Les organisations signataires demandent au gouvernement belge de tenir compte de toute urgence des points suivants dans ses décisions politiques (y compris au sein de l’Union européenne et des Nations Unies) concernant le territoire palestinien de la Bande de Gaza :
- La crise humanitaire à Gaza est le résultat de la décision politique du gouvernement israélien de fermer la bande de Gaza depuis 2007. Il constitue une punition collective, ce qui est contraire au droit international et n’est pas dans l’intérêt de la sécurité d’Israël. La population de Gaza n’a pas besoin de solutions techniques temporaires telles que le mécanisme de reconstruction de Gaza (GRM – Gaza Reconstruction Mechanism). La communauté internationale doit pousser Israël à la décision structurelle et politique de lever le blocus illégal et de garantir la libre circulation des personnes et des biens. La levée du blocus doit également aller de pair avec la fin de l’occupation militaire prolongée du territoire palestinien, ainsi que de la colonisation et du régime d’apartheid qui l’accompagnent et représentent des violations graves du droit international.
- Début mars, la procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé l’ouverture d’une enquête sur d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans le territoire palestinien occupé. Pour la première fois, les victimes de ces violations du droit international à Gaza ont l’espoir que les auteurs de ces actes seront tenus responsables. Il est du devoir de tous les États parties au Statut de Rome de soutenir la CPI et de lui permettre de mener son enquête de manière impartiale et indépendante, voire de coopérer avec elle, le cas échéant.
- Afin d’éviter toute nouvelle détérioration de la situation et de permettre la levée du blocus, l’Union européenne doit d’ores et déjà faire savoir qu’elle est prête à coopérer avec un nouveau gouvernement palestinien, quel que soit le résultat du choix effectué par la population civile palestinienne [1], pour autant que ces élections soient libres, équitables et transparentes [2]. Une débâcle comme celle de 2006-2007 doit être évitée à tout prix.
- Déjà surchargé par les conséquences du blocus et de la violence israélienne le long de la frontière, le système de santé de Gaza est trop affaibli pour apporter une réponse efficace au COVID-19. En tant que puissance occupante, Israël est tenu de lever toutes les restrictions à l’importation des fournitures médicales nécessaires et, dans les circonstances actuelles, tenu de veiller à la vaccination et à l’accès aux soins médicaux de toute la population sous son contrôle. L’inégalité d’accès au vaccin sur la base de la race ou de l’origine ethnique est discriminatoire et peut être considérée comme une illustration de la description désormais largement acceptée de la situation comme un régime d’apartheid [3].
Gaza : une catastrophe humanitaire aux causes politiques
À Gaza, 2,1 millions de personnes vivent aujourd’hui dans des conditions inhumaines. 66% d’entreelles sont des réfugiés enregistrés auprès de l’UNRWA. Cette catastrophe humanitaire est uneconséquence directe du blocus imposé par Israël en 2007, qui, avec l’aide de l’Égypte, vient d’entrer dans sa quatorzième année. Le blocus a été imposé en 2007, après que le Hamas a pris le pouvoir dans la bande de Gaza à la suite d’un conflit armé avec le Fatah. L’escalade de ce conflit est en partie due au refus de la communauté internationale d’accepter le résultat des élections de 2006, alors qu’elle les avait qualifiées de justes, honnêtes et bien organisées [4].
Les Nations Unies soulignent régulièrement la dégradation du système de santé, de l’accès à l’électricité et à l’eau potable, ainsi que l’urgence d’efforts importants en matière d’éducation, de logement et sur le plan économique. Les restrictions drastiques à la libre circulation des personnes et des biens ont un impact désastreux sur tous les aspects de la vie à Gaza. Le taux de chômage a atteint 46,6 % à Gaza en 2020. Parmi les jeunes qui ont étudié, le taux de chômage était de 69% au premier trimestre 2021. 53 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté et 68 % (soit 1,3 million de personnes) souffrent d’insécurité alimentaire. 80 % de la population dépendent de l’aide humanitaire en raison de cette crise humanitaire d’origine humaine. Fin 2020, l’Agence desNations Unies pour le commerce et le développement, la CNUCED, a publié un rapport qui estimait le coût économique de l’occupation, du blocus et des opérations militaires israéliennes à Gaza à 16,7 milliards de dollars pour la période 2007-2018. Le rapport indique que sans le blocus, le taux de pauvreté à Gaza ne serait aujourd’hui que de 15% [5].
L’UE dénonce régulièrement le blocus de Gaza mais n’a jusqu’à présent pris aucune mesure pour y mettre fin. La communauté internationale reste sourde au sort inhumain de la population de Gaza et permet à Israël de maintenir le blocus. Pourtant, le blocus est une forme de punition collective, qui est illégale en vertu du droit international [6]. Bien qu’Israël se soit retiré du territoire en 2005, Gaza est bien un territoire occupé, puisqu’Israël exerce un contrôle absolu sur les frontières terrestres, maritimes et aériennes. En tant que puissance occupante, Israël est donc responsable du respect des droits de la population occupée.
Politique de séparation
La fermeture de la bande de Gaza est justifiée par une logique sécuritaire selon le gouvernement israélien. Cependant, des voix éminentes de l’appareil militaire et de sécurité israélien se sont exprimées à plusieurs reprises dans le sens opposé, en précisant que l’étranglement de la population de Gaza a plutôt tendance à accroître l’insécurité d’Israël [7].
Fermer la bande de Gaza et saper les nombreux efforts de réconciliation déployés entre le Hamas et le Fatah ces dernières années est une politique délibérée du gouvernement israélien visant à séparer Gaza de la Cisjordanie [8]. Israël vise à couper les liens territoriaux, politiques, familiaux, culturels et économiques entre Gaza et la Cisjordanie, avec pour objectif ultime le contrôle définitif du territoire palestinien.
COVID-19
Dès le début de la pandémie mondiale, de nombreuses organisations et institutions internationales ont tiré la sonnette d’alarme : la bande de Gaza, densément peuplée, est extrêmement vulnérable et très mal équipée pour faire face à une épidémie de COVID-19 [9]. Le blocus a empêché pendant des années l’importation de fournitures médicales, d’équipements et de médicaments ainsi que la formation de personnel qualifié. Les coupures de courant très fréquentes entravent considérablement le bon fonctionnement des hôpitaux. L’absence totale d’un accès sécurisé à l’eau potable entrave la lutte contre l’épidémie dans les institutions médicales et dans la société en général. De plus, avant même l’apparition du COVID-19, les hôpitaux de Gaza étaient déjà fortement surchargés par les victimes des violences israéliennes contre la Grande Marche du Retour. Il s’agit souvent de jeunes gens présentant des blessures par balle, nécessitant des opérations chirurgicales compliquées et qui restent hospitalisés à défaut de celles-ci. A celas’ajoutent les patients qui présentent des maladies liées aux conséquences du blocus prolongé et ou qui ont besoin d’un traitement qui ne peut être fourni à Gaza, ou seulement de manière inadéquate, en raison du blocus prolongé: chirurgies réparatrices importantes suite à des accidents de la route qui ne sont pas disponibles, traitements de cancers qui doivent se faire hors de l’enclaveet sont conditionnés par l’obtention de permis israéliens, maladies pré ou post-natales qui sont plus importantes au vu du manque de fer ou de certaines vitamines dont les causes sont socio- économiques, etc.
Pendant de nombreux mois, les autorités de Gaza ont réussi à tenir la pandémie en échec, en partie à cause de son isolement forcé. À la fin du mois d’août 2020, les premiers cas ont été détectés àl’intérieur de l’enclave. Aujourd’hui, Gaza est au milieu d’une deuxième vague. L’OMS a indiquéqu’au cours de la deuxième semaine d’avril 2021, 92 % de la capacité des unités de soins intensifs étaient occupés ainsi que 77 % des lits ordinaires. Il s’agit d’une forte augmentation en comparaison avec la semaine qui précédait, tandis que les décès et les infections parmi les travailleurs de la santé augmentent aussi de manière alarmante. Seuls 0,8 % de la population, principalement des agents de santé, a été vaccinée [10]. Israël refuse toujours d’inclure la population palestinienne du territoire occupé dans sa propre campagne de vaccination, quant à elle très réussie. Or l’article 56 de la quatrième Convention de Genève stipule qu’il appartient à la puissance occupante de prendre les mesures nécessaires pour combattre les maladies infectieuses et les épidémies parmi la population occupée [11].
[1] Voir à ce propos notre Briefing paper sur les élections palestiniennes annoncées pour 2021: https://www.cncd.be/IMG/pdf/briefing_paper_elections_palestiniennes2021_fr.pdf
[2] Jeudi 29 avril Mahmoud Abbas a annoncé le report des élections sans préciser de nouvelle date. L’UE a réagi à traversla voix de son Haut représentant Josep Borrell en regrettant la décision et demandant qu’une nouvelle date soitrapidement fixée. https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/97541/palestine-statement-high- representative-josep-borrell-postponement-elections_en
[3] Al Haq, April 7 2020, Israeli Apartheid Undermines Palestinian Right to Health Amidst COVID-19 Pandemic https://www.alhaq.org/advocacy/16692.html
[4] Voir notre Briefing paper sur les élections palestiniennes (avril 2021) https://www.cncd.be/IMG/pdf/briefing_paper_elections_palestiniennes2021_fr.pdf
[5] UNCTAD, 2020. The Economic Costs of the Israeli Occupation for the Palestinian People: The Impoverishment of Gaza under Blockade. https://unctad.org/system/files/official-document/gdsapp2020d1_en.pdf
[6] https://undocs.org/A/HRC/24/30
[7] Voir e.a. https://www.i24news.tv/en/news/israel/167467-180212-exclusive-ex-shin-bet-head-says-guilt-on-israel-s- shoulders-if-gaza-collapses ; https://www.timesofisrael.com/idf-chief-said-to-warn-gaza-war-likely-if-humanitarian- crisis-persists/.
[8] En réaction aux développements en matière de réconciliation intra-palestinienne en 2011, Netanyahu avait entre autres affirmé qu’Abbas devait choisir entre la paix avec Israël et la paix avec le Hamas. Voir : Barak Ravid, “Netanyahu: Palestinian authority must choose—peace with Israel or Hamas”, Haaretz, April 27, 2011, https://www.haaretz.com/1.5004777 ; Peter Beaumont, “Israel condemns US for backing Palestinian unity government,” The Guardian, June 3, 2014, https://www.theguardian.com/world/2014/jun/03/israel-us-palestinian-unity-government-netanyahu; Yoni BenMenachem, October 3, 2017. “A Fatah-Hamas Reconciliation. Has Anything Changed?” https://jcpa.org/article/fatah- hamas-reconciliation-anything-changed/
[9] «Gaza, un confinement quasi total depuis 14 ans », carte blanche de Broederlijk Delen, CNCD-11.11.11; Oxfam en Belgique, Solsoc et Viva Salud, organisations de la société civile belge actives à Gaza. Le Soir, 23 mars 2020 https://plus.lesoir.be/290338/article/2020-03-27/gaza-un-confinement-quasi-total-depuis-14-ans
[10] WHO, Government of Palestine/Ministry of Health. COVID-19 CASES IN THE GAZA STRIP, Weekly epidemiological bulletin from (28/03 TO 03/04 2021) and (04/04 TO 10/04 2021)