[Points Critiques n°384] Le parcours fulgurant de Sam Potasznik

Emmanuelle Soupart

Esquisser le parcours de Sam Potasznik, c’est évoquer plusieurs vies tellement les événements s’enchaînent et se superposent, jusqu’à son exécution à l’âge de 34 ans.

Le nom de Sam est régulièrement cité au sein de travaux d’historiens du communisme, des questions juives et de la résistance, ainsi que de témoignages d’anciens responsables et compagnons de la Résistance et de partisans armés. Nous inspirant également de sa correspondance et des archives de la Sureté publique, il est difficile d’y trouver le fil d’une histoire, une histoire qui n’a pas encore été écrite, reflet d’une première moitié du 20e siècle aux ramifications historico-politiques bien complexes.

Il ne s’agit pas ici de glorifier la figure de Sam, mais bien d’une tentative de percevoir la nature profonde de cet intellectuel à la personnalité complexe et intense, animé comme tant d’autres d’un idéal sociétal et philosophique qui trouvait écho chez lui dans les fondements du communisme révolutionnaire marxiste.

Traditionnellement, la culture juive, en Pologne notamment, encourage l’éducation. Ainsi au début des années 1920, les jeunes Juifs, filles et garçons, représentent plus d’un tiers des étudiants dans les universités polonaises. Bastions des partisans nationalistes et antisémites, elles imposent, dès 1923, un numerus clausus d’un maximum de 10% d’étudiants juifs. Victimes d’attaques antisémites récurrentes, verbales et physiques, nombreux sont ceux qui prennent le chemin de l’exil dans la perspective d’y entreprendre des études. Les universités belges sont renommées. Elles cherchent à recruter parmi les étrangers,aidées par le consulat belge pour la délivrance de visas étudiants.

Lola Zingier, l’épouse de Sam, naît en 1911. Sa famille se partage entre Odessa et Wlodimierz. Elle entreprend seule, à l’âge de 20 ans, ce périple qui l’amène à l’Université libre de Bruxelles où elle s’inscrit à la Faculté de Médecine pour y entreprendre des études de Chimie, Biochimie et Bactériologie qu’elle achève en 1935. En parallèle, elle travaille pour le laboratoire de biologie de l’Hôpital d’Ixelles et effectue un stage à l’Institut Pasteur. Elle s’engage dans la résistance et se cache dès l’arrestation de son mari. Elle travaillera ensuite pour le laboratoire de recherche en chimie-bactériologie de l’ULB à l’Hôpital Brugmann jusqu’à son tragique décès dans un attentat en 1955.

Sam Potasznik, naît à Kielce en Pologne le 5 avril 1909. Issu d’une famille aisée et assimilée, celle-ci s’installe à Lodz en 1926. Sam y achève ses études secondaires au Gymnase. C’est à cette époque qu’il découvre les théories marxistes. Il arrive à l’âge de 20 ans à Bruxelles et entame deux licences simultanées, l’une à l’Ecole Supérieure de Sciences commerciales et l’autre en Sciences économiques, à l’Université Libre de Bruxelles. Sam est un militant engagé, on le voit partout. L’ULB décide de fermer ses portes le 24 novembre 1941, l’empêchant de défendre sa thèse de doctorat prévue au cours de cette année académique.

Sam collabore à plusieurs journaux et est invité à donner des conférences sur le marxisme, le Birobidjan et la Constitution Soviétique. Yiddishiste, il enseigne la langue dans les mouvements communistes et se rend à Paris en septembre 1937 au « Congrès Mondial pour la Défense de la Culture Juive », réunissant un nombre impressionnant d’écrivains et intellectuels reconnus.

Très actif au sein de mouvements et organisations communistes, il consacre une grande partie de son temps à vouloir élever le niveau culturel et à éduquer les masses populaires juives. Souvent après avoir achevé son travail en tant que comptable, il leur apprend à lire le français dans les journaux. Avec son épouse Lola, ils parlent et s’écrivent en français.

Mars 1935 voit la création du Prokor à Bruxelles, l’une des organisations communiste de masse de la Main d’œuvre immigrée (MOI), paravent à une action politique de propagande en faveur d’un état juif indépendant au Birobidjan. Sam en devient président dès la fin 1935. Il y dirige le cercle d’études marxistes, dispense des cours de yiddish et d’art et invite conférenciers et écrivains à parler de culture juive moderne. La première conférence nationale se tient à Bruxelles le 12 janvier 1936. Jacques Gunzig ouvre la conférence en sa qualité de secrétaire. Sam y fait un exposé sur « Le Birobidjan et la résolution de la question juive ». Le mouvement attire l’attention des autorités belges. L’initiative s’arrêtera en mars 1938, les dirigeants faisant l’objet d’une surveillance accrue et de contrôles systématiques.

Sam est frappé d’une première mesure d’expulsion pour « compromission à la tranquillité publique », validée le 23 février 1938 par Léopold III. Il change constamment de domicile. On le retrouve alors dans le sillage de Solidarité juive. Il y déploie une importante activité et dirige notamment le cercle d’éducation culturelle. Le 28 novembre 1938, la Pologne le déchoit de sa nationalité.

Il est écroué une première fois en mars 1939 à la prison de Saint-Gilles avec l’obligation de quitter le pays. Il retourne à la clandestinité, fait l’objet d’une dénonciation, la Sureté le dit introuvable.

En octobre 1939, il est à nouveau écroué et, sans passeport, prétend s’être trouvé dans l’impossibilité de quitter le pays.

Un avis officiel du 21 décembre 1939 annule l’avis de son expulsion. En février 1940, après deux années de clandestinité, il est inscrit en tant qu’apatride au registre des étrangers de Forest. Il ouvre alors son propre bureau d’expert-comptable.

En octobre 1940, sont prononcées les premières ordonnances allemandes obligeant toute personne juive à s’inscrire sur des Registres des Juifs tenus par les communes. Sam et Lola s’y inscrivent à Forest en décembre 1940.

Le Front de l’Indépendance, mouvement de résistance qui réunit les Belges de toutes opinions et tendances philosophiques est créé dès 1941. Le Comité de défense des Juifs (CDJ), l’une des organisations affiliées est créée fin août 1942 en réaction aux premières déportations de quelque 17 000 Juifs entre la mi-août et la fin octobre. Ces déportations en masse provoquent une onde de choc en Belgique. Fin 42, la totalité des Juifs passe dans la clandestinité.

Le monde intellectuel ne se contente plus de déclarations universelles et se tourne vers l’action. Une partie vers la Résistance, une autre vers les armes. Actif dans la Résistance depuis le début des années 40, Sam ne trouve effectivement aucun apaisement à l’activité clandestine de propagande anti nazie. Il rejoint la cellule des Partisans armés juifs dès février 42. Il vit très fraternellement avec son détachement, un trio homogène et complémentaire, malgré la différence de culture et d’âge. Avec ses deux camarades de combat, Maurice Rozencwajg (fusillé à l’âge de 23 ans) et Wolf Weichmann, il mène avec succès plusieurs actions qui connaissent un certain retentissement dans le pays. Leur tête est mise à prix pour 500 000 francs.

Le trio est arrêté par la police lors d’une action commandée de réquisition d’argent pour la Résistance le 16 février 1943. Il manque des armes, il faut nourrir des gens… Un contingent allemand arrive simultanément sur les lieux et exige les trois hommes. La police n’oppose aucune résistance. Les Partisans armés aussitôt informés de l’arrestation envoient des Résistants chercher Lola, enceinte de leur fille Ariel (leur fils Daniel était déjà caché dans une famille belge).

Sam et ses camarades se retrouvent devant le Conseil de guerre allemand de l’OberfeldKommandantur de Bruxelles. Torturés, ils seront fusillés le 9 septembre 1943 au Tir National.

À titre posthume, la Belgique lui décerne la Croix de Chevalier de l’Ordre de Léopold et le reconnait comme Résistant armé assimilé au rang d’Officier.