Parution du livre de Catherine Buhbinder, enseignante
Bonjour,
J’ai le grand plaisir de vous annoncer la sortie prochaine de mon livre « Enseigner la philosophie et la citoyenneté, à partir d’ateliers créatifs », aux éditions Chronique sociale. Je le présenterai à l’occasion d’une conférence que je donnerai au Salon de l’éducation de Charleroi, le dimanche 22 octobre, à 16h (Charleroi expo, Av. de l’Europe 21).
Ce livre est, pour moi, l’occasion de lancer un cri d’alarme concernant les effets que suscite le démarrage des cours de philosophie et de citoyenneté « version hybride » dans les écoles publiques francophones. Nos responsables politiques n’ont pas réussi à trancher entre supprimer les cours de religion obligatoires dans les écoles (avec éventuellement l’organisation de cours facultatifs) et maintenir la logique désuète du Pacte scolaire. En catastrophe, ils ont créé le cours de Rien, puis la solution schizophrénique du 1h+1h. Alors que nous accumulons les difficultés tant organisationnelles que pédagogiques, une inacceptable pagaille s’est installée dans nos têtes et nos écoles. Et, nous nous engageons dans une stratégie du pourrissement !
Les cours de philosophie et de citoyenneté s’enracinent, malheureusement, dans un malentendu, un déni. Celui du cours de morale considéré comme « engagé » par la Cour constitutionnelle du 15 mars 2015. Celle-ci a énoncé son verdict sur base du fait que dans la Belgique pluraliste, la laïcité est reconnue et subsidiée au même titre que les religions. Le cours de morale se réclamant de l’esprit de la « Libre pensée » ne peut donc offrir de garanties de neutralité. Or, déjà sur le plan du statut, ce jugement ne tient pas la route. Contrairement à son homologue flamand, le Centre d’Action laïque francophone a toujours refusé de jouer le rôle de pouvoir organisateur du cours de morale. Les professeurs de morale avaient le même statut que n’importe quel professeur de cours général, en terme d’engagement et d’inspection, et le programme de morale était également reconnu par la Communauté Française. Ce qui n’est absolument pas le cas des professeurs de religion. Mais, de toute façon, si la Cour constitutionnelle a dénoncé l’ambiguïté du statut du cours de morale, elle n’a pas posé de jugement quant à son contenu. Pourtant, le mal était fait : la laïcité était assimilée à une religion ; les professeurs de religion étaient mis sur le même pied que les professeurs de morale ; il n’était plus été possible de distinguer un cours où l’on apprend à penser à travers la pensée de quelqu’un ou quelque chose d’autre (un livre, une Eglise, des commentateurs,…), d’un cours où l’on apprend à « penser par soi-même » !
Le véritable enjeu de toute cette saga était la sortie du Pacte scolaire, symbole du pluralisme à la belge. La logique des cours de religion « obligatoires » dans les écoles publiques est surtout identificatoire. Elle sépare les élèves et propose une vision caduque du religieux (pas de passage, pas de syncrétisme, pas d’esprit de recherche individuelle,…). De plus, eu égard au principe de liberté religieuse, l’Etat n’a aucun pouvoir de contrôle sur ce qui s’y dit. Et, l’école publique ne peut prévenir le fanatisme qui couve parfois en son sein et en son nom. Enfin, le pluralisme belge que nous sommes sensés incarner, chacun dans nos cours séparés, est une fiction qu’il est impossible à mettre en scène. Beaucoup plus intéressante et légitime à l’école, est l’idée d’organiser des cours sur les religions, par des personnes formées en science des religions et à destination de tous les élèves. Nous n’avons pas été à la hauteur de cet enjeu.
L’autre véritable enjeu était la création d’un cours de philosophie et de citoyenneté pour tous. Qu’y mettra-t-on ? Jusqu’où irons nous dans la liberté de penser ? C’est ici que le déni du cours de morale comme précurseur de ce nouveau cours, pourrait bien être fatidique. Si le cours de morale est condamné comme « doctrinal », que sera le nouveau cours « neutre » ? J’admets que l’intitulé « morale » pouvait faire croire que nous « moralisions » nos élèves. J’ai compris, avec les années, qu’« inculquer une morale » est un contresens philosophique. Ce n’est qu’en apprenant aux élèves à penser, que l’on peut empêcher le mal ! C’est La posture philosophique ; elle est, par principe, allergique à toute forme d’endoctrinement. Mais faut-il, aller encore plus loin et, au nom de la neutralité, mettre en cause le contenu même de notre cours ? Le Décret neutralité de 1994 énonce quand même l’interdiction de « privilégier une doctrine relative à ces valeurs ». Qu’est-ce qu’une doctrine ? Faudra-t-il condamner le module « Qu’est-ce que l’homme ? », de notre programme de morale de 4ème, comme étant un parti pris doctrinal ? Dans ce cours, on développe, en effet, la thèse de l’évolution, on fonde l’anti-antiracisme, on interroge l’origine animale de l’homme, on met en évidence le rapport nature/culture, on s’appuie sur l’anthropologie, etc. Est-ce ce savoir fondamental et fondateur du cours de morale qui est désormais interdit, dans les écoles publiques, au nom de la neutralité ? Et en effet, je constate qu’il n’en est plus du tout question dans le nouveau programme qui nous enjoint plutôt d’examiner : « La diversité des discours sur le monde » (UAA 2.2.1.). Qu’y faire d’autre que mettre en parallèle le discours religieux, mythique, et le discours scientifique ?
Je nourris bien des doutes également sur la notion de « citoyenneté ». Si elle rassemble, très justement, toutes les tentatives d’éducation au « vivre ensemble », c’est aussi une notion très à la mode, qui risque d’être bien édulcorée si on n’aborde pas les questions de fond. Et, celles-ci trouvent difficilement leur place dans le nouveau programme, devenu très « technique ». Nous en avons fini avec ces grandes interrogations qui nous tenaient en haleine au cours de morale, sur la Vérité, le Sens, l’Homme, la Société, le Monde…. On y aborde désormais des questions très concrètes comme la bioéthique, l’environnement, le pouvoir des sciences, etc.
Quant à l’enseignement de la philosophie, j’ai bien peur, une fois de plus, qu’on ne la réduise à une méthodologie. Si nous voulons un vrai cours de philosophie pour tous les élèves belges, il faut savoir que la philosophie est fondamentalement ardue et prend du temps (Plus que des périodes de 50 minutes), qu’elle exige des enseignants formés et passionnés (Plus que 180h en guise de reconversion professionnelle), et qu’elle est fondamentalement subversive ! L’enseignement de la philosophie impose un décentrement qui est peu commun à l’école. Elle suppose que l’on reconnaisse en l’élève un être de désir et d’intelligence. Plutôt que de penser en terme de « transmission », le professeur doit orienter le travail de l’élève, sur lui-même, sur l’écoute des autres, et sur l’expérimentation de la pensée.
J’ai commencé mon livre pour comprendre les difficultés dans lesquelles je me débattais en tant que professeur de morale : l’ambiguïté du statut de mon cours les problèmes de crédibilité qui en découlent, la question de l’autorité et du cadre scolaire, les spécificité d’un enseignement de la philosophie. C’est en écrivant que j’ai théorisé, et en théorisant que j’ai trouvé des solutions pédagogiques. J’ai nourri ma réflexion par de nombreux stages qui m’ont fait découvrir la pédagogie institutionnelle avec la CGE (Changement pour l’Egalité), la pédagogie nouvelle avec Michel et Odette Neumayer et le GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle), et tout le travail autour des ateliers philo ou de la philosophie avec les enfants. C’est ainsi que j’ai développé une vision et des exigences très personnelles de l’enseignement de la morale. Lorsque j’ai été rattrapée par l’actualité et que mon cours a été mis sur la sellette, j’étais prête pour proposer le bilan de cette expérience et me positionner par rapport au nouveau cours, à son contenu et ses méthodes. C’est le travail que je propose ici, ainsi qu’un véritable « manuel » fondé sur des ateliers créatifs et illustré par des travaux de mes élèves.
Ainsi, mon livre est aussi un sursaut de dignité professionnelle par rapport à toute cette logique qui nous a dépossédé de notre expertise, et pousse l’humiliation jusqu’à nous obliger à retourner à l’école pour apprendre notre métier !
Au plaisir de vous y retrouver,
Catherine Buhbinder