[Edito] 40 ans

Anne Grauwels

En 1979 paraissait le premier numéro de Points Critiques. La revue a donc 40 ans !

Nous y reviendrons tout le long de cette année 2019. Dans ce numéro, nous nous sommes interrogés sur le chemin parcouru par la revue elle-même, avec deux « anciens », membres du comité de rédaction à ses débuts, Gérard Preszow et Henri Goldman. Ce sera le sujet de notre Grand entretien. Que raconte l’évolution de la revue du monde dans lequel nous vivons, et plus particulièrement de la maison mère, l’UPJB, née, elle en 1969 de la fusion de Solidarité juive (association d’entraide mise en place par les communistes juifs en 1939) et de la génération des enfants cachés.

Nous avons demandé à quelques lecteurs assidus, very important friends, de nous donner en quelques lignes leurs impressions –critiques bien sûr – sur la revue. Elles apparaissent en filigrane dans le numéro. Ce qui est frappant, c’est que tou.te.s pointent la place unique qu’occupent l’UPJB et sa revue dans le paysage juif européen: «pôle de résistance» (Mateo Alaluf), «expression d’une collectivité fidèle à ses valeurs» (Jacques Delcuvellerie), «représentatif lui aussi du monde juif» (Christian Laporte).

40 ans, c’est à la fois peu (à peine deux générations) et beaucoup, sachant que ces dernières décennies, nous sommes passés de la lithographie à l’offset, de la typographie à l’infographie, du support papier au virtuel, des medias traditionnels et institutionnels aux réseaux sociaux.

Une véritable révolution technologique qui n’est pas sans implications profondes sur nos modes de communication et sur la société en général.

Pour la dernière mouture de Points Critiques, initiée en 2016, nous avons choisi délibérément, et ceci malgré nos petits moyens, d’en faire un objet papier, avec une attention particulière pour le côté graphique et en diversifiant les formes d’expressions : photos, dessins, BD, … Ainsi les (jeunes) talents peuvent- ils s’épanouir, pas seulement par le verbe.

Quelques figures/signatures ont marqué l’histoire de la revue : Marcel Liebman, Maxime Steinberg, Elie Gross, Marcel Gudanski,… tous disparus. Peu de femmes, cela a déjà été dit, mais la dernière formule en date a également relevé ce défi-là et semble indiquer un retournement de situation.

L’avenir appartient aux femmes, dit-on.

Les sujets sont restés à peu près les mêmes : histoire, mémoire, antiracisme, antisémitisme, droit d’asile, identité juive (progressiste), yiddish, et last but not least, le conflit israélo-palestinien, dont Henri Wajnblum, qui d’autre !, nous trace l’évolution à travers 40 ans de publications. Ce conflit occupe une place importante et paradoxale pour une revue qui se dit «diasporiste» (qui dit que nous vivons notre judéité «ici et maintenant») et dont le centre ne serait donc pas Israël. Peut-être, cela s’explique-t-il par ce regard unique dans le paysage communautaire juif : la critique sans concession de la politique israélienne d’occupation des territoires palestiniens et tout ce que cette colonisation engendre de militarisation de la société et de crimes contre l’humanité.

Deux approches diamétralement opposées s’affrontent dans le monde juif : ceux qui estiment que l’histoire nous a montré qu’il ne faut faire confiance à personne et que pour survivre (en tant que Juifs) il faut être le plus fort, ceux-là défendent Israël à tout prix, et puis il y a ceux, nettement moins nombreux, dont témoignent notamment Points Critiques et l’UPJB, qui estiment que c’est parce que nous avons vécu le racisme et la persécution que nous avons la responsabilité de nous opposer à toute forme d’atteinte aux droits humains quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Réparer le monde ne fait-il pas partie du Tikkun Olam dans la tradition juive ? En commençant par nous-mêmes, car nous en faisons partie. Ou pour paraphraser Marcel Liebman : c’est parce que nous sommes Juifs que nous sommes pro-Palestiniens.

Mais qu’est-ce qu’être juif et plus particulièrement juif progressiste ? Cette question est là depuis le début. Beaucoup de pages y sont consacrées tout au long de ces 40 ans de la revue. Qu’est-ce qu’être Juif sans la religion et sans la centralité à Israël ? Une question lancinante et le constat que nous sommes de moins en moins juifs et de plus en plus cosmopolites dans un monde dit multiculturel. Un constat terrible à première vue, mais dont on ne connait pas l’issue dans un monde qui change à vive allure, et qui semble vécu de façon moins dramatique comme si nous avions en n fait le deuil de la disparition du yiddishland… C’est du moins ce que nous disent nos deux protagonistes du Grand entretien, qui semblent se rejoindre aujourd’hui sur ce sujet. Car, depuis toujours, c’est une question controversée à l’UPJB, qui suscite pas mal de débats en son sein.

Qui dit cosmopolite dit aussi non au repli sur soi et oui à l’ouverture avec la prise de risque que cela implique. Ouverture aux non-Juifs, en notre sein (mouvement jeunes, comité de rédaction de la revue, membres actifs) et plus spécifiquement par le biais de la culture, un thème de prédilection à l’UPJB qui compte des tas de talents artistiques et qui occupe une place importante dans la revue. Ce ne fut pas toujours le cas. Dans «Ouvertures» – c’est le titre de la revue en mai 1992 -, consacré à la participation de l’UPJB au Parcours d’artistes de Saint-Gilles, l’édito note l’évolution «depuis de nombreuses années» de l’UPJB vers «une pratique culturelle vivace» «après avoir privilégié des axes sociaux, éducatifs et politiques». L’édito se termine par une profession de foi à l’«ici et maintenant» «à l’heure des replis et des nationalismes, ouvrir grand la porte de notre maison car il faut une maison et que sa porte s’ouvre pour que s’y épanouisse la vie».

On ne saurait mieux dire aujourd’hui.