Lucy Grauman : Impressions de Gaza

Je fais part dans ce texte de petites épisodes et impressions que j’ai gardés en moi suite à deux séjours à Gaza il y dix ans. Certaines personnes que j’y ai connues ont quitté Gaza, mais d’autres sont restées et je pense à eux.

J’ai été deux fois à Gaza. En novembre 2013 durant un mois et quinze jours au printemps 2014.

J’y suis allée dans le cadre d’un projet pédagogique musical organisé par Music Fund avec l’UNRWA.  Il s’agissait de transmettre des outils musicaux aux instituteurs et institutrices des écoles de l’UNRWA, pour qu’ils utilisent ces outils dans leurs cours généraux : chanter pour apprendre une langue, faire du rythme pour le calcul et ainsi de suite. C’était à eux d’appliquer ce que la musique offre comme outil pédagogique.

Le Hamas avait mis un frein à l’expression artistique d’une manière générale.

Il n’était pas interdit de pratiquer la musique en privé ou à l’occasion d’un mariage, mais il n’y avait pas la possibilité d’en jouer publiquement. Et pourtant les Palestiniens sont très musiciens. Il y a une tradition du chant, de la percussion, du oud et de la danse qui est très riche.  Mais, avec le Hamas, il n’ont pas de musique à l’école, plus de théâtre, pas de salle de concert.

Chez les jeunes, j’ai rencontré des rappeurs, des musiciens folk rock, des personnes qui écrivent leurs propres musiques actuelles. Des jeunes qui ont appris à jouer de la guitare, qui connaissent l’anglais comme s’ils avaient vécu aux USA pendant des années, grâce à internet.

Nous étions en lien avec l’école de musique, où j’ai eu la chance de prendre des cours avec un musicien qui m’a appris des chansons arabes. Dans cette école de musique le violon, le violoncelle, le piano étaient enseignés par des femmes venues de Russie, de Roumanie mariées à des Gazaouis. L’école de musique était invisible de l’extérieur et située dans un bâtiment destiné à autre chose.

Les personnes que je rencontrais, même les chauffeurs de taxis, exprimaient sans réserve leurs hostilité envers le Hamas. Il y avait dans la rue des policiers avec des mitraillettes.

Le fils adolescent d’une des institutrice avait été mis en prison,  pour le tenir à l’écart  le temps de célébrations nationales (défilé militaire) auquel j’ai assisté bloquée dans une voiture blindée des Nations Unies.  Une collègue gazaouie, qui était avec moi, me dit à quel point elle n’aime pas voir ces défilés d’hommes armés.

Le Hamas avait menacé le mari d’une musicienne : si elle continuait à jouer en public,  on la tuerait ainsi que ses enfants. Elle a cessé de jouer.

Cette oppression n’empêchait pas les jeunes de se retrouver pour jouer la musique ensemble.

Gaza ne manque pas d’artistes contemporains, de cinéastes, de danseurs, de poètes.

Au cours de mon séjour, un musicien suédois, Hakan Lewin, a créé une composition instrumentale et vocale pour la paix et la fin de la guerre entre Israël et le Hamas. C’était le projet « Gaza Singing for Peace » auquel j’ai assisté. Je connais des musiciens qui y ont chanté ou joué,  et certains sont mes amis sur Facebook. Je lis leurs messages. Il y a quelques jours, par exemple ;  « Je ne suis plus assez fort pour porter la plume pour écrire sur combien de douleur, donc il y a-t-il encore un rêve dans la vie… »

« Gaza Singing for Peace » 2013. Hakan Lewin, deuxième à gauche en partant de la droite (avec le saxophone).

 

J’ai aussi rencontré une femme qui n’avait plus le droit de travailler parce qu’elle avait été membre du Fatah.

Un soir nous mangions ensemble sur une terrasse avec des jeunes musiciens, leurs amis et un journaliste de Gaza lorsque une roquette est passée dans le ciel en direction d’Israël. Ils n’étaient heureux du tout, et disaient : qu’est-ce qu’on va ramasser en retour.

J’ai rencontré une jeune fille dans un petit supermarché, elle s’adresse à moi en anglais car elle a besoin de parler.

Elle me raconte qu’elle étudie ici à Gaza pour une durée d’un an. Elle vient d’Angleterre, est d’origine Palestinienne. Elle ne supporte pas la vie ici, l’oppression, le contrôle permanent. Elle est désespérée, elle veut rentrer en Angleterre.

Dans le hall de l’école de musique, les élèves et les mamans sont assises sur des chaises en attendant le moment du cours.

Nous arrivons dans ce hall,  trois femmes, nous parlons en français entre nous. Un homme debout se tourne vers nous, souriant, et s’adresse à nous en français. Devant les mères voilées, assises, les yeux baissés, l’homme nous embrasse chacune sur les deux joues, d’une manière à la fois précipitée, ostensible et courageuse. C’était un acte important, presque de résistance, dans un lieu où même serrer la main d’une femme est mal vu.

Quelques instituteurs me demandent si je peux leur donner une séance de chant en dehors des cours organisé.  Je ne demande pas mieux.  Le responsable me dit qu’il est exclu de recevoir ces personnes,  là où je loge. Je ne sais pas pourquoi.

J’ai rencontré des personnes motivées, humaines, émouvantes, chaleureuses.

Pour certaines personnes que j’ai côtoyées, la religion a une place essentielle,  la prière.

Je les comprenais

J’ai visité la Qattan Foundation, une ONG qui promeut le dialogue, l’art,  la littérature, l’émancipation,  avec un département spécifique pour les enfants.

 

Quelques dessins d’enfants créés dans le cadre de la Qattan Foundation

http://qattanfoundation.org/en/qattan/media/photo-gallery/childrens-productions

 

Une jeune femme m’explique que les Gazaouis avaient voté massivement en 2006 pour le Hamas, parce qu’il apportait de l’espoir : une aide sociale et la fin d’un système de corruption.    Mais depuis il n’a plus lâché le pouvoir.

Quelques mois après mon retour l’opération Bordure protectrice s’abat sur Gaza, J’échange des sms avec l’un ou l’autres, qui me rassurent en écrivant « on a l’habitude ».

Tout ceci pour dire que je trouve particulièrement injuste de considérer le Hamas comme représentant légitime du peuple palestinien. Les Gazaouis parmi ceux que j’ai rencontrés étaient opposé à ce gouvernement et aspiraient avant tout à la paix.

J’espère seulement qu’ils ont encore la force de ne pas être dévorés par la haine, et d’être encore vivants.

Lucy Grauman