Par Tessa Parzenczewski
Le 22 juin sort Le Chemin du bonheur de Le cinema de Saul Birnbaum d’Henri Roanne-Rosenblatt, adaptation du roman du réalisateur paru en 2013 et réédité chez M.E.O. pour l’occasion. Tessa Parzenczewski en avait à l’époque fait le compte-rendu pour Points Critiques. Le voici.
C’est aux tribulations d’un cinéphile que nous convie l’auteur. Dans un roman à tiroirs, où les histoires se superposent, se télescopent, des récits de vie aux scénarios improbables, nous suivons l’itinéraire chaotique de Saül Birnbaum, de Braunau-sur-Inn, sa ville natale – et celle d’Adolf Hitler – à Bruxelles où il fut caché, et jusqu’à New-York où nous le retrouvons propriétaire d’un Delicatessen. Et tout au long de ce parcours, un seul fil rouge: une passion pour le cinéma qui repousse au loin le destin tragique, le drame de l’enfant caché, la mort de la mère à Auschwitz. C’est à Bruxelles que Saül découvre le cinéma. Laurel et Hardy, Shirley Temple, Judy Garland… Les stars peuplent son univers. Au fil du temps, ses connaissances s’affinent, ses exigences aussi. Aucun cinéma ne lui est étranger. Son érudition est sans frontières. Mais cela ne lui suffit pas. Sa grande ambition? Devenir producteur. Un scénario, laissé en gage par un client fauché, lui en donne l’occasion. Une sombre histoire de rabbin traqué par la mafia. John, le neveu de Saül, dont la carrière cinématographique se résume à filmer des mariages et des Bar-Mitzvah, en sera le réalisateur. Grâce au soutien d’un vague journaliste, rejeton d’un ministre de Vichy, et d’un conflit entre cinéma européen et américain, toute l’équipe se retrouve à Cannes, aux marches du palais…
Histoire de cinéma, mais pas que… Les chapitres se suivent, bousculent le temps. Des personnages ressurgissent. Du shtetl en Galicie, de Vienne… Au gré des exils, la famille s’est ramifiée, des branches nouvelles sont nées, en Angleterre et … en Chine! Saül se découvre une nouvelle parentèle. Par un détour surprenant, l’auteur nous emmène à Shanghaï où le grand-père Sigmund Birnbaum se réfugie après l’Anschluss, se refait une nouvelle vie et continue le métier familial, la cuisine, en y imprimant une touche casher. Saül quant à lui, rencontre la mystérieuse Hannah, projectionniste, rescapée d’Auschwitz, lui qui n’a jamais pu oublier son amour d’enfance, à Braunau-sur-Inn, Hilde…
Vie rêvée, vie vécue, Henri Roanne-Rosenblatt laisse voir, sous la trame du récit, des bribes de sa propre biographie, l’enfant caché venu d’Autriche, solitaire, lisant livre sur livre, dans le désordre, acquérant une culture anarchique, le fou de cinéma, longtemps critique, expert du 7e art, et réalisateur aussi, Moi Tintin et Chine 1971,en collaboration avec Gérard Valet, le fou de cinéma qui évoque dans un moment magique, comme dans un kaléidoscope, des fragments de films qui se croisent, s’entrechoquent, pour ne faire presque qu’une œuvre unique, un peu, comme dans un autre registre évidemment, Histoire(s) de cinéma de Godard.
Comme pour mettre à distance les événements tragiques, Henri Roanne-Rosenblatt adopte un ton léger, ironique, parfois même allègre, pour nous conter une histoire d’exil, aux variations romanesques, aux retournements imprévus, où le second degré n’est jamais loin, et tout à la fin, une revanche. Fantasme? Pied de nez à l’Histoire? Ou simple happy-end, comme au cinéma? En tout cas plaisir de vagabonder avec l’auteur, d’un continent à l’autre, au gré des rencontres, du réel à l’imaginaire, avec en contrepoint, le cinéma tout entier.
Article paru dans Points critiques, avril 2013.
Le cinema de Saul Birnbaum de Henri Roanne-Rosenblatt, édition 2022.
Edité une première fois en 2013 aux Editions Genèse et réédité aujourd’hui chez M.E.O. à l’occasion de la sortie du film « Le chemin du Bonheur » de Nicolas Steil, inspiré du roman.
Comment transposer un roman aussi foisonnant à l’écran? Bien sûr en élaguant. En faisant son deuil de New-York et de Shanghaï. C’est donc à Bruxelles que Saül ouvre son Delicatessen où tous les soirs il organise un quiz permanent avec prix à la clé, où les répliques cultes du cinéma mondial fusent de toutes les tables et aussi quelques histoires juives bien connues. Mais tourner reste son rêve. Il l’accomplira en encourageant un jeune étudiant en cinéma à reconstituer sa propre tragédie, sa fuite de Vienne avec le Kindertransport et sa vie d’enfant caché. Un film dans le film où le spectateur se laisse prendre par l’évocation de la traque à Vienne, jusqu’au retour à aujourd’hui, lorsque caméras éteintes, la tension retombe, ce n’était que du cinéma.
Saül, c’est Simon Abkarian, un acteur à la présence intense, qui a marqué des films comme « L’armée du crime » de Robert Guédigian, dans le rôle de Manouchian mais aussi la trilogie de Shlomi et Ronit Elkabetz, cinéastes israéliens.
Le film a été montré au festival d’Angoulême, il sera prochainement projeté au festival international du film à Boston et participera au festival des cultures juives à Paris.
Sortie à Bruxelles le 22 juin.