Par ces temps de confinement, beaucoup (re)découvrent la poésie. Celle-ci est inséparable de l’indignation.
Si si, j’ai désobéi, je suis parti me balader loin de mon quartier avec Venus poetica de Lisette Lombé. Et j’ai vu sur les murs de la ville le mot FÉMINICIDE, et j’avoue avoir pensé : C’est exagéré, non ?! Mais lisant La Malédiction d’être fille, l’enquête de Dominique Sigaud, jamais plus je ne dirai : c’est exagéré. Vous savez, la poésie/l’actualité ne sont pas (forcément) des ennemies. Un point positif du confinement : j’ai découvert la plateforme Zoom et la joie des réunions en ligne.
C’est notre ami Gérard qui m’a dit : Lis vite Lisette Lombé, en voilà une qui n’a pas sa langue en poche ! Pour la propagation de la poésie, le bouche à oreille c’est infaillible. Et j’ai lu son Venus poetica le long des trottoirs (et interdit de s’asseoir) du Basilix Shopping Center jusqu’à Forest place Saint-Denis. C’était un dimanche, fin mars, le soleil brillait…
Slameuse. Performeuse. Autrice. Collagiste. C’est ainsi que Lisette Lombé se présente sur sa page Facebook. « En 1998, ce corps avait 20 ans… » est le début d’un slam extrêmement fort de Lisette Lombé. Et le slam c’est quoi ? L’envol en 3 minutes 30 d’un poème voulant se tirer de la trop étroite et petite feuille de papier. Et le poème prendra son envol par le souffle, le rythme, le flow. Peut-on dire que c’est un juste retour vers l’ancestrale tradition de la poésie orale ? Les mots « griot » ou « trouvère » ont-ils un féminin ? Pour « griot », je ne sais mais le mot « trouveresse » existe. Venus Poetica se raconte et se dénude : de la petite enfance à l’adolescence jusqu’à l’état de mère enceinte, ouvertement et sans ambages, Lisette Lombé dit le sexe, la soif de s’en sortir, les affres du désir et des hommes. Parfois la lisant je me disais : non, là, elle invente, elle n’a pas vécu tout ça, et puis va-t-en savoir. De la difficulté à la fierté d’être Noire, celle d’une femme qui constate que le célèbre ascenseur de l’ascension sociale… hé bien, c’est pas demain la veille qu’on va le réparer ! Il vaut mieux que tu prennes les escaliers. Son style me semble si beau que j’ai pensé à James Baldwin. Et par l’audace et la crudité des aveux, en exposant le plus intime, Lisette Lombé fait face avec superbe aux risques de la désapprobation.
À cause de la pandémie du COVID-19, bibliothèques publiques et librairies étant fermées, je n’ai pu me procurer ses autres livres : On ne s’excuse de rien ! , un recueil de textes issus d’ateliers d’écriture (Maelström reEvolution, 2019), Black Words (L’Arbre à Paroles, 2018), La magie du burn-out (Image publique, 2017). Ces titres m’étant inaccessibles, j’ai cherché à mieux la connaître en naviguant sur YouTube; voici un collage-patchwork de ses paroles : « Dans ce poème Soudain surgit Semira Adamu – Je m’appelle Lisette Lombé, conçue à Kinshasa et née à Namur, la rencontre du Tiers-Monde et du Quart-Monde – Que mes enfants n’oublient pas de quel ventre ils sont nés – Assumer pleinement mon goût pour les peaux citoyennes – J’ai été une travailleuse épuisée – Les identités professionnelles interrogent le capitalisme et les stéréotypes – Il y a le Kasaï et il y a la Meuse – Le Congo est inscrit sur mon visage – Hommage à Patrice Lumumba – Être Noire ce n’est pas comme une identité sexuelle qu’on peut plus ou moins cacher – Dans le slam le plus ardu pour moi c’est la mémorisation – Le slam est politique dans son essence, ça disqualifie l’élitisme – C’est un mini-modèle d’un autre possible – Le slam est un art de la parole, ça n’a rien à voir avec le verbiage – Aussi un outil de confiance en soi – Une manière de partager en 3 minutes l’angoisse de la page – Le public des scènes slam est très masculin et il y a aussi le problème de la réception de la parole des femmes dans un contexte patriarcal. Si les femmes disent un texte engagé sur scène, avec de la colère, elles peuvent être perçues comme hystériques, ce qui n’est pas le cas des hommes. – Notre corps est notre outil de militance – On veut retrouver une solidarité et une sororité dans le milieu artistique – Parfois en tant que femme racisée nous sommes invitées pour remplir un trou, pour le quota,»
De Dominique Sigaud (Paris, 1959) j’avais lu L’Hypothèse du désert, La Vie, là-bas, comme le cours de l’oued, ou encore Blue Moon. Dans La Malédiction d’être fille, elle devient journaliste-reporter : désormais dès que j’entendrai l’expression « les violences faites aux femmes » je penserai à son livre.
Pourquoi donc réunir ces deux livres dans une même chronique ? J’y réponds par une question : Par quelle « césarienne » peux-tu séparer la poésie et l’indignation ?
> Vous trouverez une belle interview de Lisette Lombé dans Axelle, magazine féministe belge : https://www.axellemag.be/parole_de/lisette-lombe/
> VENUS POETICA – Lisette LOMBÉ (L’Arbre à paroles, 2020 ; collection IF, 61 pages)
> LA MALÉDICTION D’ÊTRE FILLE – Dominique SIGAUD (Albin Michel, 2019, 237 pages)
Laurence Vielle: le poème quotidien, Poésie sur Musiq3
Durant toute cette période de confinement, retrouvez chaque jour les mots des poètes avec la poétesse et comédienne Laurence Vielle sur Musiq3, sur son site et sur les réseaux sociaux. Elle nous fait entendre une poésie vivante, des paroles de femmes et d’hommes comme une main tendue à l’être et à l’autre, un lieu d’hospitalité. Elle déplie, le temps d’un instant, ces poètes d’ici, d’ailleurs, d’aujourd’hui et d’hier pour réveiller en nous d’autres possibles. (Une initiative de Carine Bratzlavsky). Tous les poèmes (depuis le 6 avril) en podcast sur le site de la RTBF, Musiq3, onglet ‘émissions’