De la musique aux mots, le violoniste précoce, né en 1953, franchit le pas et nous conte, non pas d’une manière linéaire, mais au gré d’expériences et de rencontres, aussi bien l’apprentissage obstiné du violon que le cheminement politique d’un éternel rebelle. Cela avait commencé dès l’école, où, mini Quichotte, il affrontait déjà des moulins à vent, hélas bien réels. Marqué par son passage à l’Hashomer Hatzaïr (La jeune garde), mouvement de jeunesse qui tentait de concilier sionisme et marxisme pur et dur, il n’a jamais cessé de s’interroger.
En 1968, étudiant au Conservatoire de musique de Paris (où il enseigne aujourd’hui), il adhère à une organisation anarchiste. Et dès lors, bien que la musique soit le fil rouge de sa vie, la conscience politique n’est jamais loin. Au gré des tournées, il part à la rencontre des mondes. En Amérique du Sud, dans les années 70, entre palaces et concerts prestigieux en queue-de-pie, il se ménage des rendez-vous avec des militants clandestins. Il séjourne quelques mois en Israël, au kibboutz Baram, mais sous Baram, il y avait Biram, un village arabe… Il n’hésitera pas à poser les questions qui fâchent. Bien plus tard, il donnera des concerts à Gaza et à Ramallah, l’esprit critique toujours en éveil.
Et la musique habite tout le livre. Des fragments de partitions accompagnent les analyses approfondies, subtiles et émouvantes des concertos joués. Beethoven, Chostakovitch, Prokofiev… Les initiés en feront leur miel et les profanes tenteront de décrypter une langue inconnue, grâce aux passerelles lancées par l’auteur. Curieux, Ami Flammer explore d’autres territoires musicaux. Il crée une des dernières œuvres de John Cage, accompagne Moshé Leiser dans les chansons yiddish et collabore musicalement à certains films, notamment pour Marguerite Duras, qui deviendra une amie.
Un récit foisonnant, nourri de ferveur, de rage et de doutes, avec un zeste d’humour aussi, et où l’épopée de la mère, des années de luttes clandestines dans la Roumanie fasciste à la fuite de l’Union soviétique, donne lieu à des passages que l’on dirait romanesques mais ne sont que l’évocation de tragédies réelles. Quant au titre, « Apprendre à vivre sous l’eau », il faut attendre les dernières pages pour en connaître la signification et goûter toute la saveur d’une histoire juive. A lire pour « se faire du bien aux os » (Comme le disait Chantal Akerman).