Chaque visite, en Ouganda, au Kenya, au Rwanda et en Ethiopie, revêtait une importance symbolique, économique et diplomatique. Un sujet essentiel avait cependant été omis dans les déclarations officielles et les gros titres : la déportation de demandeurs d’asile d’Israël vers les quatre pays visités. Selon les organisations israéliennes de défense des droits des réfugiés, la visite du Premier ministre constituait pour le gouvernement une opportunité de préparer l’intensification de sa politique de transfert de demandeurs d’asile vers l’Ouganda et le Rwanda, et potentiellement, vers le Kenya et l’Éthiopie, en échange de contrats profitables. Précisément à l’heure où la Cour suprême israélienne examine la légalité de cette pratique.
Entre 2006 et 2012, 54.000 demandeurs d’asile africains sont entrés illégalement en Israël via le Sinaï égyptien. Une majorité d’entre eux, originaires de l’Erythrée et du Soudan, sont protégés contre un renvoi dans leur pays d’origine en vertu du principe juridique fondamental de « non-refoulement » qui permet à tout individu de ne pas être (r)envoyé dans un pays où il a des raisons de craindre la persécution. En respect de la Convention de 1951 sur les réfugiés et vu les circonstances politiques actuelles en Erythrée et au Soudan, Israël ne procède pas à leur renvoi forcé. Ceux-ci bénéficient en conséquence d’un statut dit de « protection temporaire ». En 2013, un centre « ouvert » de détention destiné à tous les demandeurs d’asile érythréens et soudanais célibataires de 18 à 60 ans a été construit dans le désert du Néguev. La détention des demandeurs d’asile qui ne peuvent être renvoyés de force fait partie des nombreuses mesures prises par le gouvernement en vue de criminaliser ces africains et de rendre leur vie en Israël intenable : une fois découragés, ils quittent alors « volontairement » le territoire vers leur pays d’origine ou un pays tiers.
Cette politique de « retour volontaire », visait d’abord le pays d’origine des demandeurs d’asile. Elle a pris un nouveau tournant en mars 2013, lorsque l’Etat a annoncé avoir conclu un accord avec un pays tiers dans le but d’y transférer les demandeurs d’asile bénéficiant du statut de protection temporaire, désireux de quitter Israël, mais refusant d’être renvoyés dans leur pays d’origine. Dès les premiers jours de mise en œuvre de cette nouvelle politique, les organisations de défense des réfugiés identifient un, puis deux pays tiers de transfert : le Rwanda et l’Ouganda. Très vite les demandeurs d’asile « éloignés » témoignent des nombreuses difficultés et dangers auxquels ils font face une fois arrivés en pays tiers. Innombrables sont aujourd’hui les demandeurs d’asile soudanais ou érythréens, qui ont quitté Israël vers le Rwanda ou l’Ouganda et qui périssent ensuite dans leur quête d’asile.
En avril 2015, la pression exercée sur les demandeurs d’asile monte d’un cran lorsque le Ministère de l’Intérieur israélien annonce que les demandeurs d’asile dont la requête pour l’obtention du statut de réfugié a été rejetée ou jamais soumise se verront « offrir » le choix de quitter le territoire pour un « État tiers tenu secret » ou de demeurer en prison pour une durée indéfinie. Les organisations de défense des droits de l’homme saisissent alors la justice, suspendant la mise en œuvre de cette politique. Aujourd’hui, c’est à la Cour suprême de trancher sur sa légalité. La politique israélienne de retour volontaire et de transfert forcé vers un pays tiers, bien que revêtant certaines caractéristiques uniques, s’inscrit dans une dangereuse tendance (Australie – Cambodge/Nauru). Les demandeurs d’asile sont-ils devenus une monnaie d’échange, autorisant un Etat à se dédouaner de ses responsabilités en échange de contrats juteux ?
Les graves répercussions de cette pratique se mesurent à l’échelle israélienne : les demandeurs d’asile en Israël, victimes d’une politique d’asile défavorable (voire inexistante), fuient le territoire vers un pays tiers en quête de protection. Face à une absence totale de garantie de leurs droits fondamentaux en territoire tiers, ils se voient contraints de poursuivre leur chemin, souvent vers l’Europe et au péril de leur vie. Quant aux demandeurs d’asile qui demeurent en terre d’Israël, ils voient un nombre croissant de membres de leur famille emprunter le dangereux parcours vers l’Europe, dans l’espoir de s’y réunir enfin via la procédure de réunification familiale. Les manquements d’Israël à l’égard de sa population réfugiée pèsent ainsi sur la vie de milliers de survivants de crimes contre l’humanité et de génocide et de leur famille, mais aussi sur les autres membres de la communauté internationale.
Dora Vilner est juriste en droit international public. Elle a travaillé pendant près de 3 ans a l’African Refugee Development Center de Tel Aviv où elle a dirigé un projet d’assistance para-légale pour les demandeurs d’asile africains.