Catherine Buhbinder : Continuer à vouloir utopiquement la paix et la cohabitation

Penser à la possibilité d’organiser un bal judéo-palestinien pour la paix et la cohabitation en réaction aux événements de l’actualité, a été de pair, dans mon esprit, avec une lueur d’espoir que nous avons entrevue pendant un jour : Et si dans sa violence monstrueuse, le Hamas avait réussi à ébranler Israël au point qu’une issue aurait été possible ? Et si, pour sauver ses otages, Israël avait accepté, au contraire, de négocier le début d’un réel processus de paix ?  C’était, sans doute, très naïf de notre part. Mais, c’était pourtant la seule ligne de conduite possible, à mes yeux ! Continuer à vouloir utopiquement la paix !

Après, je n’ai plus pu suivre les événements de la semaine qu’en fantôme.

Mais, ma colère, ma tristesse, mon désespoir, mon dégoût grandissent au fur et à mesure des événements qui se précipitent, au point que même le deuil et le recueillement que nous avions proposés me paraissent déjà « dépassés ».

C’est sans doute pourquoi j’avais tant envie, besoin, de prendre la parole en tant que membre du CA.

 

Il est certaines réactions que j’ai pu observer autour de moi qui m’ont choquées. Et surtout, du côté juif, qui est le mien. Si bien sûr, il y a un temps pour pleurer nos morts, il est plus que temps de voir les choses avec un minimum d’objectivité ! La rhétorique israélienne, qui est celle qu’ont adopté la plupart des juifs communautaires, est épuisée, criminelle et complice !

Je voudrais pointer trois idées qui me semblent fondamentales :

  • Nous devons refuser de dire que certains morts comptent plus que d’autres.

Bien sûr, nous avons peut-être de la famille en Israël. Mais, il se fait qu’à l’UPJB, nous avons aussi de la famille en Palestine ! Il serait horrible de constater que nous sommes particulièrement émus par ce qui se passe aujourd’hui parce que la violence et la mort ont frappé des Israéliens, jeunes de surcroit, et splendides, sur les photos que l’on a fait circuler sur Facebook. Alors que les morts palestiniens n’ont jamais été que des chiffres. Les morts palestiniens ne sont-ils pas « pleurables » eux aussi ? C’est la première fois depuis longtemps que le nombre de morts israéliens se compte en centaines, voire milliers. Mais du côté Palestinien, ce chiffre est carrément récurrent. Pourquoi cette inégalité dans la « pleurabilité » ?

 

  • Nous devons refuser la logique victimaire qui consiste à dire que ce sont toujours les autres qui nous ont agressés ou qui ne veulent pas de nous.

La violence du Hamas a été particulièrement odieuse. Mais savoir si le terrorisme peut être considéré ou non comme une forme de résistance me semble vainc ! Il est surtout trop facile d’en faire la raison d’une nouvelle guerre et agression. Comme si la guerre avait besoin de prétexte ; comme si la guerre n’était pas toujours une défaite ! Ce sont, finalement, les Palestiniens qui sont les premières victimes du Hamas, car ce n’est pas de cette manière qu’ils se rendront fréquentables. Mais ont-ils jamais été considérés comme fréquentables ?

Se focaliser sur la violence des crimes du Hamas, c’est malheureusement taire la violence quotidienne et étatique que subissent les Palestiniens qui ont été acculés à s’en remettre au Hamas par absence totale de perspective pacifique alternative. Il était absolument frappant, lorsqu’on voyait les images au JT, que les Israéliens se terraient chez eux ; mais que les Palestiniens n’avaient tout simplement plus de chez eux ! Il est vraiment déplacé de d’offusquer que ce soit par la violence que les Palestiniens cherchent à avoir une place dans le monde, ou encore par désespoir ou retournement de la violence contre soi, alors que la manière dont Israël s’est imposé sur ce territoire, doit sa plus grande part à la violence, le nationalisme et la colonisation.

Parler de pogroms pour qualifier ces actes monstrueux du Hamas me semble très dangereux. Car c’est un mot qui ravive la hantise de l’antisémitisme et la mémoire douloureuse de la shoah. Les pogroms étaient des déferlements de haines, par des foules enragées, contre leurs voisins, parce qu’ils étaient juifs, minoritaires ou considérés comme étrangers. Ces actes du Hamas, aussi barbares soient-ils, ne sont pas des manifestations d’antisémitisme ! Ils ne s’en prennent pas aux juifs, mais bien aux israéliens, qui se considèrent comme parfaitement chez eux là où ils vivent. Ils ne sont pas le fait des foules, mais d’organisations, etc.

Il n’est plus possible qu’Israël, et derrière lui l’ensemble de la communauté juive, continue à dénier plus longtemps sa propre responsabilité, son insensibilité à l’autre, dans ce conflit qui dure depuis le début de l’existence même d’Israël. Cette déresponsabilisation, cette obstination dans le déni et l’arrogance sont aujourd’hui ce qui blesse et détruit moralement la communauté juive elle-même. Ce ne sont pas nous les juifs honteux, … !

 

  • Refuser le chantage à l’existence d’Israël.

De nombreuses personnes, et pas seulement juives, ont manifesté leur solidarité à Israël en se servant du slogan « Israël vivra ! ». Et cela m’a interrogée sur le sens des formules. Comment cela se fait-il que ce soit Israël qui parle de survie alors que toute la victoire du Hamas consiste, justement, à avoir pour la première fois un peu ébranlé son invincibilité ? Comment cela se fait-il que les Palestiniens parlent de « vaincre », alors que la Palestine existe à peine !? En l’occurrence, vouloir qu’Israël vive, c’est faire une confusion entre la vie des personnes elles-mêmes, physiquement, et celle d’un Etat qui se veut juif. Personne n’aurait plus aujourd’hui l’intention, ni surtout la force, de « jeter les juifs à la mer » (alors que cette peur nous reste chevillée au corps), alors que c’est exactement ce qui se passe avec les Palestiniens. Mais, peut-être bien qu’il faudrait réfléchir à la viabilité d’un Etat qui, pour être juif, devrait rejeter hors de son territoire toutes les autres personnes qui voudraient y vivre. Et tirer enfin les conclusions qui s‘imposent, à savoir qu’il n’est possible de sortir de l’impasse sanglante, qu’en empruntant, au contraire de l’option nationaliste, une logique de la cohabitation. Comme le dit la philosophe Hannah Arendt, à propos de Eichmann, justement, qui fomentait et organisait l’élimination physique d’un maximum de juifs : « Nul n’a le droit de choisir avec qui cohabiter sur cette terre ». Les Israéliens et les Palestiniens partagent la volonté d’habiter la même terre. C’est déjà quelque chose ! De plus, comme le dit Edward Saïd, il y a bien plus de ressemblances entre les deux peuples qu’on ne l’imagine, ne fut-ce que par l’exil qu’ils ont tous deux également connu. Bien sûr, c’était il y a 20 ans, et depuis lors, les choses se sont encore envenimées dans la haine et la violence, mais à nouveau, de façon symétrique ! Même si l’espoir de paix semble plus éloigné que jamais, il faut savoir que cette cohabitation, non choisie mais raisonnée, imposée par les puissances internationales, reste néanmoins la seule solution.