Islamophobie, le mot et la chose

BIEN QU’IL SOIT LARGEMENT ENTRE DANS LE LANGAGE COURANT, LE MOT ISLAMOPHOBIE CONTINUE DE FAIRE DEBAT. S’IL EST CENSE DESIGNER L’HOSTILITE DONT LES MUSULMANS FONT L’OBJET, D’AUCUNS LE JUGENT AMBIGU, VOIRE CONFUS. MEME PARMI SES PARTISANS, CERTAINS CONSIDERENT QUE LE TERME EST MAL CHOISI POUR EXPRIMER LA REALITE QU’IL RECOUVRE. POUR D’AUTRES, IL CONDAMNE TOUTE CRITIQUE DE LA RELIGION ET LEGITIME DES LORS DES ATTEINTES A LA LIBERTE D’EXPRESSION. ON A AINSI ENTENDU RECEMMENT ELISABETH BADINTER PAR EXEMPLE DECLARER  : «  IL NE FAUT PAS AVOIR PEUR DE SE FAIRE TRAITER D’ISLAMOPHOBE  ». RETOUR SUR UN TERME CONTROVERSE, AVEC UN ADVERSAIRE ET UN DEFENSEUR.

Michel Gheude
Se dit Juif distrait. Depuis peu, il anime pourtant une émission culturelle pour le CCLJ sur Radio Judaïca. Il dit se reconnaître le mieux dans le CCLJ de David Susskind.

Henri Goldman
Se dit Juif cosmopolite. A cessé d’être Juif communautaire dès qu’il a pu en s’engageant dans la «  rue belge  » tout en restant membre de l’UPJB.

M.G. Islamophobie, est un mot que je n’aime pas, il est trop flou, il sert d’alibi. C’est un cache-sexe de la xénophobie  : on se dit contre l’Islam mais en réalité on est contre les étrangers, les immigrés, les Arabes, sans rien connaître ni de l’islam ni de se que vivent les musulmans dans notre pays.

H.G. Donc, tu n’adhères pas à l’affirmation de Caroline Fourest pour qui l’islamophobie est un concept inventé par les Mollahs iraniens pour interdire toute critique de l’islam….

M.G. Non. Le «  j’ai bien le droit de critiquer l’islam  » est une manière d’exprimer des sentiments xénophobes peu avouables dans notre société antiraciste. En revanche il existe aussi une peur bien réelle alimentée par les violences perpétrées «  au nom de l’Islam  », par les Djihadistes, les Islamistes extrémistes. Cette peur-là, bien légitime, se confond avec la xénophobie dans le terme islamophobie. Les xénophobes profitent de cette confusion. Le terme «  islamophobie  » ne permet pas de rendre la complexité des choses.

H.G. Il faut distinguer le mot et la chose. Commençons par la chose. L’islamophobie se superpose dans une large mesure au racisme anti-arabe classique, mais c’est pourtant autre chose. Depuis le 11septembre, c’est spécifiquement la religion qui est visée, et c’est son rejet qui motive désormais les discriminations. Mais ce n’est pas seulement un alibi, cela correspond bien à une nouvelle forme d’hostilité, basée sur une nouvelle peur. Je connais des tas de gens qui n’avaient rien contre les Arabes «  laïques  » mais ne supportent pas les religieux. Depuis, il voient de la religion partout.

A travers l’islamophobie, on est en train de procéder à la racialisation d’un groupe sur base de sa religion réelle ou supposée en amalgamant les Arabes, les Turcs, les convertis… Ils sont devenus désormais des «  Musulmans avec une majuscule  ». C’est le même processus que celui qui fut à l’œuvre à la fin du XIXe siècle, quand les Juifs sont passés de l’état de minorité religieuse persécutée (des juifs avec minuscule) à celui de «  race  ». De même que l’antisémitisme racial moderne vise aussi bien les juifs croyants que les mécréants, l’islamophobie assigne une identité islamique à toute personne ayant un lien avec la culture musulmane, même si elle ne fréquente aucune mosquée. Un de mes amis de déclare d’ailleurs musulman agnostique.

POC.
ET LE MOT ?

H.G. Il y a une dizaine d’années, quand il a émergé, je ne l’aimais pas. Il permettait trop d’interprétations et semait la confusion…

M.G. donc on est d’accord ?

H.G. On l’était il y a dix ans. Mais, depuis, le mot est entré dans les mœurs, même s’il reste ambigu. La plupart des institutions belges, françaises et internationales travaillant sur les droits humains l’ont adopté, et il y a un moment où il faut arrêter de perdre son temps dans des discussions sé-mantiques. «  Antisémitisme  » non plus n’est pas terrible comme terme. On est juste obligé de préci-ser  : il n’est pas question de brider la critique de l’islam comme système idéologique, mais de s’opposer aux discriminations et aux délits de haine qui visent les Musulmans ou supposés tels, au prétexte, quand même très répandu aujourd’hui, que l’islam et ses adeptes sont une nuisance pour notre société.

M.G. Je n’utilise pas ce mot parce qu’il ne m’aide pas. Je préfère celui de xénophobie, bien réelle, elle. On est dans une période de crispations, les idées d’extrême droite se répandent et contaminent l’ensemble de la société, aussi bien à droite, qu’à gauche. L’exemple français est…

H.G. … à pleurer

M.G. Absolument. Mais mon ennemi c’est l’Islamisme, pas l’Islam. Et la question pour moi c’est avec qui peut-on faire alliance ? Il est clair que l’Islamisme ne sera finalement défait que par les musulmans eux-mêmes. Je fais le parallèle avec la bande à Baader  : si le SPD (parti social-démocrate allemand) n’avait pas pris parti contre la bande à Baader, celle-ci n’aurait pas été complètement isolée de la société. C’est aux partis de gauche de dire «  on n’est pas d’accord  ». La droite, elle, est forcément contre.

Dès lors, nous devons faire alliance avec les musulmans démocrates, qui ne veulent pas d’un régime totalitaire et adhèrent aux fondements politiques de la démocratie.

Mais je connais mal le paysage politique chez les musulmans. Un Tariq Ramadan, pour moi, est dans le camps des adversaires, même s’il prône un Islam non violent, parce qu’à mes yeux il ne défend pas suffisamment nettement les principes de la démocratie.

H.G. J’apprécie Ramadan. Il incarne à mes yeux une interprétation de l’islam totalement compatible avec le cadre démocratique des États européens sécularisés. En même temps, il se fait l’écho d’un sentiment de révolte, selon moi justifié, que partagent de nombreux jeunes musulmans souvent instruits qui souffrent sans doute davantage d’un manque de reconnaissance dans la société que d’une situation socio-économique difficile. Il porte la voix de personnes discriminées mais fières de leur bagage culturel et religieux et qui refusent de se plier aux injonctions du modèle assimilationniste français. En plus il parle bien, a de la prestance. Rien à voir avec la figure confortable du colonisé arriéré. Je comprends que ça dérange et qu’on cherche à le transformer en croquemitaine islamiste.

JUIFS ET MUSULMANS  : COMMENT TISSER UNE RELATION DE CONFIANCE ?

H.G. Beaucoup de gens ont des idées toutes faites sur les Musulmans et l’islam sans y connaître grand chose. Certains veulent bien éventuellement travailler avec eux, à condition… qu’ils ne soient plus musulmans, ou qu’ils le soient à leur manière. Tandis qu’on discrédite Tariq Ramadan, on érige en interlocuteurs des personnes de culture musulmane qui n’ont aucun crédit dans leur communauté d’origine. Pour quel résultat ? C’est pourtant la démarche qui prévaut chez les te-nants de la «  laïcité à la française  » où je range le CCLJ qui reflète sans doute bien l’évolution de la communauté juive bruxelloise.

M.G. C’est inexact. Les Juifs de Bruxelles étaient plutôt très à gauche mais l’attitude ambiguë du PS envers l’Islamisme pousse les Juifs vers la droite. Le PS ne défend pas les Juifs.
La phrase d’Elio Di Rupo après l’attentat au musée juif, alors qu’il était Premier ministre  :
«  Je suis Juif, je suis Palestinien  », les Juifs l’ont reçue comme une claque. On tue des Juifs et on nous parle de la Palestine ! quel est le rapport ?

H.G. À mon avis, la bien réelle évolution de nombreux Juifs vers la droite a une autre explication, plus classique. Au début des années 50, la plupart des Juifs de Bruxelles étaient encore ouvriers ou petits artisans. Depuis, leurs enfants ont largement réussi leur ascension sociale. Ils sont cadres, entrepreneurs, membres de professions libérales. Leurs opinions politiques ont naturellement épousé leurs nouveaux intérêts de classe et ceux-là les éloignent des descendants de migrants qui se sont installés à leur place. Je ne crois pas que l’énorme sympathie de la gauche juive pour Israël lors des premières années de son existence aurait pu résister à l’évolution récente de cet État aujourd’hui dirigé par le pire gouvernement qu’il ait jamais eu, sans que le soutien des communautés juives ne lui fasse jamais défaut.

M.G. reste la question de la gauche et l’Islamisme. C’est pour moi un sujet majeur, indépendamment de l’antisémitisme.

POC.
DES CONVERGENCES QUAND MEME ?

M.G. On se retrouve sur pas mal d’aspects finalement. Singulièrement sur le fait qu’il faut se parler, qu’il faut tisser des liens solides avec des musulmans démocrates, de manière à mieux nous connaître et nous comprendre.

Lutter contre les discriminations à caractère xénophobe, et travailler à démonter, bien des préjugés qui nous enferment les uns et les autres dans «  nos communautés  ».

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