Que s’est-il passé à Kazerne Dossin ?

Yael Brakin

Les derniers événements qui ont ébranlé la « Kazerne Dossin » ont fait éclater au grand jour un conflit sous-jacent depuis sa création en 2008, entre la direction quotidienne du musée et une dizaine d’historiens flamands, membres de son conseil scientifique. Points Critiques dans son numéro de mai y consacrera une bonne partie de son focus. Nous publions ici la carte blanche de l’EAJS (Een Andere Joodse Stem-Une autre voix juive) parue dans le quotidien flamand De Standaard le 12 mars dernier.

Le 9 mars 2020, la moitié du comité scientifique de Kazerne Dossin, musée voué à la mémoire de la déportation et à la promotion des droits humains (Malines), démissionnait.

Cette décision marque l’opposition du corps scientifique à l’instrumentalisation de sa mission au nom du nouveau « canon flamand » mis en œuvre par le gouvernement Jambon, qui peut s’appuyer sur l’hégémonie que la N-VA exerce désormais sur la communauté juive anversoise.

Lisez à ce propos cette carte blanche publiée dans De Standaard par Yael Brakin, membre de Een Andere Joodse Stem – Another Jewish Voice, notre organisation sœur en Flandre.

Article original : à lire sur De Standaard

Certains politiciens juifs qui font partie de la direction quotidienne de Kazerne Dossin trouvent qu’il n’y a pas de place dans ce centre pour la souffrance des autres. Les porte-parole autoproclamés de la communauté juive vont jusqu’à accuser des historiens de renom tels que le recteur Herman Van Goethem et Bruno De Wever, qui ont enquêté pendant si longtemps sur la persécution et l’extermination des Juifs belges*, de ne pas respecter suffisamment les sensibilités de la communauté juive.

Ces politiciens utilisent avec enthousiasme l’idéologie du « nous sommes les seuls autorisés à parler de la Shoah » qui souffle d’Israël. Quiconque est en désaccord avec un courant juif particulier n’est pas autorisé à parler de la Shoah, est marginalisé, mis à l’écart. En raison du mécontentement suscité par la manière dont Kazerne Dossin est géré par le conseil d’administration, la quasi-totalité du conseil scientifique s’est mobilisée cette semaine (DS 11 mars).

Collaborateurs

La caserne est l’endroit où les Juifs de Belgique ont été rassemblés pendant la Seconde Guerre mondiale. De là, plus de 25 000 personnes ont été déportées vers les camps d’extermination. Les nazis ont pu compter sur l’aide de collaborateurs et d’individus, mais surtout sur celle d’organismes officiels. Ils ont coopéré aux rafles et aux déportations. Kazerne Dossin était là pour ne jamais oublier ces atrocités. Il s’agit d’un mémorial où les victimes et leurs familles, ainsi que le reste de la communauté flamande et le monde entier, peuvent commémorer leurs proches.

Pendant des siècles, les Juifs ont été les étrangers les plus visibles dans notre pays. Ils ont subi des mesures draconiennes, des pogroms, de la haine et de l’oppression. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce sont les Juifs qui ont le plus souffert sous le régime nazi. Six millions d’entre eux ont été exterminés et anéantis. Mais les Juifs n’étaient pas les seuls à être persécutés. Toute personne qui se comportait ou pensait différemment des nazis était déportée. Côte à côte, Juif, gitan, homo, communiste ou pacifiste, vers les chambres à gaz.

Un lourd héritage

Nous, les Juifs qui ont eu la chance de survivre, avons reçu un lourd héritage. Nous devons nous souvenir, nous devons mettre en garde contre les forces de la société qui stigmatisent et marginalisent les plus démunis, les personnes de couleur, les plus faibles et les dissidents. Nous, qui avons tant souffert, ne pouvons et ne devons pas seulement nous souvenir de notre propre peine et de notre propre perte. Aujourd’hui, les réfugiés, les demandeurs d’asile, les migrants, les minorités sont aussi vulnérables que l’étaient les Juifs à l’époque.

Les mécanismes d’exclusion et de déshumanisation jouent également un rôle aujourd’hui, les droits humains sont violés en masse. La Déclaration des droits de l’Homme, née sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale, glisse comme du sable entre les doigts de tous ceux qui veulent faire un geste de compassion et d’humanité. Plus que jamais, il est de notre devoir, en tant que citoyens du monde, mais aussi en tant que Belges d’origine juive, de défendre les droits de chaque être humain.

En tant qu’organisation Een Andere Joodse Stem, nous souscrivons au précepte juif « tikkun olam, tikkun ha-adam » : pour restaurer le monde, nous devons commencer par nous-mêmes. Ensemble, nous demandons que toute forme de déshumanisation soit combattue et que Kazerne Dossin devienne un lieu de mémoire et d’alerte.

 

* NDLR : Bruno de Wever st un spécialiste du mouvement flamand, il n’a pas travaillé sur la persécution des Juifs, mais sur tout l’autre versant du judéocide, témoins et acteurs de la collaboration.