[Commémoration] Discours de la commémoration 2024 de l’Insurrection du ghetto de Varsovie

© photo : De-Colonizer.

Discours de Sacha Schiffmann (UPJB) et Germano Mascitelli, du Casi-UO.

Discours de Sacha Schiffmann

Chères amies, chers amis,

Merci d’être venus en ce samedi matin du 20 avril 2024 pour commémorer ensemble l’insurrection du ghetto de Varsovie. C’est une longue tradition pour l’UPJB et ses membres, ses amis, ses amies, de nous retrouver ici afin de déposer une gerbe de fleurs à la mémoire de tous les résistants et résistantes tombé.e.s sous la barbarie nazie. En préparant cet événement, j’ai relu d’anciens textes adressés ici-même les années précédentes, discuté avec des ami.e.s, relu encore et encore l’histoire que nous commémorons pour mieux comprendre comment l’UPJB parvient à replacer cet événement historique dans un contexte et une actualité. Nous avons ici rendu hommage aux réfugiés, aux migrants, aux populations civiles de Syrie, nous avons dénoncé la politique de Donald Trump et le régime de Bachar El-Assad. Aujourd’hui la guerre est de retour en Europe, en Ukraine, et le fascisme et l’extrême droite devient une réalité au quotidien dans de nombreux pays. Je me suis rendu compte à quel point il est important de continuer à nous rassembler dans ce lieu chaque 19 avril afin de nous souvenir et de transmettre.

Chaque année, nous reparlons des raisons qui nous poussent à commémorer ensemble cette insurrection, à penser au passé tout en parlant de l’avenir. Les années passent et personne n’oublie, nous vivons tous et toutes avec cette histoire, et toutes les autres histoires, mais le 19 avril, en venant ici, nous nous rappelons et nous transmettons. Je me souviens d’être venu ici plus jeune, moins aguerri, moins prêt à comprendre les mots partagés et les chansons fredonnées. Aujourd’hui, j’en mesure l’importance. Je suis tellement fier de voir nos jeunes participer à cette journée, de les accompagner à leur tour dans ce parcours, dans cette vie qui s’enrichit, de savoir que l’UPJB-jeunes organise sa réunion du samedi afin que tous et toutes puissent assister à cet hommage.

Le 19 avril 1943, il y a 81 ans et un jour, les Juifs et les Juives du ghetto de Varsovie se soulèvent contre de nouvelles vagues de déportation massive. Femmes, hommes et enfants prennent les armes contre les forces d’occupation allemandes et se battent pendant des semaines, devenant le symbole de tout un peuple et de la résistance. Malgré une issue certaine -le massacre des combattants et la déportation massive des survivants-, cet acte de résistance restaure aux Juifs et aux Juives leur dignité. Leur courage et leur détermination traversent le temps et les générations.

Aujourd’hui, nous nous rappelons.

Nous nous souvenons de ces hommes et ces femmes qui ont lutté pour leur vie et leur dignité, contre leur déshumanisation, contre l’oppression nazie, contre le fascisme. Chaque année, nous nous rassemblons ici, devant ce monument dédié aux résistants juifs et résistantes juives, « aux héros juifs de Belgique tombés dans la résistance à l’occupant nazi », et commémorons les actes de résistance de Varsovie à la Belgique.

Le 19 avril 1943 est également le jour où Youra Livchitz, Jean Franklemon et Robert Maistriau attaquent et bloquent le 20ème convoi qui quitta Malines en direction d’Auschwitz. Ils permettent alors à plus de 230 déportés de s’échapper. Une centaine d’entre eux et elles en sortiront vivants. Youra Livchitz se fera arrêter et assassiner peu de temps après. Pendant sa détention, il écrit une lettre à sa mère bien connue, que nous vous repartageons aujourd’hui :

« Chère maman, bien que les mots soient impuissants à exprimer tout ce que je ressens, je quitte cette cellule pour aller de l’autre côté de la vie avec calme — un calme qui est aussi une résignation devant l’inévitable. Te dire que je regrette tout ce qui s’est passé, cela ne servirait à rien. J’ai beaucoup plus de regret de ne pas être là pour t’aider à supporter la première épreuve — celle que tu as déjà subie : Choura.

J’aurais voulu être là pour qu’à deux nous puissions travailler dans le monde qui se fait. Chère maman, ne pleure pas trop en pensant à ton petit. Ma vie a été bien remplie jusqu’à présent, remplie de tout et surtout d’erreurs. Je pense à tous nos amis qui sont en prison et je leur demande pardon. Souvenez-vous de moi sans douleur. J’ai eu de bons, d’excellents camarades jusqu’à la fin et encore maintenant je ne me sens pas seul. Mes souvenirs à tous. Chère maman, je dois te dire au revoir, le temps passe. Encore une fois ce ne sont pas les derniers moments qui auront été les plus durs.

Aie confiance et courage dans la vie, le temps efface bien des choses. Pense que nous sommes morts au front, pense à toutes les familles, à toutes les mères éprouvées par la guerre, guerre que nous avons tous cru voir finir plus tôt.
Ton fils qui t’aime, Youra »

Comment nous montrer dignes de la mémoire de cette insurrection d’avril 1943 ? De ces actes de résistances ? D’un tel courage face au désespoir ? Comment en actualiser l’appel aujourd’hui ? Comment faire résonner ces vies de luttes avec les nôtres ? Marek Edelman, l’un des jeunes meneurs de l’insurrection aux côtés de Mordechaj Anielewicz, a survécu et témoigné. Il nous donne des pistes de réponses lors d’un entretien pour le journal israélien Haaretz, 50 ans après l’insurrection du ghetto en 1993, publié également dans le numéro 53 de la revue Points Critiques. Le journaliste lui pose la question suivante: Que ressentez-vous maintenant qu’il est clair que tous les projecteurs à la cérémonie seront braqués sur vous? Sa réponse : En tant que tel, je ne compte pas dans cette affaire. Ce qui est vraiment important, c’est le ghetto et l’insurrection. Qui s’imposent à nouveau à notre conscience. Le ghetto et l’insurrection qui s’y est déroulée remontent à la surface à cause de la situation dans le monde, car aujourd’hui les circonstances sont semblables à celles qui existaient dans le ghetto. C’est ce que nous racontent les journalistes du monde entier. En Europe, un génocide est perpétré, et à nouveau le monde ferme les yeux, exactement comme il en avait l’habitude dans les années ’42-43.

Des dizaines de milliers de gens sont tués et personne ne veut arrêter cette démence. L’argument qui veut qu’il est impossible de l’arrêter est un mensonge. À nouveau, on se rend compte à quoi risque de mener le nationalisme chauvin. C’est pourquoi la question du ghetto nous revient à la conscience avec une pareille acuité. Le ghetto aurait dû être un signal d’alarme à l’humanité, et ne l’a pas été. Le monde d’aujourd’hui vacille, trébuche. Des actes de résistances se manifestent un peu partout pour lutter contre la montée de la haine, de la guerre et du fascisme. Il s’agit pour nous de ne pas nous voiler la face et de prendre la mesure de notre époque. D’Odessa à Gaza, en Méditerranée ou en Iran, les gens résistent comme ils peuvent contre leur déshumanisation. En Belgique aussi, la pression s’accentue et l’intolérance gagne du terrain ; politiques migratoires inhumaines, racisme à découvert, institutionnel, sexisme, abandon des plus démunis et j’en passe. L’histoire que nous nous racontons aujourd’hui nous donne des forces, elle nous rassemble et nous encourage à la solidarité, à la lutte généreuse, pour soi et pour les autres. Le signal d’alarme dont nous parle Marek Edelman résonne dans nos paroles et nos actes et son témoignage fait écho à la manière dont nous nous nourrissons de notre histoire juive, faite de résistances et de luttes, pour alimenter nos réflexions d’aujourd’hui.

J’invite Elias Preszow à me rejoindre pour nous interpréter « Voisinages de Gaza », publié le 23 octobre sur le site de l’UPJB. Vous entendrez comme il résonne avec les paroles de Marek Edelman.

Cette année, l’UPJB participe à un mois d’avril antifasciste, organisé par le Dk avec nos camarades italiens et portugais. Nous célébrerons ensemble le samedi 27 avril prochain les 80 ans de la libération des camps de concentration, les 50 ans de la révolution des œillets au Portugal et la chute de Mussolini en Italie. La montée du fascisme Europe rend indispensable de s’organiser dans une lutte solidaire, forte des expériences de chacun et chacune. Pour nous accompagner dans ce combat, nous donnons la parole à Germano du Casi-UO, une association italienne présente à Bruxelles, co-organisatrice de l’événement de samedi prochain afin de témoigner de la longue histoire de l’antifascisme italien.

Discours de Germano Mascitelli, Casi-UO

Camarades, aujourd’hui, nous sommes ici pour rendre hommage aux courageux résistants juifs qui ont perdu leur vie en luttant contre l’oppression nazie. Au nom du Casi-UO, nous remercions l’UPJB de nous avoir invités à cette commémoration. C’est une occasion de réfléchir non seulement sur le passé. Ce que nous pouvons faire ici, c’est affirmer ce que ce moment signifie pour nous et comment nous continuerons à faire vivre ces réflexions dans notre présent et notre futur. 245 partisans morts en combattant le nazisme. Que nous disent ces noms gravés dans la pierre ? Depuis le soulèvement du ghetto de Varsovie jusqu’aux actions de résistance ici en Belgique, les Juifs ont activement lutté contre le nazisme, forgeant leur propre destin et jetant les bases d’une nouvelle société. Ils n’étaient pas seulement des victimes, mais des acteurs et actrices de leur propre destin.

• Ils étaient des travailleurs : la classe ouvrière a été le moteur de la résistance, d’ailleurs, il ne pouvait en être autrement puisqu’ils étaient les premiers à connaître les mécanismes d’oppression et d’exploitation qui lient le capitalisme et le fascisme;

• Ils étaient jeunes : la résistance a été jeune parce que les jeunes ne sont pas fatigués, ils ont la force et la liberté qui leur permettent de rompre avec ceux qui veulent faire marche arrière dans l’histoire ;

• Ils étaient aussi des migrants ou d’origine étrangère : parce que la lutte contre le nazi-fascisme n’a pas été seulement une lutte de libération nationale contre une invasion militaire étrangère. C’était une lutte internationale sans frontières contre un projet politique mortel.

• Elles étaient des femmes : souvent oubliés du discours public, les femmes ont
participé activement de la manière la plus diversifiée possible.

En tant qu’association qui travaille depuis toujours avec la population italienne, nous avons également le devoir de rappeler nos responsabilités. Souvent, le discours dominant a tenté de faire passer les Italiens pour des « braves gens » (italiani brava gente), en opposition au peuple allemand. Ce n’est pas le cas : l’antisémitisme a été une pierre angulaire du gouvernement fasciste pour justifier une prétendue supériorité de la race italique. Aussi inventée que nécessaire pour renforcer le projet impérialiste italien dans le monde. En même temps, les Italiens ont aussi lutté et sont morts contre le nazifascisme en Belgique, après l’avoir déjà affronté en Italie et en Espagne. La lutte contre le nazi-fascisme est une lutte qui a uni nos peuples hier et aujourd’hui c’est notre responsabilité de continuer.

Et comment ?
• Contre toute forme de racisme, contre le repli identitaire et contre les tentatives d’homogénéisation des sociétés, nous promouvons des politiques de paix et de fraternité.
• Contre les idées qui prétendent que certaines personnes, peuples ou nations ne méritent que l’isolement, la discrimination et les guerres, nous pratiquerons une solidarité active et internationaliste.
• Contre l’exploitation de l’homme par l’homme, nous œuvrerons pour la justice sociale.

Nous méritons un monde plus juste, et nous le devons à ceux qui luttent et ont lutté. Vive l’antifascisme, vive la résistance !