[Points Critiques n°382] Edito

Anne Grauwels

Extrême droite, le retour ?

Après les élections de mai, avec sa poussée de l’extrême droite en Flandre, dans un contexte mondial qui a vu se réaliser les pires scénarios : vote pour le Brexit, élection de Trump, Bolsonaro et autres Salvini, une question émerge immanquablement, « les années 30 sont-elles de retour ? » Question bateau, le point Godwin en quelque sorte de l’analyse – ou de l’impuissance – politique ? Un signe en tous cas que nous sommes dépassés par les événements, et nous ne sommes pas les seuls, simples citoyens, puisque personne, même pas « l’establishment », n’avait imaginé, la veille du 8 novembre 2016 que Donald Trump, animateur télé et businessman, sans passé politique et sans programme, deviendrait le 45ème président des États-Unis d’Amérique. « Un accident de l’histoire » pensait-on. Une année fertile en « accidents de l’histoire », puisque les Britanniques avaient dit oui au Brexit quelques mois plus tôt. À la grande surprise de son initiateur, David Cameron lui-même, qui en aurait mis sa main au feu, jamais les Britanniques ne voteraient pour une sortie de Union Européenne !

C’est dans ce contexte mondial, et après une campagne de la NVA sur le thème de la politique migratoire européenne dite « laxiste », précédée de sa sortie prématurée du gouvernement contre la signature du pacte de Marrakech, que… le Vlaams Belang – eh oui à ce jeu-là, c’est toujours l’original qui gagne ! – réalisa un score à deux doigts d’amener une majorité absolue aux nationalistes flamands de la NVA et du Vlaams Belang en région flamande.

Et pendant ce temps, chaque jour, des hommes et des femmes continuent de mourir dans la Méditerranée, 17 000 migrants s’y sont noyés, depuis 2014 selon l’Organisation internationale pour les Migrations de l’ONU.

Et du côté francophone ? Pas d’extrême droite. Si le PS se maintient, c’est plutôt le PTB qui a su canaliser les voix des mécontents. Pour le MR, ce n’est pas une bonne nouvelle. Le parti libéral francophone a déposé une proposition de loi visant « à accroître la sensibilisation aux dangers des extrémismes et des populismes et plus particulièrement à ceux de l’extrême gauche ».

Extrême droite, extrême gauche, même combat ? Que dit l’histoire ? Le fascisme et le communisme, ça reviendrait donc au même ? Selon l’historien du fascisme italien, Emilio Gentile, c’est totalement faux, fascisme et communisme n’ont pas d’affinités, ni génétiquement, ni historiquement, ni culturellement1. Le propre du communisme, c’est qu’il prône « l’émancipation totale de l’humanité dans l’égalité et dans la liberté. » Le fascisme, même quand il met un contenu social à son programme, jamais ne remet en cause les structures (capitalistes) de la société.

Alors, les années 30 sont-elles devant nous ?

Une question bateau certes, mais qui nous a servi de prétexte pour interroger l’histoire. Pour les trois historiens, spécialistes des années 30 et de la guerre, José Gotovitch, Chantal Kesteloot et Pieter Lagrou, que nous avons réunis autour d’une table, la réponse est unanime, c’est non. La société du XXIème siècle n’a plus rien en commun avec celle de l’entre-deux-guerres. C’est probablement pire… Et les Trump et Bolsonaro ne sont pas des fascistes historiques mais des « populistes » – un terme qu’on manie avec des pincettes dans ces milieux-là, et qui vise plutôt le style – démagogique – que l’idéologie. Ce qui nous valut cette phrase forte « Et quand De Wever dit qu’il faut choisir entre l’accueil des réfugiés et l’État-providence, c’est pire que Degrelle » !

Et comment expliquer le maintien du PS – fait rarissime de nos jours. Nos historiens tentent d’y répondre, en investiguant la période de l’entre-deux-guerres quand les gens faisaient partie de vastes collectifs et qu’il suffisait de distribuer un tract aux portes des usines pour les mobiliser.

Parce que l’histoire, même si elle ne permet pas d’expliquer concrètement le présent ni surtout l’avenir, nous permet de prendre du recul. Et de constater que la Belgique semblait se remettre après la crise de 1936 – Rex avait pratiquement été rayé de la carte lors des élections de 1937 -, c’est la guerre et l’occupation nazie qui sont arrivées comme un cataclysme. Quels cataclysmes nous attendent encore en cet été de dérèglement climatique, été le plus chaud jamais enregistré sur la planète ? Un été qui évoque celui de 1940, quand Walter Benjamin se donna la mort à Port Bou peu de temps après voir écrit à propos de l’histoire2 :

Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble être en train de s’éloigner de quelque chose à laquelle son regard reste rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’Ange de l’Histoire.
Il a le visage tourné vers le passé. Là où se présente à nous une chaîne d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui fut brisé. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne les peut plus refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès ».

 


1 Emilio Gentile : Qu’est-ce que le fascisme? Histoire et interprétations, Folio-histoire, Gallimard, 2002-2004 pour la traduction française, page 99

2 Walter Benjamin, Thèses « Sur le concept de l’histoire (IX) », traduction de Michaël Löwy, page 21, fr.theanarchistlibrary.org