Autour de la conférence de Masha Cerovic organisée le vendredi 17 novembre à 20h15 à l’UPJB
Les troupes allemandes ont occupé Minsk, capitale de la Biélorussie, le 28 juin 1941. Un ghetto a été créé le 18 juillet. Il y a alors environ 100.000 Juifs à Minsk : une partie d’entre eux y vivaient déjà avant 1939, d’autres étaient des réfugiés venus après le partage de la Pologne entre Hitler et Staline en 1939. La collaboration entre ‘Occidentaux’ et « Orientaux’ sera un des facteurs qui expliquent l’extraordinaire résistance des Juifs de Minsk.
Les ‘Occidentaux » ont l’expérience du travail politique clandestin en Pologne. Ils sont sans illusion sur Hitler. Les « Orientaux » ont été démoralisés par le pacte germano-soviétique. Ils sous-estiment complètement le danger mais ils apportent de précieuses relations avec la résistance soviétique à Minsk et dans les forêts.
Dès le 17 août, cinq militants juifs communistes créent l’organisation combattante du ghetto. La résistance articule le travail légal au travail illégal. Surmontant l’opprobre qui entourait le Judenrat (conseil juif) formé par les nazis de Minsk, elle obtient de lui des informations et de l’assistance.
Pendant deux ans, l’organisation de combat des Juifs de Minsk va se battre contre l’occupant. Il s’agit de « protéger et de combattre » contre la machine nazie d’extermination. 80.000 Juifs ont été assassinés à Minsk pendant la Shoah mais des milliers ont pu rejoindre les partisans dans les forêts. Ce fut sans doute l’opération de sauvetage la plus réussie à l’Est de l’Europe. Peu étudiée par les historiens, cette expérience unique a été relatée par un de ses protagonistes Hersh Smolar. Il a fallu attendre 75 ans pour que son livre soit traduit en français et publié par les éditions Payot en 2022. Les qualités exceptionnelles de ce témoignage sont à la hauteur de l’importance historique de ce qui s’est passé dans le ghetto de Minsk. En URSS, cette histoire est devenue un tabou dès le début de la vague antisémite déclenchée par Staline en 1948.
Hersh Smolar était un des dirigeants de l’organisation de combat du ghetto. Né en 1905, sa vie se confond avec les vicissitudes du mouvement communiste. Il commence à militer à l’âge de onze ans. En 1920, pendant la guerre entre la Pologne et la Russie soviétique, il fait partie du comité révolutionnaire qui administre la ville de Zambrow. Après la défaite, il devient un activiste de l’Internationale communiste. Il est journaliste dans la presse yiddish de gauche. Il est envoyé à Vilnius pour le travail clandestin. Il connaît la prison : condamné à trois ans de prison en 1929, à six ans de prison en 1936. Sa deuxième période de détention prend fin en 1939 lorsque l’armée rouge prend le contrôle de Vilnius.
Lors de l’invasion nazie du 22 juin 1941, il se trouve à Byalystok. L’avance des troupes allemandes est foudroyante. Jusqu’à la dernière minute, Staline est resté convaincu que les nombreuses alarmes sur l’imminence de la guerre étaient une opération d’intoxication des Anglais. Hersh est contraint de fuir à pied pour se réfugier à Minsk. C’est une périple de 400 km. Quand il arrive à Minsk, la ville est déjà occupée par les Allemands qui n’ont pas perdu de temps : des affiches annoncent la création d’un quartier juif. Tous les Juifs sont tenus de s’y rendre dans un délai de trois jours. C’est la création du plus grand ghetto de l’ensemble des territoires qui étaient soviétiques avant 1939.
Dans son livre « Le ghetto de Minsk », publié en yiddish en 1947, Hersh Smolar décrit avec une grande précision la formation de la résistance juive dès les premières semaines du ghetto. Lorsque le ghetto sera liquidé par les occupants en 1943, Hersh rejoint les unités autonomes de partisans juifs qui sont intégrés dans les maquis soviétiques de Biélorussie. On les appelait « unités familiales » parce qu’elles accueillaient l’ensemble des civils indépendamment de leur âge.
Après la guerre, Hersh a été un des dirigeants de la vie culturelle et politique juive dans la Pologne ‘populaire’. En 1956, c’est lui qui publie le premier article évoquant dans la presse légale du bloc soviétique l’assassinat des dirigeants du Comité antifasciste juif en août 1952. Il a émigré en 1968 en raison de la violente campagne antisémite du pouvoir. Il a ensuite vécu en Israël où il a publié plusieurs livres de mémoires en yiddish. Il est mort en 1995 et sa tombe se trouve dans le kibboutz de Shefayim, fondé en 1935 par des Juifs émigrés de Pologne.
Nous avons découvert ce livre à l’UPJB grâce à Piotr Smolar, grand journaliste du « Monde », actuellement aux Etats-Unis. Au début du Covid, il était venu nous parler de trois générations de sa famille : Hersh le grand père, un héros modeste et effacé ; Alexandre son père, un des activistes de la gauche dissidente en Pologne et lui-même, un « mauvais juif » se posant la question « A quoi devons-nous être fidèles ? ». C’était la première visio-conférence que nous organisions pendant le confinement du Covid. Un beau début…
L’histoire du ghetto de Minsk nous sera présentée par Masha Cerovic. Maîtresse de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS à Paris). Elle a écrit, sur la base de sa thèse, un livre sur les partisans soviétiques entre 1941 et 1944 intitulé « Les enfants de Staline. La guerre des partisans soviétiques (1941-1944) » qui décrit et analyse cet important acteur de la deuxième guerre mondiale en Union Soviétique qui réunit autour de 500.000 combattants à la fois dépendants et autonomes par rapport au pouvoir central.
Laurent Vogel