La précarité à nu, le droit d’asile en peau de chagrin. Voilà l’impact du confinement sur le sort déjà peu enviable de ceux qui sont sans papiers ou sans logement. Reportage.
Des rues vides, quelques migrants, sdf et Roms tournent autour de la gare du Nord à Bruxelles. C’est flagrant, les plus vulnérables restent les plus exposés au Covid-19. Aperçus au fil du confinement.
Ce dimanche-là, ils sont encore nombreux, alignés à bonne distance pour la distribution de sacs pique-nique. Ceux-là n’ont pas pu être logés en lieu sûr. Près de la gare, un jeune Soudanais est assis, seul sur une borne, les yeux remplis de tristesse. Il ne connait rien ni personne, ne sait pas où aller. Rue de Brabant, un vieil Arabe demande l’aumône. Près d’une épicerie, deux affamés me sautent quasi dessus. Les passants sont rares, la générosité encore plus. Chacun presse le pas, le nez dans son col, évite tout contact. Les bordels de la rue d’Aerschot sont fermés. La ville est figée dans le gris. L’économie informelle prive les sans-papiers et les prostitué.e.s de tout revenu et les expose à se mettre encore plus en danger, comme l’a souligné l’association Utsopi (Union des travailleur·lleuses du Sexe Organisées pour l’indépendance).
L’approche épidémiologique et logistique du gouvernement Wilmès a oublié les exclus, les invisibles. Il ne suffit pas de dire que ce n’est pas une compétence fédérale. Sur sa borne de béton, le jeune Soudanais n’y comprend rien, à nos strates institutionnelles. Au hasard d’une maraude de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés peut-être pourra-t-il trouver un lieu où se confiner. Mehdi Kassou, son porte-parole parle de 800 personnes mises à l’abri pour les protéger du coronavirus. La Porte d’Ulysse fonctionne maintenant 24/24, de nouveaux hébergements collectifs de petite taille se sont ouverts à Bruxelles et en Wallonie. La Sister’s House a pu trouver un nouveau bâtiment pour 40 femmes, et deux hôteliers bruxellois ont mis leurs chambres à disposition d’environ deux cents personnes avec un soutien financier de la Région bruxelloise. De nouveaux hébergeurs et bénévoles remplacent les seniors provisoirement mis à l’écart. Rapidement, MSF, la Plateforme et d’autres associations ont aussi déployé un centre d’urgence pour isoler les suspects de contamination par le Covid-19.
Mais il en reste qui dorment à la rue, malgré le renforcement de la capacité du Samusocial. Au quai des Péniches, ils étaient encore 280 fin mars à attendre un repas, sans protection sanitaire.
Les économies ont fragilisé les structures de santé comme elles épuisent les travailleurs. Le gouvernement a cafouillé avec les masques, les tests. En matière d’asile et de migration, c’est aussi le mode panique qui prévaut.
Les centres fermés pour étrangers en séjour irrégulier ont été vidés à demi pour protéger, si peu que ce soit, détenus et personnel. A Merksplas comme à Vottem, le mécontentement gronde. L’évacuation partielle ne rassure en rien, « ceux qui restent pètent un plomb. Les détenus étrangers n’ont même pas reçu, comme dans les autres prisons du pays, les 20 euros de crédit téléphonique » souligne France Arets du Cracpe (Collectif de résistance aux Centres pour étrangers). Les visites sont interdites, la députée Ecolo Sarah Schlitz n’a pas pu exercer son droit de contrôle démocratique à Vottem. Les enfermés ont du mal à joindre leurs avocats confinés.
Le Cracpe, comme le Ciré, demandent depuis longtemps la fermeture des centres fermés. Plusieurs détenus y sont souvent sous la menace d’une expulsion. Or, avec la fermeture des frontières et l’arrêt des vols aériens, elles deviennent quasi impossibles. « Les avocats plaident des remises en liberté chaque mois en chambre du conseil » précise France Arets. Un collectif de 75 avocats a demandé la fermeture immédiate des centres fermés, dans la mesure où « Si l’éloignement devient hypothétique voire impossible, la détention n’est plus légale » (1). Mais Maggie De Block, la ministre chargée de la santé et de l’asile et la migration ne l’entend pas de cette oreille. Les « éloignements du territoire » n’ont pas cessé.
La Belgique ne repousse pas les réfugiés avec ses soldats comme la Grèce, elle tente de détricoter en douce le droit d’asile. Demander l’asile n’est pas interdit, mais a été rendu plus difficile encore via une procédure en ligne. La précaution sanitaire a bon dos.
Business as unusual
A la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, le juriste Samir Ouikassi et ses 8 collègues continuent à bosser : « On a 30 contacts par jour et on en aura beaucoup plus après ». Car les demandes d’asile et leur suivi, les auditions au CGRA (Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides) continuent pour les détenus des centres fermés. Covid-19 ou pas, il n’y aura pas de pause judiciaire pour eux. Les juristes dénoncent cette exception passée à la faveur des pouvoirs spéciaux.
« Ce qu’on dit aux hébergés confinés à la Porte d’Ulysse, dans les hôtels ou en famille, c’est de profiter de ce temps contraint pour travailler à leur récit » explique Samir. « Car la convention de Genève est valable partout. Certains ont demandé un cahier et un crayon ». (2)
Comment les exilés vivent-ils le confinement, ce nouveau temps d’arrêt imprévu dans leurs longs parcours d’exil et de parias de l’Europe Frontex ? Avec inquiétude pour leurs familles, avec reconnaissance pour ceux que la Plateforme est parvenue à mettre à l’abri. Qui est admis dans les différents abris ? « Nos maraudes ont permis de rencontrer les gars et de les aiguiller vers tel ou tel hébergement, on tient compte des liens qu’ils ont noués entre eux. L’ambiance est bonne, fait penser à une auberge de jeunesse qui fonctionne au ralenti » explique Mehdi Kassou. Les hébergés prennent les obligations du confinement au sérieux. Ils savent que s’ils quittent leur abri ou leur famille sans raison sérieuse, médicale, ils ne pourront pas revenir.
Et pour les SDF ?
Et pour ceux qui sont restés dehors, sans abri ? « Étonnamment Je les trouve plus calmes qu’avant la crise du coronavirus. Encore une fois, ils m’épatent » abonde Françoise Romnée. Ancienne bénévole à Calais, elle organise à Bruxelles la distribution quotidienne de repas depuis 2015.
Plusieurs structures d’aide humanitaire ont réduit leurs interventions, d’autres continuent en s’adaptant. A nouveau, ce sont les associations humanitaires et leurs bénévoles qui donnent l’impulsion. Les responsables politiques sont lents à relever les défis. Mais certains bougent, conviennent que la fermeture des frontières n’est en rien une solution, et encore moins devant une pandémie internationale. Comme au Portugal, l’idée d’une régularisation des sans-papiers fait son chemin. Il n’y en a plus eu en Belgique depuis 2009. Les étrangers en séjour irrégulier, les déboutés du droit d’asile et leurs enfants nés ici, ne seront pas tous expulsés. Face au virus la régularisation au moins temporaire est une question d’urgence et de conscience. Ainsi plaide Jan De Volder, professeur à la KUL et président de la communauté Sant’Egidio (3). Maggie De Block, à ce stade ne parle que d’un report de délai pour ceux qui ont déjà un statut.
Veillez sur vous et sur vos proches, qu’on nous serine. à suivre.