[Points Critiques n°386] Kaserne Dossin, un musée au bord du burn out

Anne Grauwels

Nous avions prévu de publier une interview de Laurence Schram, dans laquelle elle nous exposait les dessous du conflit et défendait sa vision d’un musée de la Shoah en Belgique. Malheureusement, bien que validée par elle, nous avons du renoncer à la publication de cette interview. Nous le regrettons, Laurence Schram est une des plus anciennes chercheuses en matière d’histoire de la déportation des Juifs de Belgique. Elle a participé à la naissance en 1994-1996 du Musée juif de la Déportation et de la Résistance (MJDR), l’ancêtre de l’actuel Musée de Malines, créé par Natan Ramet et Maxime Steinberg. En 2015, elle consacre son doctorat à l’histoire du centre de rassemblement des Juifs et des Roms de Belgique, dont l’essentiel se retrouve dans le livre « Dossin, L’anti-chambre d’Auschwitz » (Racine, 2017).  Elle est chercheuse attachée à l’actuel Musée Kazerne Dossin.

Le conflit qui a mené à la démission du directeur et ensuite de la moitié des membres du conseil scientifique de la Kazerne Dossin est comme souvent un mélange de règlements de compte personnels et de réelles divergences de fond sur la nature du musée : musée consacré avant tout à la déportation des Juifs en Belgique, ou musée des Droits humains avec –forcément- des liens avec l’actualité. L’intitulé du musée « Musée Kazerne Dossin : Mémorial, Musée et Centre de Documentation sur l’Holocauste et les Droits humains », fruit d’un compromis à la Belge, ainsi que la genèse du Musée, laissaient prévoir ce genre de conflits.

La mission telle qu’elle est décrite vient encore renforcer ce flou : « (le Musée) prend pour point de départ le récit historique de la persécution des Juifs et de l’Holocauste en relation avec le cas belge, pour analyser les phénomènes actuels de racisme et d’exclusion de groupes de la population et la discrimination en raison de l’origine, la foi, la conviction, la couleur de peau, le genre, l’orientation sexuelle. Kazerne Dossin souhaite également analyser la violence de groupe en société, comme une voie possible vers les génocides. Ainsi appréhendé, ce musée conduit de façon fondamentale à un projet sociétal éducatif où la citoyenneté, les valeurs démocratiques et la défense des libertés individuelles occupent une place centrale. » Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement, dit-on, on est loin du compte.

Les Droits humains impliquent-ils les droits des Palestiniens ? C’est une autre question qui vient s’inviter avec « l’affaire Herremans »(1), certains reprochant au Musée et à sa direction actuelle d’être à la solde de l’ambassade d’Israël et d’éviter toute allusion à la cause palestinienne, tandis que d’autres estiment qu’il est impossible d’étudier la question de la Shoah sans collaborer avec le monde scientifique israélien, n’en déplaise au BDS intégral qui serait soussigné par certains membres démissionnaires du Conseil scientifique (2).

L’article suivant est signé d’un pseudonyme, ce qui en dit long sur l’atmosphère délétère qui entoure cette affaire. Un vrai sac de nœuds, que l’article aborde en analysant  à la fois les débats autour des nouvelles politiques muséales et le glissement à droite qui s’opère actuellement dans de larges pans de la communauté juive.

(1) Brigitte Herremans, responsable pendant de longues années du pôle Moyen Orient à Broederlijk Delen-Pax Christi, a été refoulée à la frontière israélienne en 2016 et est interdite de séjour en Israël pour 10 ans après avoir refusé de donner ses contacts à Gaza et en Cisjordanie.

(2) Les neuf historiens démissionaires sont Bruno De Wever (UGent), Freddy Mortier (UGent), Herman Van Goethem (UAntwerpen), Karel Velle (Archives de l’Etat en Belgique), Nico Wouters (Directeur Cegesoma), Tine Destrooper (UGent), Didier Pollefeyt (KULeuven), Frank van Vree (directeur Nederlands Instituut voor Oorlogs- Holocaust- en Genocidestudies) et Stephan Parmentier (KULeuven)