre : « Tout ça, c’est pour eux qu’on le fait. Pour leur montrer l’exemple ». Et sur son mur Facebook, son outil de travail, il écrira quelques heures plus tard : « À chaque fois c’est pareil, il faut des heures avant de poser des mots sur l’innommable, comment expliquer à des enfants, qu’en 2020, des adultes distribuent en rue des calebars à d’autres adultes, comment expliquer que des adultes distribuent en rue de la nourriture, de l’eau ou de quoi se vêtir (…) Victimes dans leur pays, victimes chez nous !
(…) Pourquoi ? Pourquoi notre accueil est-il si misérable ? Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ? Qui va trier ? Qui va décider qui meurt ou pas ? Qui ? »

« Qu’attends-tu des politiques à court, moyen et long terme ? – Ça, c’est La seule question importante… ». Avant de le quitter je la lui repose, il me remballe à nouveau.
« Tu te rends compte de la question que tu me poses ! ? ! Il me faudrait trois heures pour répondre… ». Comme tous les militants des luttes contre l’exclusion raciste et sociale, il est dans l’urgence humanitaire absolue. Urgence qui peut mener à l’épuisement.
Le combat des distributeurs de petits pansements d’humanité est acharné, parfois désespérant, autant que fondateur d’un monde meilleur.

(*) Pour info: nikellle@hotmail.com et mot de passe 500Réfugiés