POC POURQUOI CE FOCUS SUR RICHARD MOSZKOWICZ ?
GERARD PRESZOW Pour partager le coup de cœur que j’ai eu quand j’ai découvert son travail.
QUAND L’AS-TU DECOUVERT ?
C’était en 2008. Le Créahm de Bruxelles fêtait ses vingt-cinq ans par une exposition collective au Botanique.
LE CREAHM ?
L’acronyme de « Créativité et handicap mental » ; c’est né à Liège dans le sillage de l’Art Brut, à l’initiative d’un peintre, Luc Boulanger, et puis une antenne a vu le jour à Bruxelles ; en peu de mots, je pourrais dire que c’est une académie d’arts pour personnes handicapées qui ont des prédispositions créatrices.
ET QU’EST-CE QUI T’AVAIT FRAPPE A L’EPOQUE ?
Il faut dire que je connaissais déjà pas mal d’exposants puisque je suis un familier des oeuvres issues de la marge ou de la folie ou du handicap. J’ai participé à la création de la galerie Art en Marge, à Bruxelles, en 1986, devenue depuis le musée « Art et marges », qui se destinait à exposer des œuvres d’art brut. Je reste attentif aux expos qui concernent cet aspect de l’art et je continue à réfléchir aux questions que ça suscite. Dès lors, je visite régulièrement des expos issues de ce champ-là .(www.artetmarges.be).
ET POUR REVENIR A RICHARD MOSZKOWICZ ?
En parcourant cette expo, j’ai été littéralement happé par ces oeuvres qui étaient exposées dans la galerie de droite à l’étage ; je m ‘en souviens comme si c’était hier. Il y a avait deux œuvres (ou trois ?) comme surgies de nulle part. Deux moyen formats, abstraits, colorés, des peintures comme brossées et intriquées dans un parfait équilibre, une organisation finement intuitive des rapports de couleurs.
Je suis resté quelque temps devant ces œuvres -j’étais vraiment scotché- et puis je m’en suis approché pour découvrir, éparpillées à la surface de la feuille marouflée (ou de la toile ?), des lettres hébraïques, et enfin je déchiffrais la signature : Richard Moszkowicz. Ca m’a intrigué, évidemment, et j’ai voulu rencontrer l’artiste.
ET ?
Il y a eu un événement assez comique, disons rétrospectivement comique. Au moment où j’ai voulu rencontrer Richard via le Créahm, j’ignorais que cette association traversait une crise. Et le jour où j’ai donné un coup de fil pour prendre rendez-vous, je suis tombé sur un fou -un vrai, un dangereux- qui se disait Directeur (et qui l’était), qui me gueulait dessus au téléphone (dans le téléphone, devrais-je dire) et qui faisait barrage en m’interdisant tout accès. L’amie, que je con-naissais au Créahm, et qui y travaillait depuis plus de 20 ans, avait été virée par ce fou ainsi qu’une bonne partie de l’équipe. Il se fait que parfois justice triomphe : retournement de situa-tion, le gars a été viré, mon amie et l’équipe réembauchées et la rencontre avec Richard a fina-lement pu avoir lieu dans l’atelier où, désormais, je me rends régulièrement.
C’est donc à l’atelier que j’ai fait connaissance de Richard. C’est un homme impressionnant, de 71 ans aujourd’hui, qui se tient droit et haut. Il a une certaine prestance, une certaine élégance. Sa voix métallique sépare chaque mot et syllabe et les prononce comme des sentences, soulignées d’un regard de côté quelque peu ironique et malicieux. Il est habillé d’un tablier maculé de peinture, comme il se doit pour un peintre au travail, et de chaussons de plastic bleu qui protègent ses chaussures.
Tout de suite, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose avec Richard, avec son œuvre : Ecrire ? Filmer ? Peu importe, disons que dans un premier temps j’allais régulièrement lui rendre visite dans son atelier, faisant par la même occasion la rencontre des autres participants de l’atelier, tous doués pour l’invention artistique, parmi lesquels : Nouza Serroukh, Willy De Smedt, Roger Angeli, Pascal Duquenne, Daniel Sterckx, Julien Detiège… autant de personnes, autant de formes distinctes.
C’EST COMME ÇA QU’IL EST DANS LE FILM-INSTALLATION – « ESPACE DE TRAVAIL ARTISTIQUE (E.T.A.) – QUE TU AS REALISE POUR L’EXPO « A TITRE PROVISOIRE » AU CREAHM EN OCTOBRE 2015 ?
Pas si vite ! J’ai été voir quelques fois Richard chez lui, du moins là où il habite. Mais avant cela, j’ai rencontré sa soeur aînée, Denise, qui s’occupe de lui et le protège. Ce fut comme un long examen de passage où Denise m’a raconté sa vie d’enfant caché. Et, ensuite seulement, j’ai eu droit au saint des saints : le home Sainte-Monique rue Blaes, dans les Marolles. Richard in situ. C’est toujours surprenant et merveilleux ça… comment, à partir d’une toile qui m’avait scotchée, je me retrouve dans un lieu improbable et surprenant. Richard vit là avec sa mère de plus de 90 ans, morte depuis, derrière ces hauts murs aveugles, dans ce quartier où l’avait précédé un autre peintre, notre Brueghel l’Ancien ! Ces murs gris ne laissent pas deviner le trésor qu’ils recèlent : un parc intérieur, un poulailler… on devine un ancien cloître et, pour ne rien gâcher, une chapelle baroque, quasi une église tout en hauteur. Il resterait une nonne, paraît-il, dans ce home qui leur était destiné au départ. Quand Denise, qui me fait faire la visite avec Richard, lui demande s’il va à l’église (à part pour des enterrements de voisins de chambre…), celui-ci répond : « Non, nous sommes juifs ». Et quand nous reprenons les couloirs pour aller boire un café à la cafétaria, nous passons devant des œuvres de Richard accrochées aux murs du home…
REVENONS AU TRAVAIL DE RICHARD, QU’EST-CE QUI TE RETIENT PARTICULIEREMENT ?
Il y a plein de choses qui me retiennent dans cette œuvre et puis Richard, c’est quand même un personnage, une énigme ! J’aime, je l’ai déjà dit, son évidence à poser les couleurs, à les recouvrir, les cacher, les faire réapparaître, les faire se rencontrer. J’aime ces gestes soudains qui font vibrer l’ensemble, comme si les espaces se réveillaient les uns les autres par contamination, se cherchaient chacun une place dans le cadre. Il y a ces à-plats et puis il y a les traits, les coups de pastel, comme une matérialisation de percussions nerveuses sous forme plastique ; un peu comme les ondes sonores matérialisées sur les écrans. Et enfin, il y a ces écritures qu’on peut -en devenant quelque peu familier- finir par décrypter. Un plaisir calligraphique qui raconte des tranches de vie, quasi un journal des menus faits : « Aujourd’hui, j’ai vu… j’ai dormi… j’ai mangé… ».
Parfois, même, c’est de l’hébreu phonétique qui transcrit une prière. Par ailleurs, Richard écrit régulièrement sur une machine à écrire à boule, il chante aussi des classiques de la chanson française en s’accompagnant d’un clavier électrique…
Crédit photo : Gérard Preszow