[Points Critiques n°381] Jeunes pour le climat, entre responsabilité et désobéissance

Hannah Vander Ghinst

Jeudi 17 janvier, je me rends à l’école, comme tous les jeudis, pour assister à mes cours, comme tous les jeudis.
La veille j’avais entendu parler de la marche organisée pour le climat.

Mais le jeudi 17 janvier, j’avais un contrôle de math et, bien que ça ne soit pas ma matière préférée, j’avais l’intention de passer ce contrôle. Arrivée à l’école, il y avait partout des panneaux et des calicots créés par des élèves pour la manifestation, et une légère douleur m’a prise au ventre, c’était la culpabilité. Plus la matinée avançait, plus cette dernière s’installait, et c’est à l’heure du départ pour la manif que je me suis décidée, probablement grâce à un ami qui insistait vigoureusement. J’ai quitté ainsi à 10 heures mon bâtiment, pleine de fierté, en plein acte de désobéissance civile, pour me rendre à cette deuxième édition de la marche, sans savoir encore que cet acte deviendrait bientôt une habitude. Je me suis rendue à toutes les marches depuis.

Il a été difficile pour les écoles de se positionner face à cette situation inédite. Beaucoup ne voulaient pas empêcher les élèves de se rendre aux marches mais, assez paradoxalement, en permettant aux élèves d’aller aux manifs, elles ont poussé certains.e.s à ne pas y participer, car d’une certaine manière cela décrédibilisait le mouvement. Mon école a permis la participation avec justificatifs des parents, ce qui coupait un peu l’herbe sous les pieds de ceux qui avaient envie de poser un acte de révolte, de désobéissance. D’autres établissements ont organisé des « tournantes » où les élèves pouvaient participer d’une semaine à l’autre, à tour de rôle, ce qui réduisait le nombre de participants. Certains ont tout simplement refusé de justifier l’absence de leurs élèves durant ces heures. Mais la prise de conscience était globale. Dans beaucoup d’écoles on a vu des panneaux sur les murs et les distributeurs de boissons, invitant notamment les élèves à s’acheter une gourde…

Un mouvement du 21e siècle

C’est un mouvement remarquable pour plusieurs raisons : le sujet est terriblement actuel, bien qu’il y ait des activistes pour le climat depuis longtemps, il s’agit d’une véritable mobilisation, d’un groupe de jeunes, et contrairement à mai 68 le mouvement n’a pas été lancé par des universitaires mais par des étudiants du secondaire (même si les premiers ont rapidement rejoint les marches du jeudi). C’est un mouvement marquant aussi car ses représentants sont en fait des représentantes et il est rare dans l’histoire que des femmes aient eu la place de « diriger » ainsi des révoltes, mises à part celles qui servaient à défendre leurs propres droits. Ici les figures sont non seulement des femmes, jeunes, mais aussi représentatives de groupes discriminés : à l’origine, une jeune fille suédoise de 15 ans, Greta Thunberg, qui est atteinte d’autisme Asperger. L’activiste Anuna de Wever, qui a lancé les marches en Belgique, se décrit comme « ni fille, ni garçon ». Elle incarne, avec sa compagne Kyra Gantois, la communauté LGBTQI+. La jeune bruxelloise Youna Marette, activiste de Génération Climat, est une jeune femme noire. Cette diversité apporte au mouvement pour le climat une modernité et une légitimité supplémentaires.

Les marches ont été fort médiatisées mais elles se sont réellement propagées via les réseaux sociaux. Partout, nous étions invité.e.s à participer et toutes les informations sur le lieu, l’heure, les dates et les changements des rendez-vous se faisaient via Facebook.

Je pense savoir que l’entente entre communautés en Belgique n’est pas notre point fort. Et il me semble que c’est une des réelles forces de cette « révolution » climatique : elle rassemble Bruxellois.e.s, Flamand.e.s et Wallon.ne.s, ce qui est, nous le savons, assez rare. Et ce qui ne gâche rien, on voit une présence de jeunes de toutes classes sociales.

Impact politique

Il semblerait que ces marches pourraient avoir un impact sur les futures élections. En comparant les sondages Ipsos-Le Soir-RTL-TVI-Het Laatste Nieuws-VTM de décembre 2018 et de février 2019, on observe une montée assez nette des partis Ecolo/Groen. Malheureusement le rapport entre les jeunes et les politiques est encore assez insatisfaisant, une réunion avec des représentant.e.s de différentes écoles de Belgique a été organisée à l’université de Namur le 27 février et les retours n’étaient pas très positifs. Aucune décision concrète n’a été prise et il s’agissait apparemment plus d’un « show politique », d’une présentation de programmes, que d’une vraie discussion. Les marches ont aussi suscité beaucoup de critiques. On ne cesse de demander aux jeunes s’ils sont prêts à changer leur mode de vie pour le climat. Faut-il rappeler qu’ils/elles le font déjà en manquant chaque jeudi les cours ? Par ailleurs, bien que les gestes individuels et citoyens soient très importants (limiter son empreinte carbone, réduire et trier ses déchets, etc.) nous demandons d’abord de vraies lois limitant les émissions de C02 de 55% d’ici 2030 afin de ne pas dépasser les 1,5°C de réchauffement climatique, en respect de l’Accord de Paris.

Bien que le nombre de personnes ait baissé lors des dernières manifestations des jeudis, on observe tout de même une mobilisation encore plus grande de la part des Belges (et des autres), jeunes et moins jeunes.
Fin mars, plus de 200 militants de Greenpeace, Youth for Climate ou encore Act For Climate Justice, se sont mobilisés pour occuper la rue de la loi et puis la place du Trône, dans le but d’obtenir une modification de l’article 7bis de la Constitution pour ouvrir la porte à une loi climat.

C’est donc un mouvement qui n’est pas prêt de s’arrêter car nous avons une motivation assez simple mais essentielle : une terre habitable pour notre futur. Sans ça, ni l’école, ni le travail ni même quoi que ce soit d’autre n’ont d’intérêt.

Il me semble que ça suffit pour réagir, n’est-ce-pas ?