Sans drapeau, avec des fleurs : mir zaynen do !

Bonjour à tous,

Nous voilà réunis, comme chaque année, en ce lieu emblématique où sont inscrits les 23 833 noms des victimes juives de Belgique de la barbarie nazie. Réunis ensemble pour nous recueillir dans leur souvenir et aussi pour commémorer ce jour d’avril de l’année 1943, qui marque le début de l’insurrection des habitants du ghetto de Varsovie, symbole de la résistance juive au nazisme.

Cette commémoration, nous la voulons sans drapeau, sans ambassade, sans Hatikva, en d’autres mots, sans l’appropriation par Israël des cérémonies en diaspora. Résister aujourd’hui c’est aussi refuser la parole communautaire dominante et assumer une parole singulière.

Nous commencerons par donner la parole aux jeunes de notre maison qui, de génération en génération, héritent du souvenir du soulèvement désespéré de ces insurgés de Varsovie qui se battaient pour la liberté et la dignité, la leur et celle de l’humanité entière.

Nous entamerons ensuite le chant des partisans juifs avant de nous rendre à l’intérieur du Mémorial pour écouter les mots de résistance de notre invité et ami, Michel Roland, infatigable docteur au chevet du monde, qui nous fait l’honneur de sa présence aujourd’hui.

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Discours de YOURI MORA, au nom d’UPJB-Jeunes

Nous sommes réunis, cette année encore, pour commémorer, nous souvenir et nous retrouver autour des noms des insurgés du ghetto de Varsovie, symboles de résistance et de lutte pour la liberté et la dignité des peuples et des individus.

Il y a 73 ans, quelques centaines de Juifs et Juives, à peine plus âgés que nous, ont pris les armes contre l’armée allemande. Cette lutte, d’emblée trop inégale, fut pour eux et elles l’ultime moyen de revendiquer leur liberté et leur dignité humaine contre ceux-là même qui voulaient les en déposséder. Victimes de l’oppression, de l’injustice et de l’intolérance, ils et elles se sont levés pour les combattre. Et en se soulevant, ils sont devenus un symbole de résistance qui dépasse le génocide dont ils et elles étaient victimes.

Si nous sommes aujourd’hui réunis, c’est pour rendre hommage à ces victimes, pour se souvenir de ce symbole de lutte et de résistance, et pour pouvoir transmettre sa mémoire aux générations futures, aujourd’hui où, plus que jamais, il est nécessaire de la faire vivre.

Car en tant que jeunes de l’UPJB, nés au moment du génocide tutsi et de la guerre en Yougoslavie, témoins de conflits idéologiques, religieux et raciaux, de luttes politiques et économiques et héritiers d’une histoire, nous voulons rendre hommage à toutes les victimes d’oppression, d’injustice et d’intolérance, d’hier ou d’aujourd’hui.

Aux victimes, qu’elles soient d’ici ou d’ailleurs, des idéologies guerrières et meurtrières. Aux victimes de conflits qui déchirent des pays entiers depuis trop longtemps, sans espoir de voir la situation s’améliorer. Aux réfugiés, sans-papiers, immigrés de tous les pays à la recherche d’un peu de dignité et de sécurité, victimes de la politique d’immigration indigne et inhumaine de l’Europe. Mais aussi aux victimes d’une politique intérieure qui s’emploie, année après année, à réduire à néant nos droits et à précariser une grande partie de la population. Enfin aux victimes de toute forme de discrimination ethnique ou religieuse, qu’elle soit administrative ou non.

Nous réaffirmons avec force la nécessité d’être vigilants, de résister et de lutter contre les causes qui font que le nombre de ces victimes augmente, année après année. A l’heure où une voix progressiste tente, tant bien que mal, de se faire entendre, nous clamons notre volonté d’une société juste, solidaire et égalitaire, bâtie sur les idées de liberté et de dignité des peules et des individus pour lesquelles sont morts les insurgés de Varsovie. Aujourd’hui, plus que jamais, nous croyons en la nécessité de bâtir des ponts, de forcer des espaces de rencontre entre les discours de ceux qui affirment qu’il n’y a pas d’alternative à la division.

Cette volonté se manifeste au jour le jour dans notre engagement auprès des sans-papiers, le choix de nos noms de groupe et de thèmes de camp, nos diverses activités, qui visent à développer chez nos jeunes un esprit critique et de solidarité et à établir des liens entre les luttes passées et présentes.

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Discours de CARINE BRATZLAVSKY

Le 19 avril 1943, dans le ghetto de Varsovie, ils étaient 220 jeunes gens à peine, armés de quelques dizaines de pistolets en mauvais état, quelques fusils, une mitraillette, des cocktails Molotov et des grenades pour tenter de mettre en échec l’armée la plus puissante du monde.

Ce même 19 avril 1943, près de Malines, ils étaient à peines trois autres jeunes gens à faire ce qu’aucune armée avant eux n’avait fait, ni après eux ne fera : arrêter un convoi en direction d’Auschwitz–Birkenau. Nous saluons ici notre ami Simon Gronowski, l’un des derniers survivants des évasions de ce 20e convoi, et nous avons une pensée pour Jacques Grauwels, le père de notre co-présidente, qui était avec lui et qui vient de nous quitter.

Et aujourd’hui, en avril 2016 ? A l’heure où l’Europe et la Belgique, empêtrées dans de vaines politiques d’austérité, sont prises de plein fouet dans des déchaînements de forces mortifères ouvrant un boulevard aux relents xénophobes à ceux qui veulent diviser… c’est quoi résister ?

Là-bas, résister, c’est pour des millions de personnes, trouver la force de s’arracher à la guerre, parcourir des kilomètres, traverser des frontières pour espérer donner, ici, à leurs enfants, une vie digne. Comme nos parents l’ont fait, avant eux.

Ici, résister, c’est pour nous, ouvrir nos portes et résister aux sentiments de haine qui tentent de nous amener au repli et à la méfiance collective ; c’est continuer à promouvoir l’hybridité d’une société cosmopolite ; continuer à croire en un destin collectif. Résister, c’est passer des nuits debout à réinventer de nouvelles formes de solidarités. C’est marcher, demain, contre la terreur, le cœur contre la rigueur et c’est avec notre ami Eric Corijn, sur la Première ce midi, réécouter Imagine.

Résister, c’est dénoncer, combattre, garder raison. Et c’est donner la voix aux sans voix qui nous rappellent que les malheurs provoqués par le rejet de l’autre, ne concernent pas que les Juifs et nous appellent plus que jamais à la vigilance.

Cette année, c’est Michel Roland Président de Médecins du Monde, qui nous fait l’honneur de sa présence.

Michel, la parole est à toi.

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Accueillir les réfugiés en Europe.

Par MICHEL ROLAND, Président de Médecins du Monde – Belgique

Je n’ai pas hésité une seule seconde lorsque Daniel Liebmann m’a demandé d’intervenir aujourd’hui à cette cérémonie tellement porteuse de sens, particulièrement aujourd’hui en ces heures sombres pour l’humanité et que nous vivons tous, à des degrés divers selon là où nous nous trouvons, selon la place que nous occupons dans la société humaine. Médecins du Monde est particulièrement honoré d’avoir été sollicité par l’UPJB et tient vraiment à assurer votre organisation de tout notre respect et de toute notre admiration pour votre courage et vos engagements pour un monde meilleur, en Belgique, en Israël et en Palestine, mais aussi partout où la violence et le rejet de l’autre s’expriment.

Le nombre total de migrants devrait atteindre le niveau historique de 250 millions cette année sur fond d’afflux massif de réfugiés en Europe. Les migrations entre pays du Sud représentent 38% des flux migratoires mondiaux, devant les flux Sud-Nord (34%). Ces chiffres prennent en compte tous les déplacements de populations liés à des raisons politiques, culturelles ou économiques. Selon une étude de l’Organisation internationale du travail publiée le mercredi 16 décembre, deux tiers des migrants sont des travailleurs généralement assez qualifiés.

Ces migrants ont envoyé à destination de leur famille ou proches dans leur pays d’origine la somme totale de 600 milliards de dollars, dont 441 milliards vers des pays en voie de développement. En transférant des sommes trois fois supérieures à ce qui est débloqué par l’aide au développement internationale, les migrants fournissent donc de véritables bouées de sauvetage à des millions de ménages dans les pays en voie de développement.

Parmi les migrants, on distingue, peut-être artificiellement des autres, les réfugiés définis par les Conventions de Genève, les demandeurs d’asile, car certains droits leur sont attribués par nature depuis l’après 2e Guerre Mondiale avec l’objectif du « Plus jamais ça ». Mais d’une part, ces droits fondamentaux sont de plus en plus souvent remis en question aujourd’hui, d’autre part est-il important de faire des catégories qui se recoupent le plus souvent parmi ceux qui fuient la violence, la faim, la mort en fonction de causes politiques, religieuses, culturelles, ethniques ou écologiques et qui veulent simplement assurer leur survie et celle de leur famille ?

Les données de l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés (le Haut-Commissariat aux réfugiés), qui comptabilise depuis 1951, dans chaque pays du monde les demandeurs d’asile, ceux ayant obtenu le statut de réfugié, les déplacés intérieurs ou encore les apatrides, qu’on rassemble dans une même catégorie, montrent qu’il n’y en a jamais eu autant qu’à ce jour : 20 millions en 2005, plus de 50 millions aujourd’hui, dont à peine quelques pourcents en Europe pour une très grande majorité dans les pays limitrophes des conflits, en général dans des camps surpeuplés et dans des conditions épouvantables, car ces pays d’immigration sont le plus souvent aussi pauvres que les pays d’origine.

Cette très forte augmentation résulte notamment de la multiplication des conflits – le HCR en a compté 14 au cours des cinq dernières années : 8 en Afrique (Côte d’Ivoire, République centrafricaine, Lybie, Mali, Nigeria, République démocratique du Congo, Soudan du Sud, et encore cette année Burundi), 3 au Moyen-Orient (Syrie, Irak, Yémen), 1 en Europe (Ukraine) et 3 en Asie (Kirghizstan, plusieurs régions de Birmanie et du Pakistan). La terre entière semble en guerre, et nos politiques affirment avec force qu’elle est présente ici aussi et que nous devons tous nous battre contre un ennemi commun mais imprécis et qui n’est peut-être que l’ennemi de la paix et de l’amour présent en chacun des hommes.

Tous, vous ou vos proches avez vécu à titre personnel les événements qui nous rassemblent près de ce mémorial. Malgré les nombreux points communs des chemins d’exil des réfugiés, des exilés, des déportés, chaque cas est unique, chaque personne souffre à sa manière, dans son corps, dans sa tête, pour elle-même, pour ses enfants, sa famille et ses amis.

Je voudrais alors vous raconter un trajet d’immigration parmi d’autres, un trajet qui m’a été raconté personnellement à l’occasion d’une visite dans le centre fermé 127bis de Steenokkerzeel. Je voudrais vous lire une partie du rapport qui a été rédigé pour éviter à ce jeune homme âgé de 20 ans un retour forcé dans le pays qu’il avait quitté en activant l’article 9ter de la loi sur les réfugiés.

Ce patient est originaire d’un petit village du centre de la Somalie. Depuis sa naissance, il a connu la guerre civile, son village étant sous le contrôle des milices Al-Shabab, régulièrement confrontées aux troupes gouvernementales somaliennes ou à celles de l’AMISOM, mission régionale de maintien de la paix en Somalie menée par l’Union africaine avec l’aval des Nations unies, avec en conséquence une insécurité persistante majeure pour tous les habitants du village.

Ce jeune homme tenait dans celui-ci un petit commerce de boissons, cigarettes, etc. et entretenait dès lors des relations commerciales avec l’ensemble de la population, dont l’armée gouvernementale postée à proximité. C’est ce dernier élément qui l’a fait suspecter de collaboration avec l’Etat somalien. Le chef de guerre local l’a menacé à plusieurs reprises, lui interdisant d’écouter de la musique, de consommer du khat, de fréquenter ou de parler avec des filles, et en exigeant de lui une espèce d’impôt de guerre. A la suite du dépôt d’explosifs par on ne sait qui, juste devant sa boutique située à côté d’un grand restaurant fréquenté par l’armée, il a appelé les autorités pour le désamorcer, à la suite de quoi Al-Shabab lui a fait parvenir un ultimatum, dernière étape avant la mort, toujours violente par égorgement ou lapidation selon les cas. Avec l’aide de son oncle maternel résidant dans la capitale à Mogadiscio, il a alors décidé de partir et de quitter son pays pour migrer en Europe via la Lybie, soit un trajet en Afrique de quasi 7.000 kms. Ce voyage, organisé par un passeur s’est effectué à pied ou en véhicule, avec, notamment, la traversée du désert du Soudan, plusieurs jours à pied sous une chaleur étouffante où il a cru mourir de faim et de soif comme nombre de ses compagnons de route (surtout des femmes et des enfants). Le trajet qu’il décrit passe à proximité d’Addis-Abeba et de Khartoum.

En Lybie, il est resté quelque temps dans la région de Tripoli, et a vécu plusieurs épisodes particulièrement violents et traumatisants : emprisonnement, rachat de sa personne par un trafiquant notoire d’êtres humains pour exiger une rançon double du prix d’achat, torture à l’électricité et à coups de matraque sur les pieds, endoctrinement et tabassages pour respecter le Coran, tentatives d’évasion sous les coups de feu, etc. Tous ces épisodes sont décrits avec une foule de détails et l’expression de sentiments d’angoisse et de terreur.

Il a finalement rencontré le passeur somalien qui conduit les candidats migrants en camionnette par groupes de 10 jusqu’à la mer pour embarquer sur un bateau, en franchissant par la force les barrages de police. Le bateau était surchargé d’Africains de différents pays, originaires notamment d’Afrique de l’Ouest et de la Corne, entassés « comme du bétail ».

La traversée de la Méditerranée, commencée plus de 3 mois après son départ de Somalie, a été entrecoupée de pannes de moteur, d’épisodes de panique parmi les passagers, et s’est finalement arrêtée dans les eaux internationales par un naufrage lorsque les passagers se sont crus sauvés et se sont tous levés du même côté en voyant arriver un énorme navire de pêche d’origine asiatique. Lui-même est resté deux heures dans l’eau, en voyant mourir autour de lui de nombreuses personnes qui l’accompagnaient. A ce moment, le patient pleure en citant les noms de plusieurs d’entre eux, d’un ami qui était avec lui dans une des prisons en Lybie, d’une femme enceinte de 6 mois qu’il a été incapable de sauver. Cet épisode de naufrage constitue véritablement le centre focal de tout son trajet migratoire, un traumatisme majeur, dont il parle avec des sentiments qui l’envahissent et qui débordent de toutes parts. Un gros bateau de la marine italienne a ensuite récupéré tous les rescapés pendant que plusieurs hélicoptères filmaient la mer sur laquelle flottaient des centaines de cadavres.

Débarqué en Italie, il a ensuite été conduit en bus à Milan où il a été enregistré, notamment par la prise de ses empreintes digitales, avant d’être libéré, c’est-à-dire abandonné, isolé, sans possibilité d’aucune communication, et sans ressource en pleine ville. Il a ressenti cette prise d’empreintes comme très agressive, une méthode utilisée pour marquer le bétail, et un moyen de le retrouver et de l’identifier où qu’il soit. Il imagine d’ailleurs faire disparaître ses empreintes par n’importe quel moyen (brûlure, amputation, abrasion). Là encore, j’imagine, que certaines résonances avec le passé se font.

De Milan, il a pu recontacter son oncle en Somalie et, grâce à lui, se faire conduire en train jusqu’à Rome, puis en bus jusque Francfort et finalement Bruxelles.

En Belgique, il a été rapidement arrêté et conduit au 127bis par décision de l’Office des Etrangers. Là encore un épisode ressenti comme un violent traumatisme l’a agressé dans sa dignité : être reconnu grâce à ses empreintes digitales et être menotté comme un criminel.

Un trajet parmi d’autres donc, mais chacun est unique. Celui-ci correspond à ce qu’on pourrait appeler la route du Sud qui traverse la Méditerranée à partir de la Lybie et qui a concerné en 2015 de 150 à 200.000 personnes, avec, sur cette année plus de 3.000 noyades. J’imagine que pour beaucoup d’entre vous, ces images de personnes dérivant sur des bateaux, fuyant la mort, cherchant simplement un pays d’accueil qu’on leur refuse, doit évoquer beaucoup de choses.

Auparavant, cette route du Sud était la principale, mais elle a été progressivement remplacée par la route de l’Est, celle qui concerne la Turquie et la Grèce. En 2015, plus de 150.000 migrants l’empruntaient chaque mois pour remonter par Belgrade vers les pays riches d’Europe Occidentale en espérant y trouver le repos, les élémentaires moyens de subsistance, peut-être même du travail et des soins. Néanmoins, la route du Sud est en voie d’être réutilisée, et c’est entre 500 et 800.000 migrants qui y sont attendus cette année. Car en Europe, les barrières, administratives ou en barbelés, ont été mises en place, officiellement, progressivement, d’abord par des gouvernements d’extrême-droite, puis par tous : la Hongrie, la Croatie, la Slovénie, la Serbie, jusqu’à de manière moins brutale mais tout aussi efficace, nos propres pays, la France, la Belgique, avec le point final de l’accord du 20 mars entre la Commission de l’Union Européenne, la Grèce et la Turquie. Car il s’agit bien d’un accord, d’un marché sordide, dont le contenu, seulement politique, est mis en cause même au sein du Parlement européen. Sans entrer dans les détails, il s’agit de l’organisation concrète d’un processus global comprenant refoulement, expulsion et externalisation. Le texte de cet accord est au-delà de l’imaginable :

  • renvoyer tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques, les coûts encourus étant pris en charge par l’UE, des milliards d’euros ;
  • procéder, pour chaque Syrien réadmis par la Turquie au départ des îles grecques, à la réinstallation d’un autre Syrien de la Turquie vers les États membres de l’UE ;
  • accélérer la mise en œuvre de la feuille de route relative à la libéralisation du régime des visas pour les citoyens turcs au plus tard à la fin du mois de juin 2016 et préparer l’ouverture de nouveaux chapitres en relation avec les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE.

Dans ce cadre, plusieurs centres d’accueil, les hotspots, sont devenus des centres de détention, des centres fermés, dans lesquels les migrants sont assimilés à des prisonniers, y compris femmes et enfants, ces derniers représentant 35% du total. Mais des centres fermés de ce type, il y en a aussi ici en Belgique. Et là encore, les condamnations sont nombreuses : OMS, Parlement européen, UNICEF, MSF, MdM, LDH etc.

Que voit-on aujourd’hui en Grèce ? Hier j’étais à Idomeni, à l’ouest du pays, à la frontière avec la FYROM, dans un camp prévu pour 1.500 personnes mais en en comptant au moins 12.000, dans des conditions indescriptibles, que ce soit au niveau sanitaire, alimentaire, hygiénique, médical. Dans les consultations que MdM assure en collaboration avec la Croix-Rouge, MSF et Praksis, une ONG grecque, nous voyons des morsures de chien, d’impressionnants traumatismes liés à des balles en caoutchouc particulièrement dures, des intoxications à des gaz lacrymogènes très irritants, et 60% des consultants sont des enfants, avec des diarrhées, des dénutritions, des infections respiratoires. Nous avons pu observer à un certain moment une escadrille d’avions de chasse de l’armée grecque venir tourner à basse altitude dans un fracas épouvantable au-dessus du camp, dans une visée démonstrative pour l’armée de la FYROM dont les chars étaient visibles au-delà des barbelés. Nous avons vu les petits enfants syriens terrorisés par ces avions qui leur rappelaient manifestement les bombardements qu’ils avaient vécus dans le pays qu’ils avaient fui.
Je ne pouvais m’empêcher de penser à Gaza, aux chars et aux avions israéliens, aux enfants faisant pipi dans leur lit la nuit, réveillés par la chasse israélienne volant si bas que les carreaux explosaient si l’on ne laissait pas les fenêtres ouvertes.

À l’est du pays, la Turquie fait exactement et avec beaucoup d’efficacité ce que l’UE lui a demandé de faire : contenir les migrants en route vers l’Europe, et l’on y compte déjà plusieurs dizaines de tués par balle. Jusqu’il y a peu, de 150 à 200.000 personnes arrivaient par mois en Grèce, en provenance de la Turquie. Pour ces 15 premiers jours d’avril, ils ne sont que 2.000. De plus, dans un silence médiatique et politique assourdissant, les premiers bateaux transportant plusieurs centaines de réfugiés de la Grèce vers la Turquie, ont commencé la mise en pratique de la plus importante déportation de masse en Europe occidentale depuis la seconde guerre mondiale. Et je pense que pour vous tous ici, ce mot de déportation doit résonner lourdement dans vos têtes et dans vos cœurs.

Je terminerai en associant tout Médecins du Monde à cette commémoration et en espérant que, tous ensemble, nous pourrons apporter notre petite pierre à la construction d’un monde meilleur, plus juste et surtout plus solidaire où tous les hommes, de tous les pays, de toutes les cultures, de toutes les religions, pourront vivre ensemble dans le respect et la dignité en raison d’un droit universel à l’humanité.