Bienvenue. Welcome. Bienvenida…

La banderole se balançait au vent, à l’entrée du port, souhaitant la bienvenue en dix-sept langues, des plus courantes aux plus rares, selon les origines des candidats.

C’était là une attention touchante pour tous ceux, toutes celles qui avaient passé avec succès la première épreuve. Et qui avaient bien besoin de ce réconfort avant les suivantes, dont la nature leur était totalement inconnue.

En s’inscrivant sur le site refugee.com, on s’engageait à accepter des conditions qu’on n’avait guère le temps de lire, et dont l’article principal stipulait que les organisateurs déclinaient toute responsabilité pour les éventuels incidents, accidents et autres échecs qui émailleraient le parcours d’obstacles. Tout ce que les candidats savaient, c’est qu’il s’agissait d’une nouvelle politique sur laquelle l’Union européenne avait réussi à se mettre d’accord après que la convention avec la Turquie lui avait claqué entre les doigts.

L’idée avait germé dans le cerveau d’un Secrétaire d’Etat à l’Immigration et aux Jeux de Hasard, qui avait eu l’illumination de réunir ses deux compétences. « Et si on en faisait un jeu… ? » avait-il lancé lors d’une réunion particulièrement arrosée, où le point « réfugiés » figurait dans les « divers », entre la température de conservation de la tarte au riz et la courbure des concombres. Génial ! s’était écrié l’un ou l’autre collègue, et les autres, surtout pressés de regagner leur lit, avaient renchéri : mais oui, pourquoi pas ? N’est-ce pas une manière de ne garder que les meilleurs ?

Certes  l’auteur de la proposition l’admettait lui-même - le passage des épreuves réclamait, à côté de multiples compétences, une bonne dose de chance. Mais la vie elle-même n’était-elle pas un mélange arbitraire d’efforts personnels et de bonne fortune ? Regardez-moi, disait-il à des interlocuteurs quelquefois sceptiques : pensez-vous vraiment que je sois arrivé là où je suis par mon seul mérite… ? Vous voyez bien.

Dès l’épisode-pilote, les avantages de la méthode avaient sauté aux yeux – ainsi que quelques effets secondaires indésirables mais finalement de peu de poids dans le décompte final. C’en était donc fini d’écouter ces fugitifs, leurs histoires, souvent éprouvantes, de vérifier leur réalité, de tenter de les piéger sur un nom de village, une date, une forme de torture qui ne correspondait pas exactement aux traces laissées sur leur corps. Fini de tenter de déceler à la loupe les faux papiers, les fausses persécutions, les tricheries sur l’âge, le degré de parenté et autres carabistouilles. Désormais, il suffisait de désigner, de manière parfaitement objective, les plus méritants, les plus doués, capables de se qualifier à chaque étape aux dépens de la concurrence.

A la fin, un classement rigoureux offrait une série d’avantages selon la place obtenue. Le vainqueur avait le droit de choisir son pays d’accueil, et même la ville, l’appartement, l’emploi, et de faire venir jusqu’à cinq membres de sa famille. Les autres finalistes n’avaient droit qu’au choix du pays et à trois enfants mineurs. Et ainsi de suite, jusqu’aux derniers qualifiés qu’on envoyait pourrir tout seuls dans un coin perdu de Slovaquie ou un village flamand sous administration N-VA. Une fois le quota annuel atteint, les éliminés étaient impitoyablement ramenés de l’autre côté du Mur érigé en plein milieu de la Méditerranée, un ouvrage d’art dont le monde entier admirait l’exploit technique et la capacité à tenir les délais, au moment où la mise en fonction du RER bruxellois venait encore d’être retardée de cinq ans.

Une fois débarqués de leur frêle esquif, les survivants de la première épreuve, à forte valeur éliminatoire, car tous n’y survivaient pas, étaient donc pris en charge, nourris, désaltérés et conduits vers des douches installées en hâte sur les quais. Des médecins, des psychologues et des coiffeurs se tenaient à la disposition des candidats, dont certains étaient partis de chez eux depuis des mois, dès l’annonce de cette dernière chance qui leur serait donnée d’atteindre l’eldorado. Les enfants étaient pris en charge par des équipes de bénévoles de toutes provenances, dans un irrésistible élan humanitaire.

Les équipes de télévision filmaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre, soucieuses de ne laisser échapper aucun moment de joie ou de découragement, aucune scène de séparation déchirante ou au contraire, de retrouvailles entre membres d’une même famille qui s’étaient mutuellement cru noyés. Il était possible de suivre les événements en temps réel sur les réseaux sociaux, puis le soir en prime-time à la télévision, un résumé des meilleurs moments. Quelques personnalités émergeaient déjà, et les agences de paris en ligne explosaient leur chiffre d’affaire en proposant de miser sur tel mineur non accompagné afghan, au visage d’ange et maniant parfaitement l’anglais, telle Soudanaise à la taille mannequin s’arrachant le voile en direct pour révéler une chevelure flamboyante, telle famille hongroise handicapée, certes, par ses racines roms, mais pourvue d’adorables bambins dont un bébé né durant la traversée (et venir de Hongrie en Italie par voie maritime n’était pas le moindre de ses exploits).

Une fois lavés, rehydratés et sustentés, les plaies refermées et autres petits bobos soignés, les candides candidats étaient dirigés vers des tentes, répartis au hasard, pour être pris en mains par des coaches plus ou moins bienveillants, qui devaient les préparer à l’épreuve suivante, à savoir [1]

Notes

[1Ici, nous devons malheureusement nous arrêter, pour des raisons de confidentialité imposées par le niveau d’alerte 3 qui nous interdit de révéler publiquement la suite des épreuves. Mais dans un pays incapable de tenir secrètes les questions de l’examen de fin d’année primaire, les plus débrouillards n’auront aucun mal à se procurer les informations souhaitées. La souscription à un abonnement à Points Critiques est un plus. Bonne chance à toutes et tous !