[Points critiques n°386] Gantz, traître ou… roublard ?

Henri Wajnblum

Et à la fin, c’est Netanyahu qui gagne. C’était en tout cas vrai jusqu’à présent. Mais si ça n’était plus tout à fait le cas aujourd’hui ? Il y a quelques semaines, lorsque Benny Gantz a décidé de rejoindre une coalition d’unité nationale avec Netanyahu, au nom, disait-il, de la lutte contre le coronavirus, en faisant éclater le bloc Kakhol Lavan, beaucoup se sont indignés de cette trahison. N’avait-il pas axé toute sa campagne électorale sur l’éviction de Netanyahu comme Premier ministre ?

Au lendemain de l’abandon par Benny Gantz de ses partenaires de l’alliance Kakhol Lavan, tous les commentaires allaient dans le même sens… Gantz, naïf, était tombé dans le piège de Netanyahu. Était-il réellement cet homme incompétent et faible que n’avait cessé de dépeindre Netanyahu tout au long de la campagne ?

Et puis, absolument inattendu, ce fut le coup de génie… Se faire élire à la présidence de la Knesset et prendre la main ! Il faut en effet savoir que c’est le président de la Knesset qui est maître du calendrier et des ordres du jour. Position de force s’il en est puisqu’il faudrait, cas des plus improbables, 90 voix pour le destituer.

On avait peut-être un peu vite oublié que la stratégie, ça le connaît. N’a-t-il pas été le chef d’état-major de l’armée israélienne ?

Et le voilà tout-à-coup en position de force pour négocier la formation d’un gouvernement et obtenir des concessions majeures de Netanyahu.

Pour en témoigner, il suffit d’entendre les cris de frustration des alliés d’extrême droite de Netanyahu, et même de la fraction la plus à droite de son propre parti, le Likud. Tous risquent en effet de perdre des postes ministériels et être les dindons de la farce.

Gantz obtiendrait en effet de prendre le contrôle de chaque agence gouvernementale que la droite prévoyait d’utiliser pour faire avancer ses politiques. Cela inclurait notamment les portefeuilles de la Défense, de la Justice et de la Culture.

Quid du Plan Trump ?

Le principal point de désaccord dans ces négociations porte sur l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie occupée. Le Likud avait en effet promis cette annexion dans les six prochains mois, voulant ainsi tenir ses engagements lors de la campagne.

Mais pour Gantz, toute initiative sensible de type géopolitique détournerait l’attention de la gestion de la crise immédiate entraînée par le coronavirus ainsi que de l’effondrement économique qui devrait suivre.

Cependant, les négociations entre les deux formations auraient donné lieu à un « développement » significatif, ouvrant la porte à un possible compromis dont les termes seraient que le nouveau gouvernement d’union ne procédera à l’annexion que si l’administration Trump offre son soutien absolu à cette initiative. Or, l’appui sans réserve des États-Unis à cette démarche reste encore une inconnue.

L’administration Trump a en effet tergiversé sur le sujet. Après avoir initialement signalé qu’elle approuvait la mise en œuvre par Israël d’une annexion limitée après la publication de son plan de paix, l’année dernière, elle a, depuis, retiré son soutien à toute initiative immédiate et demandé à Israël d’attendre que Washington puisse renforcer les appuis accordés à son plan de la part de pays arabes amis.

On se demande où elle ira trouver les 50 milliards de dollars qu’elle avait promis alors que le monde, y compris les pays arabes, est au bord d’une récession sans précédent. L’extrême droite, elle, ne décolère pas…

« Remettre les ministères de la Défense et de la Justice à la gauche équivaut à une soumission idéologique à la gauche, et à la destruction de notre révolution au sein du ministère de la Justice et de nos efforts de légalisation en Judée et en Samarie ces dernières années », a tweeté la députée Ayelet Shaked, ancienne ministre de la Justice, elle qui n’a eu de cesse de s’en prendre au système judiciaire qu’elle voulait mettre sous tutelle.

Et voilà donc Gantz qualifié de gauchiste, lui qui avait pourtant approuvé le plan Trump et qui n’est en réalité qu’un autre homme de droite, à la différence notoire qu’il est plus policé que Netanyahu et, surtout, pas corrompu.

Ceci dit, au cas, peu probable, où les négociations entre Netanyahu et Gantz échoueraient, celui-ci resterait au perchoir de la Knesset et garderait toujours la main.

Et à la fin ce sont les Palestiniens qui trinquent

Tout ce marchandage politique ne doit pas nous faire oublier le sort des Palestiniens dans les Territoires occupés en cette période de pandémie. Même si la vie politique est momentanément à l’arrêt, les colons, eux, ne chôment pas. Il n’est de jour sans que les Palestiniens qui cultivent leurs champs soient victimes de violences extrêmes. De nombreuses plaintes ont été déposées, toutes restées sans suite.

Pour ce qui est du coronavirus, Gaza est dans l’incapacité totale d’y faire face, faute de moyens, masques, respirateurs… Et ce n’est pas Israël qui les leur fournira. L’OMS a beau mettre en garde contre une catastrophe inévitable, le monde et nos médias gardent, comme à leur habitude, un silence assourdissant.  C’est à hurler.

En attendant de plus amples informations, prenez surtout soin de vous.