Pas sûr que tout le monde soit sensible à la poésie de Charles Trenet. Parce que quand la mer danse, ce sont des dizaines, des centaines, des milliers d’enfants, de femmes, d’hommes candidats réfugiés qui, au mieux font naufrage et sont secourus, et au pire meurent dans cet immense cercueil qu’est devenue la mer Méditerranée.
C’est un porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) qui l’affirme : depuis 2014, plus de 10.000 candidats réfugiés ont perdu la vie en mer en tentant de rejoindre l’Europe.
En 2014, on a dénombré 3.500 morts ; l’an dernier 3.771. Et selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), cette année 2016 s’annonce déjà comme la plus meurtrière. La traversée a en effet coûté la vie à 2.809 personnes depuis le début de l’année, à comparer aux 1.838 morts durant le 1er semestre 2015. Du début 2016 au 5 juin, estime encore l’OIM, on dénombre 206.400 réfugiés arrivés en Europe par la mer, via la Grèce, Chypre et l’Espagne.
Quant à la haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, Federica Mogherini, elle estime que les 450.000 personnes déplacées et réfugiées à l’intérieur de la Libye sont autant de candidats potentiels à la migration vers l’Europe en raison du chaos qui y règne.
Cause probable de ce nouveau flux de réfugiés ayant choisi la traversée par la mer ?
Le honteux accord entre l’Union européenne et la Turquie, entré en vigueur le 4 avril dernier, qui aurait incité les réfugiés syriens à prendre la route vers l’Italie depuis les côtes africaines.
Dès la signature de cet accord qui prévoit de renvoyer les réfugiés arrivant en Grèce vers la Turquie contre une aide de trois milliards d’euros, les associations humanitaires et de défense des droits de l’homme se sont violemment insurgées en invoquant plusieurs raisons. Tout d’abord, le fait de déporter des masses de population sans avoir étudié leurs demandes d’asile est illégal. De plus, les acteurs de terrain ne considèrent pas la Turquie comme un pays sûr et Amnesty International a révélé récemment que ce pays renvoyait chaque jour, depuis mi-janvier, une centaine de réfugiés syriens vers leur pays d’origine dont on sait à quel point il est « sûr ».
Donc, puisque la route des Balkans leur a été fermée, les réfugiés en réactivent d’autres. Ainsi que l’explique François Gemenne, chercheur en Sciences politiques à Sciences Po et à l’université de Liège, spécialiste des flux et des politiques migratoires… « L’histoire nous montre que dès qu’on ferme une route migratoire, une autre route s’ouvre ou est réactivée. Logiquement, une partie de migrants, qui ne viennent pas nécessairement de Syrie, mais qui peuvent venir du Pakistan, d’Erythrée, d’Afrique de l’Ouest et de l’Est, vont essayer de passer par la route libyenne, plutôt que par la Turquie. ».
Et pendant ce temps, c’est la chasse aux passeurs qui a la cote en Europe… Nous ne nions pas que ceux-ci font leurs choux gras de « la misère du monde », mais cette misère ce n’est pas eux qui l’ont créée. Ce sont nos gouvernements qui en sont responsables, ce sont eux qui ont déstabilisé l’Irak, l’Afghanistan, la Lybie et, enfin, la Syrie en refusant d’aider en son temps la révolte populaire qui se faisait massacrer par les forces de Bachar el Assad. Ce sont eux qui ont fait en sorte que des centaines de milliers de personnes risquent leur vie tous les jours en ayant conscience des périls qui les attendent pour échapper à la guerre, à la persécution sur base ethnique ou religieuse, à la misère tout simplement.
En fait, ce que voudraient un certain nombre d’États européens, c’est ne plus être confrontés à cette misère qu’ils ne veulent pas voir, parce que s’ils ne la voient pas, elle n’existe forcément pas.
Pour en revenir à la déstabilisation de l’Irak, Tony Blair, l’ex-premier ministre britannique qui fut le principal allié de Georges W. Bush au moment de l’invasion du pays en 2003 a fini par admettre ses erreurs et à passer aux aveux… « Je présente des excuses pour le fait que le renseignement était faux. Je présente également des excuses, au passage, pour certaines erreurs de planification et, certainement, pour notre erreur dans la
compréhension de ce qui arriverait une fois que nous aurions renversé le régime ». On ne saurait mieux dire.
Plus que tout autre pays, la Grande-Bretagne devrait dès lors faire preuve de solidarité avec les réfugiés qui lui demandent asile. C’est pourtant tout le contraire qui se passe. La question des réfugiés a en effet été un des enjeux majeurs de la campagne du Brexit et une des raisons principales de la victoire de ses partisans. Déjà en 2015, lors des discussions sur les quotas, Theresa May, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Cameron, était montée au créneau en déclarant que « les migrants qui tentent de gagner l’Union européenne en traversant la Méditerranée devraient être renvoyés », marquant ainsi son total désaccord avec Federica Mogherini qui soutenait quant à elle qu’« aucun migrant ou réfugié intercepté en mer ne devrait être renvoyé contre son gré ». Et d’en rajouter une couche en arguant que… « Une telle approche ne pourrait qu’encourager plus de gens à risquer leur vie » ! Quel souci de la vie humaine, cette Theresa May, nouvelle Première ministre britannique…
Theo Francken, notre ministre à l’Asile et à la Migration, aimerait lui aussi voir les réfugiés disparaître de notre horizon… Ainsi, dans une lettre qu’il avait adressée il y a quelques mois aux 9469 candidats réfugiés irakiens arrivés en Belgique en 2015, il les encourageait à rentrer en Irak en leur expliquant que leur pays n’était pas aussi instable qu’on voulait bien le dire, et leur offrait une prime de 500 euros comme cadeau d’adieu.
Pas si instable l’Irak ? Rien qu’en avril et en juillet de cette année des attentats suicides, ont fait des centaines de morts, essentiellement des civils, à Bagdad. Mais Theo Francken est bien trop occupé à écrire des lettres que pour lire la presse et s’intéresser à ces futilités…
Tensions avec la Turquie.
Après le coup d’État manqué en Turquie, et alors que les relations avec l’Union européenne se sont passablement dégradées, voici venue l’heure du chantage… Erdogan hausse en effet le ton en affirmant que l’Europe n’a pas rempli ses engagements et en la menaçant de dénoncer l’accord sur les réfugiés conclu en mars dernier… « Trois millions de Syriens ou d’Irakiens se trouvent à l’heure actuelle sur le territoire de la Turquie, que fera l’Europe si nous laissons ces gens venir chez elle ? »…
Prise de panique, l’Union européenne a immédiatement réagi en affirmant, par la voix de son porte-parole Margaritis Schinas, que l’UE avait bien tenu ses engagements et en annonçant que la Commission s’apprêtait déjà à débloquer 2,1 milliards d’euros pour améliorer la vie dans les camps des réfugiés, et que l’ensemble de la somme prévue serait versée dans les délais prévus. Tout plutôt que de voir la frontière turque s’ouvrir à nouveau…
C’est une évidence. L’Union européenne et ses États membres ne veulent à aucun prix couper les ponts avec Ankara. Et même si Erdogan orchestre une répression sans précédent avec la purge de près de 100.000 personnes et 15.000 arrestations, les capitales européennes considèrent qu’il n’a pas « commis l’irréparable », soulignant qu’il bénéficie du soutien d’une majorité de son peuple et que l’opposition est même prête à lui accorder le régime présidentiel dont il rêve.
Comment voudrait-on qu’il en soit autrement dans le climat quasi dictatorial qui est en train de s’instaurer en Turquie où chaque opposant risque d’être arrêté pour la moindre parole critique ? Mais l’Europe a ses mauvaises raisons que la raison « se doit » d’ignorer…
Tout ceci méritait bien un dossier. C’est ce que nous vous proposons dans les pages qui suivent.